INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
1. Le projet de loi de finances pour 2014 est le premier budget d'application de la loi de programmation militaire 2014-2019. Il mérite de ce point de vue une attention particulière.
Vos rapporteurs reviendront sur cette singularité dans le corps du rapport. Mais ils souhaitent appeler votre attention sur le fait que le premier déterminant de la bonne exécution de la loi de programmation tient à l'exécution de la loi de finances pour 2013 et donc du « report de charges » qui en résultera en fin d'année. A l'heure où nous examinons ce projet de budget, le montant de ce report de charge nous est inconnu.
2. Ce projet de loi marque l'apparition d'un nouveau programme : le P402 « excellence technologique des industries de défense ».
Ce nouveau programme s'inscrit dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA) - ou PIA-2 - d'un montant global de 12 milliards d'euros, annoncé par le Premier ministre le 9 juillet 2013 à l'université Pierre et Marie Curie. Il doit répondre à l'objectif de développement des moyens, connaissances et compétences du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et du Centre national d'études spatiales (CNES) nécessaires à la satisfaction des besoins de la Défense dans le domaine nucléaire et de l'observation spatiale.
Comme le P 146, il est co-piloté par le Délégué Général à l'Armement et le Chef d'état-major des armées. Il s'articule autour de deux actions :
A-1 : « Maîtrise des technologies nucléaires » dont le CEA est l'opérateur.
A-2 : « Maîtrise des technologies spatiales » dont le CNES est l'opérateur.
Les crédits ouverts en PLF 2014 sur le P402 permettront de financer certains besoins d'activités initialement programmées sur le P146 en matière de dissuasion et de programmes majeurs (MUSIS, sous-marins nucléaires, porte avion Charles de Gaulle).
C'est pour cette raison qu'il convient de joindre l'analyse de ce programme à celle du P146.
Vos rapporteurs comprennent bien les motivations qui sont à l'origine de la création de ce programme et en particulier les modalités spécifiques de fonctionnement du PIA. La mise en exergue des crédits permet en effet de mieux identifier et suivre les crédits en cause.
Néanmoins, la création de ce programme, qui devrait disparaître dès l'année prochaine, altère grandement la lisibilité de la mission défense et en particulier du programme 146.
3. Les programmes 146 et 402 ne regroupent pas l'ensemble des dépenses dites « d'équipement ».
Pour se faire une idée de la part consacrée aux équipements dans la mission défense il faut prendre en considération l'agrégat budgétaire dénommé « dépenses d'équipement », auquel se réfère fréquemment le ministère. Cet agrégat inclut les crédits de munitions et de maintien en condition opérationnelle ainsi que certains crédits de recherche et d'infrastructures inscrits dans les autres programmes de la mission défense.
La part relative de ces dépenses d'équipements dans l'effort de défense dessine le mix capacitaire, c'est-à-dire la physionomie de nos forces armées. De ce point de vue, la nouvelle séquence budgétaire qui s'ouvre prolonge et amplifie l'orientation de la séquence précédente et traduit une politique dont l'objectif est d'aboutir à un modèle d'armées dont les forces seront moins nombreuses mais mieux équipées.
La coexistence de l'agrégat « dépenses d'équipements » fréquemment utilisée par tous les gouvernements et l'intitulé du programme 146 « équipement des forces » est source de confusion. Si le programme 146 ne reflète pas l'équipement des forces et conduit de façon récurrente à l'utilisation d'autres indicateurs budgétaires c'est sans doute que l'heure est sans doute arrivée de s'interroger sur la pertinence du découpage « lolfien » de la mission défense.
4. Ensemble, le P 146 et le P 402 concentrent 83,6% des crédits d'investissements de la mission « Défense » et représentent à eux seuls les deux tiers (67,4%) des investissements de l'Etat 1 ( * ) .
Ils constituent donc le principal canal de transmission des impulsions de la politique industrielle française sur l'économie de la défense, ses entreprises grandes et petites, ses emplois et sa contribution à la balance commerciale. Ils jouent également un rôle majeur dans l'orientation de la R&T de défense du fait que la Délégation Générale pour l'Armement (DGA) assume le pilotage des 746 millions de crédits de paiement d'études amont inscrits au programme 144 - environnement et prospective de la défense - dont l'orientation est étroitement imbriquée à l'équipement des forces et dont l'examen est difficilement détachable du P 146.
En raison de la part écrasante des crédits d'équipement militaire dans l'investissement de l'Etat central, il est possible d'affirmer qu'il ne peut y avoir en France de politique industrielle qui ne prenne en compte l'économie de défense.
Cela devrait avoir pour conséquence une stratégie lisible et articulée de l'Etat actionnaire encore très présent au capital des entreprises de défense, en particulier dans le secteur naval et le secteur terrestre. Vos rapporteurs craignent que tel ne soit pas le cas.
5. Dans le co-pilotage du programme 146 - il semble évident à vos rapporteurs, après plusieurs années d'examen, que l'expression du besoin opérationnel, telle exprimée par le chef d'état-major des armées, ait cédé le pas aux préoccupations de politique industrielle, telles qu'exprimées par le délégué général pour l'armement.
Vos rapporteurs ont eu maintes occasions de s'exprimer sur cette dichotomie et réitèrent leur souhait que l'Etat affiche clairement sa stratégie d'acquisition, distincte des préoccupations de politique industrielle. Un amendement a été adopté par le Sénat, en première lecture, dans le projet de loi de programmation militaire dans cette perspective. L'avenir montrera ou non son utilité.
Il est indispensable qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre la stratégie d'acquisition et la stratégie industrielle, toutes deux également légitimes, et que les outils d'arbitrage tel que le comité ministériel d'investissement fonctionnent de façon plus efficace.
L'intitulé du nouveau programme 402 est de ce point de vue symptomatique. Aussi louable soit-il, l'objectif d'assurer « l'excellence technologique des industries de défense » n'est pas, en soi, un objectif concourant à la « mission défense » à mettre sur le même plan que « l'équipement des forces » ou la « préparation et l'emploi des forces ».
6. Le P 146 est un programme à forte inertie.
Compte tenu des modalités habituelles de révision des contrats d'armement et de la part considérable de la partie « développement » dans ces contrats il est difficile et peu avantageux de modifier la cible de programmes en cours. On ne renonce pas à acheter une frégate ou des avions de combat comme on renonce à acheter une voiture de série. Toute réduction des cibles se traduit par une explosion des coûts unitaires et tout étalement des livraisons accroît le risque d'obsolescences natives.
7. Enfin, le P 146 est un programme constamment menacé.
Ces menaces sont d'autant plus fortes que les autres postes de dépenses, au sein de la mission défense, sont encore davantage inertes, en particulier la rémunération des personnels.
L'exécution de la précédente loi de programmation est de ce point de vue topique. Ce n'est pas en effet l'insuffisance des crédits qui a pesé de façon déterminante sur l'exécution inaboutie de la précédente LPM. Celle-ci n'a été en définitive inférieure que de 4,7 milliards d'euros, soit moins de 3%, aux 162 milliards d'euros de crédits initialement programmés. C'est surtout la mauvaise maîtrise de la masse salariale qui est venue, dans une enveloppe en diminution, évincer progressivement les dépenses d'équipement et la préparation opérationnelle.
A rebours de cette tendance générale, le présent projet de loi, en cohérence avec la loi de programmation militaire, s'efforce de préserver du mieux possible l'équipement de nos forces.
Vos rapporteurs forment le voeu que cette orientation soit effectivement respectée et donnent rendez-vous au gouvernement à la fin de l'année 2015.
* 1 Les crédits de paiement du titre 5 de la mission défense représentent, pour 2014, 9,4 milliards d'euros soit 80,6% du total des crédits d'investissement de l'Etat qui s'élèveront à 11,6 milliards. Source PLF 2014 - état B et informations annexes série 3.