III. UNE TRAJECTOIRE FINANCIÈRE AMBITIEUSE

A. UN OBJECTIF DE STABILISATION DE LA DETTE

Lors de son audition par la commission du développement durable, Guillaume Pépy, président de SNCF, a rappelé que, « d'un point de vue économique, nous partageons la même analyse avec Jacques Rapoport. Le projet de loi tel qu'il est permet aux deux établissements publics de stabiliser leur dette à une échéance proche de 2020. Mais il s'agit de la stabiliser et à un niveau très élevé » 26 ( * ) .

L'objectif de stabilisation - et non pas de réduction - de la dette a été confirmé à votre rapporteur tant par les représentants du ministère des finances et des comptes publics que de celui des transports. Le Gouvernement semble néanmoins retenir un horizon temporel à 10 ans.

1. Par des gains de productivité et de mutualisation

En octobre 2013, la SNCF a présenté son nouveau plan stratégique intitulé « Excellence 2020 ». D'après les réponses transmises à votre rapporteur par la SNCF, il consiste « en un plan de performance transverse et un plan de performance industrielle et commerciale », qui permettront de dégager un milliard d'euros au sein de SNCF Mobilités .

En outre, sur le périmètre SNCF Réseau, le plan Excellence 2020 permettra également d'économiser 400 millions d'euros . Cela correspond à la part imputée sur la branche SNCF-Infra intégrée au nouveau gestionnaire d'infrastructure.

Enfin, l'unification des métiers de l'infrastructure au sein d'un même établissement devrait dégager des gains de mutualisation (achats, rapprochement des structures, mise en place de processus nouveaux) pour un montant estimé à environ 500 millions d'euros .

Au total, l'ensemble du groupe ferroviaire pourrait réaliser des économies pour un montant proche de 1,9 milliard d'euros à une échéance comprise entre 2020 et 2025 .

2. Par un effort de l'État

Dans le cadre de la réforme ferroviaire, l'État va également consentir un effort qui représente un gain d'environ 500 millions d'euros pour SNCF Réseau .

D'une part, il accepte de ne plus recevoir de dividendes de la part de SNCF Mobilités.

Désormais, l'EPIC de tête SNCF pourra percevoir « un dividende sur le résultat de SNCF Mobilités. [...] Le montant de ce dividende est fixé après examen de la situation financière de SNCF Mobilités et constatation, par le conseil de surveillance, de l'existence de sommes distribuables. Il est soumis, pour accord, à l'autorité compétente de l'État » (nouvel article L. 2102-17 du code des transports, créé par l'article premier du présent projet de loi).

Parallèlement, SNCF Réseau pourra percevoir « le produit des dotations versées par la SNCF » (4° de l'article L. 2111-24 du code des transports, créé par l'article 2 du présent projet de loi).

Comme le montre le schéma ci-dessous, les dividendes de SNCF Mobilités seront transférés, via l'EPIC de tête, à SNCF Réseau .

La trajectoire financière retenue par les établissements et les pouvoirs publics prévoit que, d'ici 2020, environ 300 millions d'euros seraient ainsi distribués. Cette somme correspond à un gain de 500 millions d'euros pour SNCF Réseau car elle permet « une réduction de l'endettement en raison de l'économie générée par les frais financiers évités » 27 ( * ) .

Par ailleurs, une disposition introduite dans le premier projet de loi de finances rectificative pour 2014 permet au groupe public de se constituer en groupe fiscal (intégration fiscale). L'ensemble des bénéfices et des déficits fiscaux de SNCF, SNCF Mobilités, SNCF Réseau et de leurs filiales seront ainsi mutualisés, permettant de réduire l'impôt sur les sociétés dû . Le tableau ci-dessous rappelle la chronique de versement d'impôt sur les sociétés par SNCF Groupe.

Montant de l'impôt sur les sociétés versé par SNCF Groupe

(en millions d'euros)

Année

2009

2010

2011

2012

2013

205

95

295

346

166

Source : ministère des finances et des comptes publics

Le bénéfice de l'intégration fiscale n'est pas, à ce jour, chiffré. Le ministère des finances et des comptes publics indique en effet que « le montant des impôts qui seront versés est très sensible aux trajectoires financières des établissements. Or ces trajectoires ne sont pas arrêtées à ce stade. Il n'est donc pas encore possible » d'évaluer cette mesure. Il souligne également que la mise en oeuvre du pacte de responsabilité devrait avoir un impact positif sur les comptes du groupe ferroviaire sans être en mesure de le quantifier.

3. Par la mise en place de garde-fous
a) Une mission de surveillance de la trajectoire financière confiée au régulateur

Conformément au nouvel article L. 2111-10 du code des transports, créé par l'article 2 du présent projet de loi, « SNCF Réseau conclut avec l'État un contrat d'une durée de dix ans, actualisé tous les trois ans pour une durée de dix ans. Le projet de contrat et les projets d'actualisation sont soumis pour avis à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et cet avis est rendu public ».

En particulier, le contrat déterminera :

« La trajectoire financière de SNCF Réseau et dans ce cadre :

« a) Les moyens financiers alloués aux différentes missions de SNCF Réseau ;

« b) Les principes qui seront appliqués pour la détermination de la tarification annuelle de l'infrastructure [...] ;

« c) L'évolution des dépenses de gestion de l'infrastructure [...] ainsi que les mesures prises pour maîtriser ces dépenses et les objectifs de productivité retenus ;

« d) La chronique du taux de couverture du coût complet à atteindre annuellement ainsi que la trajectoire à respecter du rapport entre la dette nette de SNCF Réseau et sa marge opérationnelle ».

Outre celui sur le projet de contrat, l'ARAF rend également un avis sur chaque projet de budget de SNCF Réseau, qui vérifie qu'il tient compte de la trajectoire financière définie par le contrat. À cet égard, si elle constate que « SNCF Réseau a manqué à ses obligations contractuelles ou que la trajectoire financière s'est écartée de celle prévue au contrat, elle en analyse les causes et peut recommander au conseil d'administration de SNCF Réseau de mettre en oeuvre des mesures correctives appropriées ».

Ainsi que le soulignait Jacques Rapoport, président de RFF, lors de son audition devant la commission du développement durable, « on ne met pas assez en lumière le renforcement considérable des pouvoirs de l'ARAF. Celle-ci devra émettre un avis, ce qui n'est pas rien, sur les équilibres financiers de SNCF Réseau. C'est capital. L'un de vous a expliqué que RFF subit des pressions pour s'endetter. Je le confirme, mais RFF ne sera plus seul. L'ARAF pourra attirer l'attention sur le fait que cela plombe le système ! C'est un élément de régulation très fort » 28 ( * ) .

Devant la commission des finances, Alain Quinet, directeur général délégué de RFF, avait, pour sa part, estimé qu'il faut « une tutelle et une régulation forte. Il est tout aussi important de mentionner le rôle du régulateur . [...] Si nous sommes unifiés un jour, nous n'aurons plus d'excuses pour ne pas être performants et productifs. Un des rôles du régulateur, comme dans les autres secteurs régulés, est de pousser le gestionnaire d'infrastructure à plus d'efficacité année après année » 29 ( * ) .

b) Une règle prudentielle renforcée en matière d'investissements

Ces dernières années, la dette de RFF a progressé notamment du fait d'importants investissements de développement. La Cour des comptes relève en effet que « la protection instaurée par l'article 4 du décret du 5 mai 1997 présente, par ailleurs, des faiblesses dans ses modalités de calcul et dans la prise en compte d'aléas de financement. Ces modalités de calcul sont suffisamment malléables pour permettre de moduler dans certaines limites la participation de RFF, comme l'attestent les relevés de certains débats en conseil d'administration .

« D'une manière générale, RFF semble parfois considérer qu'il est de son devoir de mettre en oeuvre les décisions prises dans d'autres enceintes, sans considération de l'impact économique réel des projets pour l'établissement et des conséquences sur son endettement futur. Les services de l'établissement, techniquement compétents, ont ainsi pour souci premier de répondre aux sollicitations de ses tutelles, tant au siège qu'en régions. Dans un jeu d'acteurs poussant au développement de ces projets, l'établissement n'apparaît ainsi pas assez modérateur dans le sens de son intérêt social » 30 ( * ) .

C'est ainsi, comme le rappelait Jacques Rapoport, que, « quoi que l'on fasse, nous aurons, avec les quatre LGV en cours, 10 milliards d'euros de dette supplémentaires ! Nous demandons donc simplement, pour l'avenir, que les décideurs soient les payeurs » 31 ( * ) .

C'est pourquoi, dès le projet de loi initial, le Gouvernement a entendu introduire une « règle d'or » - ou règle prudentielle - renforcée par rapport à l'actuelle disposition de l'article 4 des statuts de RFF , évoquée plus haut, et qui n'a, de toute évidence, pas atteint son but.

Dans sa version issue du texte adopté par l'Assemblée nationale, cette règle prudentielle renforcée prévoit que les investissements de développement sont appréciés au regard de ratios comme, par exemple, la dette nette de SNCF Réseau sur sa marge opérationnelle. S'il apparaît que ces ratios dépassent les seuils fixés par décret, alors SNCF Réseau ne peut participer au financement de l'infrastructure, lequel sera intégralement à la charge de l'État, des collectivités territoriales ou de tout autre demandeur. Dans le cas contraire, la règle de l'article 4 des statuts s'applique.

Dans tous les cas, l'ARAF émet un avis « sur le montant global des concours financiers devant être apportés à SNCF Réseau et sur la part contributive de SNCF Réseau ». Comme le note l'établissement, « l'expérience acquise par RFF avec la pratique de ?l'article 4? suggère de renforcer la protection offerte par la règle d'or en donnant explicitement à l'ARAF un droit d'avis motivé sur la contribution financière du gestionnaire d'infrastructure à ces investissements » 32 ( * ) .

4. Un indicateur central : la couverture du coût complet

Le document de référence du réseau pour l'horaire de service 2014 définit ainsi le coût complet du réseau : c'est « le coût économique de long terme de l'infrastructure correspondant au maintien du réseau principal dans sa consistance actuelle » 33 ( * ) .

Dans le document précité, au 20 août 2012, le coût complet du réseau existant est estimé à 7,3 milliards d'euros , à raison de :

- 3,3 milliards d'euros de coûts d'exploitation courants (entretien et exploitation) ;

- 2,3 milliards d'euros d'amortissements économiques, « reflétant le besoin moyen de rénovation » ;

- 1,7 milliard d'euros de rémunération du capital pour couvrir le coût des charges financières et les risques.

Toutefois, dans les réponses au questionnaire de votre rapporteur, RFF calcule que le coût complet, en 2012, serait de 7,8 milliards d'euros, mais sans indiquer la répartition entre les différents facteurs de coûts.

Le document de référence du réseau souligne également que « la couverture du coût complet par les recettes commerciales, les recettes budgétaires et les autres ressources de RFF constitue un repère de l'équilibre économique du gestionnaire ». Il a donc vocation à atteindre 100 % .

À ce jour, et sur la base des réponses de RFF, le coût complet ne serait couvert qu'à 80 %. Autrement dit les péages, les ressources propres et les recettes apportées par l'État et les autres collectivités publiques, soit un montant total de 6,3 milliards d'euros, sont insuffisants pour le couvrir. En conséquence, l'établissement est contraint de s'endetter pour assurer la maintenance du réseau.

Le projet de loi a donc inscrit la couverture du coût complet comme étant l'un des objectifs inscrits dans le contrat signé entre l'État et SNCF Réseau.

L'article L. 2111-10 du code des transports (créé par l'article 2 du présent projet de loi) mentionne en outre que l'ARAF rend son avis sur le projet de contrat en prenant en compte « l'objectif de couverture du coût complet dans un délai de dix ans à compter de l'entrée en vigueur du premier contrat entre SNCF Réseau et l'État ».

S'agissant des ressources de SNCF Réseau, une autre disposition prévoit que, « tant que le coût complet du réseau n'est pas couvert par l'ensemble de ses ressources, SNCF Réseau conserve les gains de productivité qu'il réalise ». Autrement dit, il n'est pas possible d'imposer à SNCF Réseau une diminution ou bien une moindre augmentation de ses ressources (péages ou subventions publiques) en arguant du fait que l'établissement réalise des gains de productivité.


* 26 Audition du 4 juin 2014.

* 27 Réponse du Gouvernement au questionnaire du rapporteur.

* 28 Audition du 11 juin 2014.

* 29 Audition du 26 septembre 2012.

* 30 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.

* 31 Audition du 11 juin 2014 devant la commission du développement durable.

* 32 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 33 Annexe 10. 1 Principes de la tarification des prestations minimales.

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