EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2013, la commission a examiné les crédits relatifs aux « transports aériens » de la mission « Ecologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2014.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur . - Il me revient à nouveau de vous présenter les crédits relatifs au transport aérien pour l'année 2014.

En guise d'introduction, voici quelques éléments de contexte. Après avoir connu en 2009 la plus grave crise de son histoire, le transport aérien a renoué avec la croissance. En 2012, le seuil des 3 milliards de passagers transportés a été atteint à l'échelle mondiale, ce qui représente une hausse de 4,7 % par rapport à 2011. Mais cette croissance n'est pas équitablement répartie, et profite surtout aux compagnies du Golfe et des pays émergents.

La situation française est, elle, relativement contrastée, comme en témoignent les fortunes diverses de nos champions nationaux.

D'un côté, l'industrie aéronautique poursuit sa trajectoire à succès. Le chiffre d'affaires d'EADS a bondi de 15% en 2012, pour atteindre 56,5 milliards d'euros. Airbus détient un carnet de commandes de 13 200 avions représentant 520 milliards d'euros et l'équivalent de 8 années de production. Comme son concurrent Boeing, le constructeur se trouve dans la situation enviée de ne pas produire assez pour des clients qui veulent être livrés rapidement.

De l'autre côté, la situation d'Air France reste préoccupante. Au cours des cinq dernières années, la compagnie n'a pas connu d'exercice bénéficiaire. L'année 2012 a été véritablement inquiétante avec une perte nette de près d'un milliard d'euros. L'endettement s'est fortement accru depuis 2008 et atteint environ 6 milliards d'euros au début 2013.

A un niveau intermédiaire se trouve Aéroports de Paris, qui enregistre un résultat net de 341 millions d'euros en 2012 malgré le faible dynamisme du trafic passager (+0,8%). Cette performance s'appuie notamment sur une hausse des redevances, effective au 1er avril 2012.

Air France comme ADP ont engagé des plans de départs volontaires et de réduction des coûts. Du côté d'ADP, 32 millions d'euros d'économies ont été décidés en 2013, avec pour objectif de réaliser 80 millions d'euros d'économies structurelles à horizon 2015. Les négociations en vue d'un plan de départs volontaires de 370 postes dès 2014 ont été ouvertes. Quant à Air France, la compagnie a besoin de compléter son plan Transform 2015 par un nouveau plan de départs volontaires de 1 826 postes.

Voilà pour le contexte, j'en viens à présent à la présentation des crédits 2014. Pour mémoire, les crédits budgétaires alloués aux transports aériens figurent, d'une part, au budget annexe « Contrôle et exploitation aériens » (BACEA) qui regroupe les crédits de la navigation aérienne et des opérations de contrôle et de sécurité, d'autre part, au programme 203 de la mission « Ecologie », dans les actions 11 et 14 relatives aux infrastructures de transport et au soutien des lignes pour l'aménagement du territoire.

En 2014, le budget annexe contrôle et exploitation aériens (BACEA) sera en hausse d'environ 2 % pour atteindre 2,37 milliards d'euros bruts. Par rapport aux prévisions antérieures, retenues dans le cadre de la programmation triennale, le BACEA anticipe une dégradation probable des recettes de navigation aérienne. Ce recul, déjà perceptible en 2013, a conduit la DGAC à mettre en place des mesures de régulation budgétaire : 75 millions d'euros ont été inscrits en réserve de crédits, répartis à parts égales sur les dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Les efforts de maîtrise de la dépense se poursuivent, avec 5 millions d'euros d'économies sur les dépenses de fonctionnement et 10 millions d'euros d'économies sur les dépenses de personnel par rapport à la loi de programmation des finances publiques. Le schéma d'emploi pour l'année 2014 prévoit 100 nouvelles suppressions d'emplois, ce qui devrait porter le plafond théorique à 10 925 emplois, pour un niveau réel compris entre 10 700 et 10 800 agents.

Cet exercice est néanmoins chaque année de plus en plus difficile. En effet, les efforts de productivité ont déjà été faits et les marges d'action sont à rechercher désormais dans la rationalisation territoriale avec un recours important aux technologies de l'information et de la communication, mais celles-ci nécessitent des moyens financiers.

Pour cette raison, l'année 2014 est marquée par une volonté de relancer les investissements. Il est en effet apparu qu'un retard dans la mise en service d'opérations essentielles engendrerait des surcoûts qui ne feraient qu'aggraver la situation financière du budget annexe. Certaines opérations sont en effet liées à des engagements européens exposant à des sanctions comme le programme « Data Link ».

La DGAC bénéficiera d'une augmentation de 62 millions d'euros pour ses crédits d'investissement dans le PLF 2014 par rapport à la LFI 2013. Rapportée aux prévisions 2014 effectuées lors de la construction du triennal 2013-2015, l'augmentation s'élève à 42 millions d'euros financée à hauteur de 37 millions d'euros par l'emprunt.

Ce nouvel emprunt creusera un peu plus l'endettement du budget annexe qui atteindra un pic en 2014 : 1 282 millions d'euros, en hausse de 3,5 %. Nous sommes loin de la stabilisation annoncée dans le triennal 2013-2015.

Sans remettre en cause le bien-fondé de ces investissements, je m'interroge sur la réelle capacité de la DGAC à organiser son désendettement. Les exigences européennes ne sont pas une nouveauté. Chaque année. La DGAC demande des crédits supplémentaires, qui ont ensuite vocation à faciliter le désendettement. Mais ce désendettement peine à s'amorcer, alors que de nouvelles contraintes continuent à s'ajouter. Compte tenu de la faiblesse des perspectives économiques et du trafic, la crédibilité du scénario de désendettement de la DGAC me laisse de plus en plus perplexe.

Certes, l'affectation totale du produit de la taxe d'aviation civile (TAC) au budget annexe est peu envisageable à court terme, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté à trouver un gage au niveau du budget général. Mais sans doute faudra-t-il tout de même réfléchir à une approche structurelle de ce type, par paliers, si l'on espère un jour juguler la spirale de l'endettement. Car il faut se réjouir pour l'heure que les charges financières diminuent, compte tenu du niveau des taux d'intérêts. Elles baissent de 38,1 millions d'euros en LFI 2013 à 36,6 millions d'euros dans le PLF 2014. Mais cette situation ne se prolongera pas indéfiniment.

En ce qui concerne le programme 203 relatif aux infrastructures et services de transports, il est dans la continuité des budgets précédents. À noter tout de même que le financement des lignes d'aménagement du territoire (LAT) se veut de plus en plus sélectif depuis deux ans. Les crédits sont recentrés sur les liaisons vers les collectivités les plus enclavées et celles pour lesquelles une desserte aérienne est critique pour le maintien de l'activité économique.

Mais en matière d'aménagement du territoire, le sujet va bien au-delà de ces seules lignes. Les aides des collectivités aux aéroports régionaux sont en suspens à Bruxelles. Le Sénat a adopté, le 3 novembre dernier, une résolution européenne sur ce point, dont j'ai été le rapporteur pour la commission du développement durable. Cette résolution appuie la position du gouvernement en faveur de l'introduction d'une nouvelle catégorie pour les petits aéroports, qui pourraient ainsi bénéficier d'un régime d'aides plus souple. Nous devons suivre ce débat car il n'est pas assuré que la position défendue par la France soit entendue par la Commission, et plusieurs aéroports régionaux sont potentiellement menacés de fermeture en l'état actuel du droit.

Les petits aéroports ne sont pas l'unique sujet d'inquiétude. L'enlisement du projet d'aéroport Grand Ouest n'est pas de nature rassurante pour les finances publiques, et il ne faudrait pas que Notre-Dame-des-Landes devienne synonyme de gouffre financier. L'absence de perspectives claires, jusqu'au plus haut niveau de l'État, n'est pas vraiment tenable à terme.

Je souhaite attirer votre attention sur un point qui me paraît crucial et que nous avons plusieurs fois évoqué. La France est, avec l'Allemagne, le pays qui comporte le plus d'infrastructures aéroportuaires. Elle hérite d'un maillage historique particulièrement dense, avec de nombreuses petites plateformes peu rentables, qui assurent l'accessibilité de certaines régions moyennant des subventions à destination de certaines lignes ou de certaines infrastructures. Il est bien entendu nécessaire de rationaliser l'organisation géographique de nos infrastructures aéroportuaires. Mais ce travail doit se faire dans le cadre d'une réflexion à l'échelle nationale sur une véritable stratégie d'aménagement, et non dans l'urgence liée à des impératifs purement financiers.

L'équilibre des relations entre ADP et Air France est déterminé dans le cadre du contrat de régulation économique (CRE) d'ADP. Ce contrat permet de définir les objectifs de performance et d'investissement de l'entreprise et a notamment pour vocation de définir le plafond d'évolution des tarifs des redevances aéroportuaires les plus significatives. Il fixe le niveau des redevances que les compagnies aériennes paient à ADP. Or il ne faut pas oublier qu'Air France représente plus de 50 % du trafic d'ADP. Des redevances élevées pèsent sur la compétitivité de la compagnie française, qui est déjà dans une situation difficile.

Le problème est qu'avec 50,6 % du capital d'ADP, l'État peine à définir une stratégie claire. L'Agence des participations de l'État (APE) tient un discours purement financier. Sous la contrainte budgétaire, elle pousse à la rentabilité d'ADP, ce qui signifie des redevances élevées et une baisse de l'investissement. L'objectif d'une rentabilité des capitaux investis égale au coût moyen pondéré du capital est certes louable sur le plan financier, mais n'inclut pas l'ensemble de la chaîne de valeur à long terme. Il ne faut pas qu'ADP ajoute aux difficultés de son principal fournisseur. En tant qu'arbitre du CRE, l'État doit se positionner. Le 2ème CRE est défini pour la période 2011-2015, le 3ème CRE est déjà en négociation pour la période 2016-2020. Il faudra veiller à ce que la chaîne de valeur dans son ensemble reste équilibrée.

Deux éléments plus positifs sur ADP. La stratégie de croissance externe en Turquie se révèle payante pour le moment. Pour rappel, ADP a investi en 2012 plus de 700 millions d'euros dans le rachat de 38 % du groupe aéroportuaire TAV, concessionnaire jusqu'en 2021 du principal aéroport d'Istanbul, Atatürk. Malheureusement, cette opération est intervenue juste avant la décision du gouvernement turc au mois de mai 2013 de construire un nouvel aéroport international à Istanbul, confié à un autre consortium turc. Mais ce projet semble prendre quelques retards, et en attendant, ADP bénéficie à plein de la forte croissance de l'aéroport Atatürk, 15 % en 2013 selon les prévisions.

L'autre élément positif est qu'ADP souhaite s'impliquer plus nettement dans le projet CDG Express, dont la mise en service est envisagée à horizon 2023. Toutes les questions ne sont pas réglées, notamment la contribution des passagers au financement de cette desserte directe et dédiée. Saluons néanmoins les efforts fournis pour avancer sur ce projet, qui permettra d'élever Paris-Charles de Gaulle au même niveau que la plupart des grands aéroports internationaux.

L'échec de la tentative de fusion entre EADS et BAE Systems en 2012, s'est traduit par une profonde remise à plat de la gouvernance et de la stratégie du groupe. L'objectif 50-50 entre le civil et le militaire a été abandonné, au profit d'un équilibre 80-20 au bénéfice du civil et de nouvelles cibles de rentabilité. En d'autres termes, EADS se « normalise » et adopte de plus en plus un comportement d'entreprise privée. Cela se traduit par une évolution du pacte d'actionnaires, qui voit les parts des États français et allemand chuter à 12 %, ces derniers n'ayant plus de représentant direct au conseil d'administration. Le groupe connaît une profonde restructuration interne, et abandonne d'ailleurs, à partir de l'année prochaine, son nom, au profit de celui de sa principale filiale, Airbus. Derrière ce changement cosmétique se dessine surtout une perspective nouvelle.

Au-delà du discours nécessairement rassurant du groupe sur la solidité de son enracinement européen, EADS envisage son avenir sur notre territoire mais aussi de plus en plus à l'international. Les relais de croissance se situent en Asie et au Proche Orient. Le chiffre d'affaires du groupe a bondi de 7 à 25 % entre 2002 et 2011 en Asie, contre une baisse de 40 à 13 % en Amérique et de 48 à 46 % en Europe. Aujourd'hui, la majeure partie du carnet de commandes d'Airbus se trouve à l'Est. Et on observe bien que le groupe dessine peu à peu la carte de son implantation en Chine, qui va bien au-delà de la seule chaîne d'assemblage d'A320 à Tianjin. Des partenariats se tissent avec des entreprises d'Harbin, Chengdu, Xi'an, Shenyang, Shanghai. Un centre d'ingénierie est implanté à Pékin, et le groupe se rapproche de centres de formation et de recherche coopérative. Des lots entiers du nouvel A350XWB seront confiés à l'industrie chinoise, comme les gouvernes de direction et de profondeur, ou les panneaux sandwich du carénage ventral.

Il est de bon sens qu'une entreprise cherche à se rapprocher de son marché cible et qu'elle élabore un tissu industriel dans cette perspective. Mais il y a lieu de veiller à ce que cela ne se traduise pas par moins d'activité sur notre territoire. La croissance globale des commandes nous prémunit pour l'instant contre ce risque. Plus largement, c'est toute la question de la stratégie de l'État actionnaire qui est posée.

L'année 2013 n'aura pas manqué d'actualité sur ce point. L'État vient encore il y a quelques jours de céder 4,7% de Safran, après une première cession de 3,12 % en mars dernier. Outre EADS, l'État a également cédé 9,5 % d'ADP l'été dernier, au profit du groupe de BTP Vinci et de l'assureur Prédica. Ces opérations sont rentables : les cessions Safran rapporteront 1,3 milliard d'euros à l'État, celle d'EADS 1,2 milliard et ADP 740 millions. Mais elles ne sont dictées que par la seule urgence budgétaire. Or nous arrivons aujourd'hui à un stade où les cessions n'ont pas seulement des conséquences financières. Le poids de l'État au conseil d'administration de ces entreprises est en jeu, et, derrière, notre capacité à conserver des orientations stratégiques à long terme. Le rôle de garant des orientations à long terme que l'État remplit est donc menacé. Le secteur aérien est un secteur de long terme, dans lequel le moindre investissement se calcule à horizon 20 ou 30 ans. Si l'État se dépossède de tous ses leviers d'action dans ce domaine, cela ne sera pas sans conséquence.

La France est actuellement le seul pays au monde avec les États-Unis à disposer d'une industrie complète, constructeurs et équipementiers, maîtrisant l'ensemble des compétences nécessaires à la définition et à la construction d'un aéronef. L'industrie nationale est présente dans tous les segments de marché (avions de transport, avions d'affaires, hélicoptères, moteurs, systèmes) en y occupant souvent une place de leader. Nous sommes à la veille de brader ces leviers d'action, d'aucuns diront ces bijoux de famille, et cela ne sera pas sans conséquence pour l'avenir. Nous basculons vers un autre modèle, dans débat et sans volonté industrielle assumée. Surtout, sans vision de ce que le nouveau modèle doit être.

Tout cela n'est pas sans lien avec la perte de visibilité dans le domaine de la recherche aéronautique. Pour l'heure, le secteur salue les engagements du programme Investissements d'avenir 2 (PIA 2) de l'ordre de 1,3 milliard d'euros, qui vont notamment permettre le développement tant attendu de trois démonstrateurs technologiques, dont la finalité est la préparation du successeur à l'A320. Mais ce PIA 2 a le même défaut que son prédécesseur. Il fournit du financement à court terme, tout en ne proposant aucune trajectoire pour un secteur qui a plus que tout besoin de visibilité à long terme. Sans cela, les entreprises ne prennent pas les risques nécessaires au développement de tels projets. Ajoutons-y l'effet de signal négatif de la loi de programmation militaire (LPM), qui préserve les grands programmes en jouant sur la cadence et les cibles, mais demeure à la merci de ressources extrabudgétaires. Il est impératif que nous cessions cette dynamique de précarisation de nos investisseurs, sous peine de perdre toute capacité à engager des projets ambitieux de long terme, qui tirent la compétitivité et la croissance de notre économie.

En matière environnementale, l'actualité est dominée par la décision de l'OACI du 4 octobre dernier. Celle-ci écarte définitivement l'application du système ETS au secteur aérien, telle que voulue par la Commission européenne. En revanche, l'accord prévoit de plafonner les émissions de gaz à effet de serre dans le transport aérien pour atteindre une croissance neutre du secteur à partir de 2020 et l'OACI s'est engagée à mettre en place des mesures de marché lors de sa prochaine réunion en 2016.

En attendant d'y voir plus clair sur le contenu de ces mesures, j'attire votre attention sur la continuation de l'initiative de recherche conjointe Clean Sky, dont notre commission a visité le stand au dernier salon du Bourget. Pour rappel, il s'agit d'un partenariat européen de coopération, à parts égales entre le secteur public et le secteur privé, 800 millions d'euros chacun, dont le but est de développer un ensemble de technologies nécessaires pour « un système aérien propre, innovant et concurrentiel ». Clean Sky joue le rôle d'un programme « aval » : lorsque la technologie est mature, il permet aux parties prenantes de se regrouper afin de financer des démonstrateurs intégrés pour des essais au sol ou en vol. De l'aveu général, ce programme est un succès. Mais certains pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas demandent une révision à la baisse du budget pour Clean Sky 2 après 2017, au motif que les universités et centres de recherche ne seraient pas suffisamment inclus dans le programme. La France, première bénéficiaire du programme, a tout intérêt à défendre avec fermeté le budget public de 1,8 milliard d'euros actuellement envisagé.

Au vu des éléments que je viens de vous présenter, je vous propose un avis de sagesse sur ces crédits.

M. Raymond Vall . - Je remercie le rapporteur de son exposé, mais aussi d'avoir organisé notre visite au salon du Bourget, qui avait été très intéressante.

M. Michel Teston . - Je ne sais comment interpréter l'avis de sagesse. Est-il destiné à nous inviter à adopter les crédits ? Ou à respecter les positions des uns et des autres ?

Le rapporteur a bien fait de présenter le contexte mondial, s'agissant d'un secteur totalement ouvert à la concurrence. Il a insisté sur les difficultés des compagnies nationales européennes. Il a mis l'accent sur le fait que l'industrie aéronautique française est ascendante, tout en relevant les interrogations qui subsistent quant à son positionnement et à l'implantation de ses usines. Il a porté une appréciation nuancée sur Aéroports de Paris (ADP). Certes cet établissement a un résultat net de 340 millions d'euros, mais celui-ci résulte d'une hausse des redevances et pas nécessairement d'une activité plus soutenue.

Cette année encore, l'équilibre du budget annexe « contrôle et exploitation aériens » (BACEA) rend nécessaire l'emprunt de 267,7 millions d'euros. L'encours de la dette va approcher 1,3 milliards d'euros, ce qui constitue à mon sens une interrogation pour l'avenir.

En ce qui concerne les compagnies aériennes, les plans qui ont été mis en place ont tout juste permis de stabiliser la situation. Il n'y a eu ni amélioration ni retour à la situation antérieure.

J'en viens aux aspects positifs. Les moyens du BACEA ont augmenté pour les opérations courantes comme pour l'investissement. En déduisant les amortissements, le budget net est en hausse de 3%.

J'interprète donc l'avis de sagesse du rapporteur comme une invitation à voter de façon positive ces crédits.

M. Louis Nègre - C'est un sujet délicat. Nous accumulons les déficits et avons de moins en moins d'argent : il y a un véritable problème. Je retiens deux éléments.

Premièrement, il y a une véritable alerte sur toutes nos compagnies nationales, quel que soit le mode de transport. Nous avons vu les difficultés du pavillon maritime à l'instant, l'aérien est caractérisé par six milliards de dette, je ne parle pas de la SNCF ni de RFF...

M. Michel Teston . - C'est surtout chez RFF que l'endettement est élevé...

M. Louis Nègre . - La SNCF est aussi endettée, même si c'est à un niveau moindre. Je préférerais pour ma part qu'elle soit bénéficiaire.

L'alarme est rouge vif sur notre tableau de bord. Nous devons réfléchir à la gouvernance, la gestion et la compétitivité, faute de quoi nous allons perdre du terrain.

Un montant de six milliards de dette est très préoccupant. Nous ne pouvons continuer ainsi. Nos entreprises devraient être au moins équilibrées, voire bénéficiaires. Sinon, c'est le contribuable qui paie, y compris les couches les plus modestes.

Le deuxième sujet concerne la vente des bijoux de famille. Nous pouvons comprendre de telles ventes en période de fort endettement. Mais après, nous ne savons plus où nous en sommes. Tout dépend du curseur, et de la question de savoir si nous arrivons à garder le contrôle ou non. Je ne sors donc pas un carton rouge comme sur le sujet précédent, mais un carton jaune.

Les quelques milliards de dette de la SNCF, qui n'effraient pas Michel Teston, ont empêché la SNCF d'acheter Arriva, un bijou de famille extraordinaire. Arriva a donc atterri dans les mains de la DB, qui est bénéficiaire. Nous avons ainsi perdu des parts de marché et des emplois.

Avec cette vente des bijoux de famille, je me demande encore une fois où est ma gauche, comme lorsque nous avons évoqué la hausse du taux de TVA sur les transports.

M. Raymond Vall . - Vous avez fait mieux avec les autoroutes...

M. Louis Nègre . - Vous avez le droit de le dire.

C'est une question centrale pour l'avenir de notre pays, qui n'a pas reçu de réponse. Nous avons besoin d'une politique économique et industrielle à long terme. Que doit-on faire avec nos partenaires asiatiques, chinois notamment ? Il y a des politiques françaises différentes en fonction des types de matériel. Dans le ferroviaire, nous constatons que les Chinois viennent d'arriver en Europe. Nous devons avoir une stratégie vis-à-vis de l'Asie.

La sonde récemment envoyée sur mars a été fabriquée en Inde. Il s'agit d'une technologie très avancée : la Russie et la Chine avaient échoué auparavant. En outre, les coûts de production de ce pays émergent sont dix fois moindres que chez nous. Nous avons du souci à nous faire pour la France.

M. Charles Revet . - Je voudrais revenir sur la situation de notre compagnie nationale. Jusqu'où va-t-on pouvoir aller en termes d'endettement ? Avec l'Europe, nous ne pouvons plus faire ce que nous faisions il y a quinze ou vingt ans, il faut l'avoir à l'esprit. Nous devons faire attention à l'évolution des implantations d'EADS, qui s'étendent aujourd'hui jusqu'à la Chine.

Nous allons nous abstenir sur ces crédits, c'est ainsi que nous interprétons l'avis de sagesse. Peut-être qu'un jour nous pourrons avoir un débat de fond sur ce thème. Il serait intéressant que la commission puisse s'investir dans ces deux sujets que sont l'aérien et le maritime. Nous jouerions ainsi un rôle d'investigation en profondeur, peut être en lien avec la Cour des comptes, qui fait parfois des rapports très intéressants, comme sur le rail, et de proposition.

M. Raymond Vall . - Compte tenu des contacts que nous avons établis avec l'Agence spatiale européenne, nous pourrions les rencontrer une nouvelle fois pour approfondir le sujet qu'a évoqué Louis Nègre à l'instant. Cette solution a l'avantage d'être facile et rapide à mettre en oeuvre.

Le problème de l'aviation au sens large me semble un peu plus compliqué. Nous avions reçu le candidat à la présidence d'Air France, Alexandre de Juniac. Alors qu'il était encore candidat, il avait dressé des perspectives très noires. Je crois me souvenir que le chiffre qu'il avait annoncé était de 11 milliards d'euros d'endettement, tout confondu.

M. Jean-Jacques Filleul . - Je suis très favorable à cette investigation. Nous devons le faire pour les ports. Pour l'aérien, il est vrai que le sujet est plus complexe. En même temps, les grandes industries nationales ne sont pas en difficulté depuis aujourd'hui seulement. Nous devons approfondir cette question.

M. Raymond Vall . - Le président d'Aéroports de Paris nous a reçus, à sa demande, pour nous tenir informés. Il y a donc une volonté de transparence de ce côté-là. Il ne dépend que de nous de l'entendre une nouvelle fois.

M. Jean-Jacques Filleul . - La situation d'Air France est inquiétante. Lorsque le président d'Air France était venu, il nous avait parlé de plan Transform 2015. Le ministre nous a indiqué qu'il commençait à porter ses fruits même si c'est encore insuffisant, tant l'activité est atone dans le secteur aérien. Mais c'est vrai que des questions se posent par rapport au plan de licenciements plus ou moins volontaires de la compagnie.

M. Vincent Capo-Canellas . - Ce sont des départs, et non des licenciements.

M. Jean-Jacques Filleul . - Effectivement.

Il a aussi été question du fait que nous ne produisons plus assez d'avions pour le marché mondial.

M. Vincent Capo-Canellas . - Je mettrais une petite nuance. C'est plutôt que l'industrie aéronautique a un tel carnet de commandes que son enjeu est de produire pour y répondre. Il ne faudrait pas penser que notre production est défaillante. C'est d'ailleurs une bonne chose que la production soit étalée, parce que ce marché est très cyclique.

M. Jean-Jacques Filleul . - Je le sais, parce que j'ai des entreprises qui fabriquent des tracteurs qui tirent les avions dans ma commune.

Il y a deux points sur lesquels un espoir est possible. Il y a eu un débat sur les participations vendues. Le Premier ministre a bien expliqué à l'époque que nous en avions besoin. Mais il a bien indiqué que l'Etat stratège n'était pas remis en cause. Je voudrais le rappeler.

Je suis par ailleurs très confiant dans l'idée des 34 plans de reconquête industrielle qui visent à développer nos filières. La France a été capable de grands projets : le TGV, Airbus... Il y a un génie français. Nous devons investir dans ces filières dans lesquelles la France doit être gagnante.

Je voterai pour ces crédits.

M. Raymond Vall , président . - Je dois vous laisser, mais je suis plutôt favorable à une sagesse positive.

- Présidence de M. Teston, vice-président -

M. Vincent Capo-Canellas . - J'ai proposé un avis de sagesse, qui se veut bienveillant aujourd'hui mais avec une forte vigilance sur l'avenir. Même si Jean-Jacques Filleul a eu raison de rappeler qu'il y avait le PIA et le plan sur les filières industrielles, j'ai un questionnement sur l'avenir de l'investissement et de la recherche.

En ce qui concerne le plan relatif aux filières industrielles, je ne dirais pas que c'est un jeu de bonneteau, mais il y a une part de recyclage de mesures déjà financées par ailleurs et déjà annoncées.

Je souhaite donc émettre des clignotants. Si on ne prépare pas l'avenir maintenant, dans vingt ans, notre industrie aéronautique risque d'être dans le même état que notre secteur automobile aujourd'hui. Ne nous grisons pas parce qu'il y a des éléments positifs.

Mon avis de sagesse est donc plutôt bienveillant, d'autant plus que la nécessité d'une maîtrise des crédits est un message qui a été entendu par la DGAC. En même temps, des investissements sont nécessaires pour réduire les coûts. C'est un cercle vicieux. Et la DGAC ne peut pas augmenter les redevances. Tant que le trafic ne sera pas reparti, la DGAC aura du mal à se désendetter. Est-ce qu'on peut réduire l'écrêtement de la taxe d'aviation civile, pour qu'une partie revienne dans le budget ? Ce serait vertueux.

Les efforts réalisés au sein d'Air France sont réels. Il y a eu un désendettement. Des échéances compliquées ont été assumées par Air France. Le plan Transform 2015 fonctionne. Mais il n'est pas suffisant au vu de la situation actuelle d'Air France et du trafic. Un nouveau tour de vis a été annoncé. Le management est soucieux du dialogue social et les équipes sont très attachées à la compagnie. Pour autant, la situation reste préoccupante et reste à régler. Et nous ne pouvons pas brûler du capital tous les matins.

Air France a choisi de garder des capacités sur les courts et moyens courriers, alors que British Airways a mis fin à ce type de lignes, ce qui a fait remonter sa rentabilité. Air France pourrait très bien le faire. Le pari d'Air France est de garder son réseau afin de continuer à alimenter le hub de Roissy, mais aussi de redevenir une vraie compagnie mondiale de premier plan, qu'elle n'est plus vraiment aujourd'hui. Nous avons entendu une vraie volonté en ce sens.

En ce qui concerne la relation financière entre Air France et ADP, j'ai évoqué dans mon rapport le contrat de régulation économique (CRE). C'est un sujet extrêmement sensible. On ne peut pas avoir d'un côté ADP, à qui l'APE demande de la rentabilité, avec des redevances maintenues à un niveau élevé, et en même temps, regretter qu'Air France aille mal. Il faut trouver un équilibre. Il y a eu de petites évolutions sur le contrat de régulation de Toulouse. Mais c'est l'une des questions de l'année qui vient. Nous devons faire attention : si nous diminuons les redevances d'ADP, on met l'établissement en difficulté. Cette mesure bénéficierait en outre aussi aux autres compagnies.

En ce qui concerne les participations, je suis d'accord avec la nécessité d'en avoir une vision globale. Il y a eu une première baisse, sans conséquence stratégique. Avec les ventes réalisées jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas perdu de place dans les conseils d'administration. Cette situation est désormais révolue. L'Etat n'est plus au conseil d'administration d'EADS.

M. Jean-Jacques Filleul . - En accord avec les Allemands aussi.

M. Vincent Capo-Canellas . - Oui, mais la conséquence c'est qu'il n'y a plus de représentant de l'Etat au conseil d'administration. Comme l'a relevé l'agence des participations de l'Etat, les investissements prévus dans la loi de programmation militaire seront financés d'abord par le PIA, mais ensuite, en 2015, par la vente des participations aéronautiques de l'Etat. C'est écrit dans la loi. Nous devons réfléchir à notre modèle stratégique. Il y a un changement à la godille si j'ose dire.

Il y a des marchés à conquérir en Asie. C'est bien qu'EADS y aille. Nous devons rester prudents sur les ruptures technologiques, en restant à la pointe et en développant les partenariats. Je prendrai l'exemple des satellites, où nous étions leaders mondiaux. Or, il y a six mois, Boeing a sorti un satellite à propulsion électrique que nous n'avons pas. Or, ces satellites sont moins lourds, parce qu'ils ne transportent pas de carburant. Ils peuvent donc être envoyés en plus grand nombre. Nous avons pris six mois de retard. Cela peut aller très vite.

Les crédits du BACEA sont effectivement marqués par une dette préoccupante.

En ce qui concerne ADP, il y a tout de même eu un réel effort interne, sur la qualité de service et la productivité. Le changement de présidence s'est bien passé. Ce n'est pas rien. Alors que l'ancien président avait une culture aéronautique, et s'était converti au monde de l'entreprise, avec succès, Augustin de Romanet apporte une vision complémentaire intéressante. Il y a une transformation qui va dans le bon sens. Ce ne sont donc pas que les redevances qui font qu'ADP vont bien.

M. Louis Nègre . - Disposez-vous d'un classement des compagnies aériennes au regard de la sécurité ? Il paraît que certains low-cost sont plus sûrs que la compagnie nationale.

Je m'intéresse aussi à la ponctualité des vols. C'est pire que dans le domaine ferroviaire. Nous avons donc a priori deux points de faiblesse, qui devraient nous interpeller.

M. Vincent Capo-Canellas . - Je suis en général prudent lorsqu'il s'agit de classements. Ainsi, un classement des aéroports où il fait bon voyager avait pris comme critère la question de savoir si on pouvait y dormir la nuit... Il faut bien regarder ce qu'il y a derrière un classement.

En ce qui concerne la sécurité, la France a connu des accidents graves. C'est un sujet qui est rarement évoqué. Le taux d'accidentologie est faible, mais les événements sont toujours marquants. En visitant le centre opérationnel d'Air France, nous avons pu constater que les cliquets ont beaucoup été augmentés dans ce domaine. Nous avons tiré les leçons des dernières catastrophes. Il s'agit de questions techniques, mais aussi des conditions de vol. Nous devons effectivement y regarder de plus près.

Sur la ponctualité, la difficulté du transport aérien vient du fait qu'il constitue un tout, composé de l'exploitant aéroportuaire et des sous-traitants, en charge des bagages par exemple. Il peut en outre y avoir des problèmes de navigation, voire de météo. ADP dispose d'indicateurs destinés à permettre que tout se passe bien. Le transport aérien reste toutefois assez différent du transport ferroviaire : soit les conditions sont réunies, et l'avion part, soit elles ne sont pas réunies, et l'avion ne part pas.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « transports aériens » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » du projet de loi de finances pour 2014.

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