B. DES EFFETS PERTURBATEURS SUR L'EMPLOI
Une OPA s'adresse d'abord aux actionnaires de la société visée. Néanmoins, qu'elle soit amicale ou hostile, elle reste un moment de profonde incertitude, d'insécurité, pour les salariés de ladite société, surtout si elle a vocation à être suivie d'une fusion .
Les études économiques relatives aux effets des OPA sur l'emploi sont encore lacunaires et demandent à être interprétées prudemment.
En 2012, un groupe de juristes et d'économistes a remis à la Commission européenne un rapport d'évaluation 3 ( * ) de la directive OPA de 2004. Les auteurs montrent que les OPA ont conduit à une destruction nette d'emplois en Europe sur la période 2002-2010 .
Mais ils soulignent immédiatement que les données disponibles sont très partielles puisque ce résultat ne repose que sur des données publiquement disponibles. En outre, en excluant l'année 2007, qui est atypique, les auteurs constatent que les OPA ont certes conduit à une destruction nette d'emplois, mais à niveau très inférieur aux « restructurations internes ». Sur la période, pour un total d'environ 1,8 million destructions d'emplois, 110 000 étaient liées à des fusions et acquisitions .
Les auteurs relèvent également que les données disponibles ne permettent pas de mesurer les effets à moyen terme sur l'emploi .
Au total, ils indiquent que les coûts sociaux peuvent effectivement être importants, sachant qu'ils peuvent peser plus lourdement sur la puissance publique que sur l'entreprise (socialisation des pertes et privatisation des bénéfices).
Il serait hâtif de conclure que toute OPA se traduit par des licenciements économiques. Néanmoins, leurs effets à court terme peuvent se révéler perturbateurs pour l'emploi dans l'entreprise . À cet égard, le simple dépôt d'une offre, a fortiori hostile, est de nature à créer une inquiétude pour les salariés et les partenaires sociaux mais également les pouvoirs publics.
Dès lors, il n'apparaît pas injustifié que les salariés obtiennent un « droit de regard » préventif sur une offre qui les concerne au moins aussi directement que les actionnaires de l'entreprise . C'est ce que propose l'article 6 de la présente PPL qui introduit une procédure d'information-consultation du comité d'entreprise. De même, l'article 7 offre aux sociétés la possibilité de se constituer un actionnariat salarié significatif, de nature à l'aider à se prémunir contre toute OPA hostile.
C. UN ENJEU DE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE
Parmi les 500 plus grandes entreprises au monde, en termes de chiffre d'affaires, 31 seraient françaises 4 ( * ) , dont deux parmi les vingt premières. C'est évidemment une chance pour l'économie française qu'il convient de préserver.
En 2007, notre ancien collègue Christian Gaudin, rapporteur de la mission commune d'information sur la localisation des centres de décision, écrivait : « il ne fait pas de doute que le lien de nationalité qui attache une entreprise à un pays, malgré tous les facteurs contemporains tendant à relativiser ce lien, influence, à des degrés variables selon les cas, les choix de cette entreprise » 5 ( * ) .
C'est pourquoi, dans une compétition mondialisée, la France doit à la fois démontrer sa capacité à attirer les investissements internationaux mais également veiller à ce que des appétits « vautours » ne viennent pas dépecer le tissu productif national.
Un subtil équilibre doit donc être trouvé d'autant que, comme le rappelle notre collègue députée Clotilde Valter, rapporteure, des pays comme les Etats-Unis ou la Chine ont mis en oeuvre des mesures de protection de leurs industries.
Ainsi, la mise en place de droits de vote double pour les actionnaires qui restent au minimum deux ans au capital d'une entreprise (article 5 de la PPL) ou la suppression du principe de neutralité des organes dirigeants lors d'une OPA (article 8 de la PPL) participent de cet équilibre délicat en faveur du maintien de l'industrie en France.
* 3 Christophe Clerc, Fabrice Demarigny, Diego Valiante, Mirzha de Manuel Aramendia, A Legal and Economic Assessment of European Takeover Regulation , 2012 .
* 4 Fortune Global 500, Classement 2012 des 500 plus grandes entreprises mondiales, 8 juillet 2013.
* 5 Christian Gaudin, La bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation , n° 347, 22 juin 2007.