II. LA MISE EN oeUVRE DU PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT
Le déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire constitue, à l'horizon d'une dizaine d'années, l'enjeu le plus crucial en matière d'équipement numérique pour notre pays. Or, en la matière, les discours optimistes du Gouvernement contrastent singulièrement avec la réalité d'un déploiement qui n'en est encore qu'à ses débuts , et dont on se demande comment il sera en mesure de satisfaire aux objectifs excessivement volontaristes fixés en la matière.
A. UN PLAN AMBIGU POUR DOTER LA FRANCE DU TRÈS HAUT DÉBIT À HORIZON 2020
• Un volontarisme très ambitieux affiché par le Gouvernement
Le 28 février 2013, le Premier ministre a présenté la feuille de route numérique du Gouvernement, et notamment le plan France très haut débit pour le déploiement du très haut débit sur l'ensemble du territoire. L'objectif du plan est que 100 % de la population française soit éligible au très haut débit en 2022 . La stratégie gouvernementale permettra également à près de la moitié de la population et des entreprises de bénéficier du très haut débit dès 2017. À cette fin, il mobilise l'ensemble des technologies capables d'apporter du très haut débit.
Un objectif de cohésion est censé permettre également de réduire la fracture numérique en apportant du haut débit « de qualité » (3 à 4 Mbit/s) à l'ensemble des foyers , par l'utilisation de toutes les technologies qui peuvent s'inscrire dans l'objectif final, notamment le recours à la modernisation du réseau cuivre, combiné à la technologie VDSL2 13 ( * ) .
La priorité est donnée par le plan au déploiement de la fibre optique , qui constitue la technologie la plus performante pour délivrer du très haut débit. Plus de 80 % des logements doivent ainsi devenir éligibles au FttH 14 ( * ) en 2022, c'est-à-dire la fibre jusqu'à l'abonné.
Si ce type de raccordement ne peut être envisagé qu'à long terme, la fibre optique doit être déployée dans chaque village ou chaque quartier par des opérations de « montée en débit » , qui consiste à rapprocher la fibre optique tout en maintenant la partie terminale du réseau en cuivre ou en câble coaxial. Associée à la technologie VDSL2, la montée en débit doit permettre, selon le Gouvernement, de fournir un accès élargi à internet à très haut débit.
Le soutien aux technologies hertziennes, à titre complémentaire , n'est pas oublié. Pour améliorer rapidement le débit dans les zones les plus rurales et les habitats les plus isolés, le plan France très haut débit mobilise ainsi trois types de réseaux : les nouvelles générations de satellites, les technologies hertziennes qui utilisent des relais terrestres (notamment WiMax et WiFi) et les technologies LTE (« Long Terme Evolution »), notamment la 4G à usage fixe. Des expérimentations sont en cours dans le cadre de ce plan.
• Un recours au cofinancement comme outil de mutualisation des réseaux
Le déploiement des réseaux FttH a été l'occasion d'introduire dans la régulation des mécanismes de cofinancement qui consistent à partager les coûts des déploiements entre opérateurs en échange de droits d'usage pérenne sur ces infrastructures . Le cofinancement permet de partager les risques technologiques et commerciaux, ainsi que les financements liés à la construction de nouveaux réseaux.
Dans les zones très denses, quatre opérateurs nationaux (Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR) ont signé des accords de cofinancement entre eux, pour l'accès réciproque aux réseaux de fibre optique installés dans les immeubles par chacun d'eux. D'autres acteurs (notamment des RIP 15 ( * ) ,) participent à l'équipement des immeubles et ont conclu des accords de cofinancement avec ces opérateurs nationaux.
En dehors des zones très denses, plusieurs accords ont également été signés , entre Free et Orange (en juillet 2011, portant sur une soixantaine d'agglomérations représentant environ 5 millions de foyers), entre Orange et SFR (en novembre 2011, portant sur le déploiement de la fibre optique en dehors des zones très denses) ou encore entre Orange et Bouygues Telecom (en janvier 2012, portant sur le partage des réseaux FttH déployés par Orange sur l'ensemble du territoire national).
La mutualisation des réseaux FttH est en constante augmentation depuis plusieurs années et le taux de mutualisation atteint 58% à la fin du deuxième trimestre 2014. Cela traduit les efforts des opérateurs pour raccorder les logements équipés en fibre optique par un concurrent ou par un opérateur aménageur. Ce mouvement devrait être source d'émulation entre les différentes offres de détail de plusieurs opérateurs et soutenir ainsi l'accroissement du nombre d'abonnés aux services à très haut débit.
Par ailleurs, une large majorité des lignes éligibles à une offre FttH est cofinancée par plusieurs opérateurs : 89 % pour l'ensemble du territoire, dont 96% en zones très denses et 65 % en zones moins denses. Cela signifie qu'à terme, ces lignes devraient bénéficier des services de plusieurs opérateurs commerciaux ayant participé au cofinancement des réseaux FttH.
• Un engagement important des collectivités
En matière d'aménagement numérique du territoire, les collectivités territoriales font preuve d'une forte implication depuis plusieurs années. De nombreuses collectivités se sont lancées dans des projets de RIP. En effet, depuis 2004, la loi autorise les collectivités territoriales à établir et exploiter des réseaux de communications électroniques 16 ( * ) . Elles peuvent exercer une activité d'opérateur d'opérateurs, c'est-à-dire proposer des offres de gros qu'utilisent les opérateurs de détail afin de desservir les clients finaux. En cas d'insuffisance de l'initiative privée, et après démonstration de cette insuffisance, les collectivités peuvent également fournir directement des services au client final.
À ce jour, 407 projets de RIP de toutes tailles ont été recensés par les services de l'ARCEP, laquelle est destinataire des projets des collectivités. Entre septembre 2013 et septembre, pas moins de 33 nouveaux projets ont été enregistrés. Les communes , qu'elles s'engagent seules ou en se regroupant, étaient majoritaires sur l'ensemble des porteurs de projets de 2007 à 2009. À compter de 2010, leur proportion diminue au profit des départements , tout en restant majoritaire. À titre illustratif, les déclarations de projets de départements ont connu une évolution d'environ 27 %, contre 18 % pour les communes, entre 2011 et 2014.
Aujourd'hui, l'ARCEP recense 52 projets ayant un volet FttH ciblant plus de 3 millions de prises . Parmi eux, 20 sont d'envergure départementale, 25 intercommunale, 5 communale et 2 régionale 17 ( * ) . Des projets régionaux ou départementaux supplémentaires s'initient actuellement. Si, sur la période 2000-2010, seuls 20 projets s'appuyaient sur le FttH, depuis 2011, 32 projets sur 91 comportent un volet FttH, ce qui en fait l'une des technologies les plus sollicitées dans les projets récents.
• Des schémas territoriaux bien avancés
Depuis la loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique (dite « loi Pintat »), les collectivités territoriales ont pris en main leur stratégie numérique : à l'exception de trois départements marqués par des aires urbaines denses et une forte initiative privée (Paris, les Hauts-de-Seine et les Bouches-du-Rhône), tous les territoires français ont lancé leur schéma directeur territorial d'aménagement numérique (SDTAN), au niveau départemental ou régional.
En août 2014, sur les 98 départements engagés dans la réalisation d'un SDTAN, 91 l'avaient achevé, comme l'illustre la carte suivante.
Les SDTAN sont, dans 80 % des cas, réalisés à l'échelle départementale . Ainsi, 64 SDTAN sur les 82 déclarés à ce jour sont portés par des départements, 8 par des régions (Alsace, Auvergne, Corse, Guadeloupe, Guyane, Martinique, Nord-Pas-de-Calais et Réunion), 8 par des syndicats mixtes (Manche, Dordogne, Somme, Limousin, Nièvre, Sarthe, Territoire de Belfort et Ardèche-Drôme) et enfin 2 par des syndicats d'électricité (Aveyron et Haute-Savoie).
Le SDTAN est un document de planification dynamique et évolutif . Aussi, la concrétisation des projets numériques dans les collectivités, la signature des premiers marchés de travaux, ainsi que les évolutions du plan France très haut débit ont amené les collectivités à réviser leur SDTAN. À ce jour, 13 l'ont déjà mis à jour (Ain, Dordogne, Eure-et-Loir, Indre, Indre-et-Loire, Jura, Loir-et-Cher, Lozère, Manche, Tarn-et-Garonne et Vosges) et d'autres devraient le faire très prochainement.
À la lecture de l'ensemble des SDTAN achevés au 1ER août 2014 et de leurs révisions, plusieurs enseignements peuvent être tirés.
Concernant les ambitions des collectivités en matière de très haut débit , les SDTAN donnent quelques ordres de grandeur. Côté FttH, les collectivités prévoient de construire 8,4 millions de prises d'ici 2035, dont 5,3 millions d'ici fin 2020. Elles prévoient par ailleurs d'avoir recours à la montée en débit sur cuivre pour 80 % d'entre elles, ce qui représenterait a minima 3 500 opérations pour un total de 800 000 prises. Enfin, 28 d'entre elles choisissent d'avoir recours à la montée en débit radio (WiMax ou WiFi) pour remédier dans un premier temps aux insuffisances de débit dans les zones isolées.
Les SDTAN permettent également d'obtenir une estimation des investissements qui seront nécessaires pour atteindre ces objectifs . Cumulés, ils atteignent 17,5 milliards d'euros à terme, dont 7,6 milliards d'euros d'ici 2018-2020.
Les SDTAN donnent enfin de la visibilité sur la gouvernance des futurs RIP très haut débit des collectivités . Un scénario-type semble petit à petit se confirmer : la création d'un syndicat mixte ouvert pour porter le RIP très haut débit (dans 55 % des cas), et le recours aux marchés de travaux pour la construction du réseau FttH, suivi d'une délégation de service public de type affermage pour l'exploitation des réseaux (dans 60 % des cas).
* 13 Qui consiste à améliorer le débit sur le réseau téléphonique fourni par l'ADSL.
* 14 Fiber to the home.
* 15 Tels que Sequalum, filiale de Numericable et titulaire d'une délégation de service public du conseil général des Hauts-de-Seine.
* 16 Notre assemblée, et plus singulièrement notre commission des affaires économiques, à l'initiative notamment de votre rapporteur pour avis, y avaient d'ailleurs grandement contribué.
* 17 Pour rappel, ne sont recensés ici que les projets ayant fait l'objet d'une information de l'ARCEP dans le cadre de l'article L. 1425-1 avant le 1er septembre 2014.