B. LES INCERTITUDES NÉES DE L'EXPÉRIENCE DES AUTORITÉS PUBLIQUES INDÉPENDANTES EXISTANTES

Jusqu'au changement de statut du CSA, seules six autorités s'étaient vu dotées de la personnalité morale :

- l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD),

- l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF),

- l'Autorité des marchés financiers (AMF),

- la Haute autorité de santé (HAS),

- la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi)

et le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C).

L'étude du « jaune », créé par l'article 106 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, qui en retrace les crédits, montre que le statut d'autorité publique indépendante recoupe des réalités budgétaires très différentes selon le type de ressources dont les autorités disposent.

1. Une autonomie financière variable selon le type de ressources

Le 1° du I de l'article 34 de la loi organique relative aux lois de finances prévoyant la possibilité d'affecter des impositions de toute nature à une des personnes morales autres que l'État, la principale caractéristique des autorités publiques indépendantes est leur faculté de se voir doter de taxes affectées . Cependant, seules trois autorités existantes font ou ont fait usage par le passé de cette faculté : l'ARAF, l'AMF et la HAS.

Ressources des autorités publiques indépendantes (prévisions pour 2014)

Ressources de l'État

Autres ressources publiques

Ressources propres et autres

Total

Subvention de l'État

Ressources fiscales affectées

AFLD

7 800 000 €

921 000 €

8 721 000 €

part du total

89,44 %

10,56 %

ARAF

0 4 ( * )

part du total

100 %

AMF

78 622 000 €

1 570 000 €

80 192 000 €

part du total

98 %

2 %

HAS

14 800 000 €

0 5 ( * )

29 600 000 €

1 288 810 €

45 688 810 €

part du total

32,39 %

0

64,79 %

2,82 %

HADOPI

6 000 000 €

6 000 000 €

part du total

100 %

H3C

NC*

part du total

100 %

*Non communiqué à la date d'élaboration du « jaune ». Pour information, réalisation 2012 : 8 738 000 €.

Source : commission des lois à partir des données du rapport sur les autorités publiques indépendantes

Encore faut-il noter que, si le législateur choisit d'affecter des taxes aux autorités publiques indépendantes, il se contente d'en encadrer le taux dans une fourchette, sa fixation relevant du pouvoir réglementaire. Ainsi, le taux des taxes affectées à l'AMF est-il fixé par le ministre chargé du budget.

En outre, certaines taxes affectées sont soumises à plafonnement depuis l'introduction de cette mesure par la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012. L'objectif de ce plafonnement est double : ajuster les ressources aux besoins réels des affectataires et les faire contribuer à la maîtrise de la dépense publique. Tel est le cas de la taxe affectée à l'ARAF, plafonnée à 11 000 000 euros de recettes dans les lois de finances pour 2012 et 2013, le produit supplémentaire étant reversé au budget de l'État. Un amendement au projet de loi de finances pour 2014 adopté par l'Assemblée nationale propose également de plafonner la taxe affectée à l'AMF.

D'autres ressources propres peuvent être attribuées aux autorités publiques indépendantes :

- les droits et contributions prévus par les articles L. 821-5 et L. 821-6-1 du code de commerce, auxquels est soumise la profession des commissaires aux comptes, constituent l'unique ressource du H3C, qui ne voient plus ses crédits inscrits au budget de l'État depuis 2008 ;

- l'AFLD touche le produit de prestations d'analyses ou de prélèvements réalisés pour des fédérations internationales ou organisations antidopage étrangères ;

- l'AMF se rémunère à hauteur de 2 % par la vente de publications et l'organisation de colloques.

Par ailleurs, à côté de la subvention annuelle provenant du budget de l'État, la HAS bénéficie d'une autre ressource publique : une dotation de l'assurance maladie dont le montant est fixé par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale, qui couvrira près de 65 % de ses ressources en 2014.

Entendu par votre rapporteur, le CSA a mis en avant la pratique selon laquelle les autorités publiques indépendantes échapperaient à la régulation budgétaire. Il convient de noter toutefois que les trois autorités publiques indépendantes qui se voient allouer des subventions, constituant pour deux d'entre elles la majeure partie de leurs ressources, ont connu en 2013 de forts « gels » et « surgels », qui ont atteint jusqu'au tiers du montant des crédits inscrits en loi de finances initiales : 10 % pour l'AFLD, 33 % pour l'HAS et 33,8 % pour l'HADOPI.

Ainsi, à défaut de ressources propres, il apparaît que le gain pour une autorité administrative indépendante de voir son statut évoluer en celui d'autorité publique indépendante n'apporte aucune garantie supplémentaire en termes de ressources provenant de l'État .

2. Une autonomie de gestion encadrée ?

En revanche, la souplesse de gestion semble être effectivement plus grande pour une autorité publique indépendante que pour une autorité administrative indépendante dans la mesure où toutes les décisions sont prises par son organe délibérant et non plus par l'État.

Toutefois, l'introduction à l'article 72 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 d'un plafond d'autorisation des emplois des autorités publiques indépendantes vient encadrer cette autonomie de gestion. Dans l'esprit des auteurs de cette disposition, MM. René Dosière et Christian Vanneste, « il n'y a pas lieu de les exonérer (...) des règles de discipline budgétaire qui s'appliquent aux services de l'État, à ses établissements publics et autres opérateurs, ainsi qu'aux autres autorités administratives indépendantes non dotées de la personnalité morale ». Ainsi, la volonté de rapprocher autorités publiques indépendantes et autorités administratives indépendantes à cet égard apparaît comme évidente.

Dès lors, si la fongibilité des crédits entre titre 2 et autres titres mise en avant par le CSA est réelle, elle est tout de même limitée, dans une certaine mesure, par le plafond d'emploi arrêté en loi de finances.

Pour autant, un doute subsiste sur la valeur réellement contraignante de ce plafond d'emplois. Comme l'expliquait la rapporteure générale de la commission des finances du Sénat en 2011 en effet, « dans le cas des opérateurs [également soumis à plafond d'emplois depuis le 1er janvier 2009], ce plafond est présenté comme le mandat donné aux représentants de l'État siégeant dans les instances chargées de voter les budgets. Les API, si elles ont en commun avec les opérateurs d'avoir la personnalité morale, sont indépendantes et par conséquent aucun représentant de l'État ne siège dans leurs collèges. Le plafond qu'il est proposé de leur appliquer pourrait donc être soit trop rigide, soit inopérant . » 6 ( * ) Aucune clarification n'ayant été apportée jusqu'à présent, il existe donc une incertitude sur le caractère réellement limitatif du plafond d'emplois fixé pour une autorité publique indépendante en loi de finances.

À la lumière de ces éléments, votre rapporteur, qui s'était elle-même interrogée par le passé sur l'opportunité d'attribuer au Défenseur des droits le statut d'autorité publique indépendante, a de nouveau questionné celui-ci à ce sujet. À moins d'une évolution de ses missions qui rendrait opportun, voire nécessaire, de le doter de la personnalité morale, le Défenseur des droits a indiqué qu'il ne souhaitait pas voir son statut modifié.

*

* *

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de son sous-amendement, votre commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au programme n° 308 : « Protection des droits et libertés » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » dans le projet de loi de finances pour 2014.


* 4 L'ARAF est financé par un prélèvement obligatoire auquel sont soumises les entreprises ferroviaires utilisant le réseau ferroviaire. En 2014, l'ARAF a proposé que les excédents de ressources dont elle dispose reviennent exceptionnellement aux entreprises ferroviaires qui acquittent la taxe affectée ; elle a en conséquence pris une délibération proposant de fixer à zéro euro le droit fixe pour l'année 2014. À titre indicatif, ce droit lui a rapporté 10 750 000 euros en 2012.

* 5 La HAS peut bénéficier de deux ressources fiscales affectées : une fraction de la taxe sur les dépenses engagées par les laboratoires pharmaceutiques et la taxe "guichet".

* 6 Cf. Rapport général sur le projet de loi de finances pour 2012, fait par Mme Nicole Bricq au nom de la commission des finances (n° 107, 2011-2012, tome III)

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