II. L'AGENCE NATIONALE POUR LA RECHERCHE
La mise en place de cette agence de moyens, en 2006, a considérablement modifié le financement de la recherche en France, qui consistait jusqu'alors à subventionner chaque année de grands organismes. Elle l'a en effet réorientée vers le financement de projets précisément définis et correspondant à des thématiques jugées essentielles, permettant de sélectionner les meilleurs et de définir de grandes priorités nationales.
Cependant, le système est aujourd'hui « grippé », du fait d'une réduction progressive des dotations publiques allouées à l'ANR , qui pèse sur sa trésorerie, réduit mécaniquement le taux de succès aux appels à projets et va jusqu'à remettre en cause le financement de certains d'entre eux.
Votre rapporteure pour avis, à cet égard, plaide pour une clarification quant à l'orientation des moyens alloués à l'Agence, à moyen et long termes, et quant à sa place dans le financement de la recherche sur projets, qu'elle estime devoir être centrale.
1. Une agence de moyens au service d'un financement direct de la recherche
Agence de moyens créée en 2005 sous la forme de groupement d'intérêt public (GIP), l'ANR est aujourd'hui un établissement public administratif ayant pour mission le financement de la recherche publique et partenariale dans notre pays.
Elle s'en acquitte notamment 9 ( * ) en passant des appels à projets (AAP), qui concernent soit des programmes non thématiques (ANR dits « blancs »), soit des programmes thématiques , focalisés sur des sujets jugés prioritaires. Elle finance ainsi directement des équipes de recherche privées et publiques, à travers des contrats de recherche à durée déterminée, de trois ans en moyenne. Le seuil des 10 000 projets financés depuis sa création a été franchi en 2012.
Des comités scientifiques constitués par discipline ou thématique, qui intègrent des experts extérieurs indépendants, sont chargés d'examiner les projets présentés suite aux AAP. Ils produisent près de 15 000 expertises chaque année. Ceux retenus par ces comités font l'objet d'un classement, sur la base duquel sont alloués des crédits par des comités de pilotage où sont représentées les directions des structures de recherche.
La mise en place de l'ANR constitue l'un des grands changements du paysage de la recherche française et de son mode de financement. Elle a incité les chercheurs à élaborer et défendre des projets de recherche de haut niveau, en stimulant une « culture de projet », apte à rythmer les travaux des équipes autour d'une recherche objectivée et collaborative. Elle a permis d'établir des coopérations inter-laboratoire s nouvelles, souvent interdisciplinaires, et d'orienter certaines recherches vers des questions sociétales (énergie, santé...) ouvertes aux collaborations industrielles ou internationales.
2. Le premier opérateur du programme d'investissements d'avenir
Depuis 2010, l'ANR est le principal opérateur des investissements d'avenir , que ce soit en matière de sélection, de financement ou de suivi des projets.
Une convention de moyens Etat/ANR a été signée en janvier 2011, en vue d'accompagner l'ANR dans ces nouvelles missions. Elle prévoit un renforcement des effectifs de l'ANR avec prise en compte des frais de fonctionnement associés, ainsi que la prise en charge des coûts directs associés aux missions nouvelles de l'ANR (indemnisations des jurys et experts notamment).
L'ANR a été autorisée à effectuer des prélèvements sur les produits financiers générés par le placement des fonds du PIA en attente d'affectation. Ils sont destinés à couvrir les frais de fonctionnement associés aux effectifs supplémentaires octroyés à l'ANR, ainsi qu'un certain nombre de coûts directs liés à ses nouvelles missions
Le tableau suivant, qui présente les financements du PIA rattachés à la MIRES, rend compte de ce rôle central de l'ANR dans la gestion du programme.
LES INVESTISSEMENTS D'AVENIR
DANS LA RECHERCHE ET
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Source : CGI et MESR (juillet 2013) (milliards d'euros)
On y observe la présence prédominante de l'ANR comme opérateur du PIA sur le volet « enseignement supérieur et recherche ». Elle assure seule la gestion de deux des cinq programmes qu'il comporte, et de 13 des 18 de ses actions . Elle gère ainsi 19,16 des 22,11 milliards d'euros mobilisés pour ce volet, soit 86,7 % du total des crédits.
En 2012 et 2013, l'activité de l'ANR sur la mise en oeuvre du PIA a essentiellement porté sur l' élaboration des contrats d'aide aux projets sélectionnés , aboutissant à ce qu'une très large part de ces projets soit maintenant contractualisée. Fin juin 2013, 85 % des conventions des projets sélectionnés étaient ainsi signées et deux-tiers des projets avaient reçu une première tranche de financement.
3. Un budget en baisse structurelle depuis 2008
La subvention versée par le MESR à l'ANR est orientée à la baisse depuis 2008 . Le montant maximum s'est élevé, cette année-là, à 850 millions d'euros en AE, bien loin de l'objectif initial de la loi d'orientation pour la recherche de 2006, qui prévoyait une cible de 1,5 milliard d'euros par an à l'horizon 2010.
Depuis sa création, les crédits versés à l'ANR ont diminué de 30 %, tandis que les crédits de la MIRES ont progressé de 24 %. La part des crédits budgétaires consacrés au financement sur AAP est donc en constante diminution , comme l'illustre le graphique ci-après.
ÉVOLUTION DES AUTORISATION D'ENGAGEMENT DE L'ANR ET DE LA MIRES (HORS INVESTISSEMENTS D'AVENIR) DEPUIS 2006
Source : ANR
En loi de finances initiale pour 2013 , les crédits destinés à l'ANR s'élevaient à 687 millions d'euros, soit 73 millions de moins (ou -10 %) par rapport au montant de la loi de finances initiale pour 2012 (760 millions d'euros). La subvention réellement touchée par l'ANR accuse toutefois un repli encore plus marqué entre 2012 et 2013 (-114 millions d'euros en AE, soit -16 %) compte tenu de la déduction de la réserve de précaution appliquée chaque année et de l'annulation de 50 millions d'euros d'AE en gestion 2013. Le montant de la subvention 2013 se trouve ainsi réduit à 596 millions d'euros d'AE.
Cette diminution se poursuit en loi de finances pour 2014 : le montant de la dotation de l'ANR y est fixé à 605,2 millions d'euros, en AE comme en CP, soit 81,5 millions de moins (ou -12%) par rapport à la loi de finances initiale pour 2013. Après déduction de la réserve de précaution, dont le montant communiqué par le MESR à ce stade est de 41,5 millions d'euros (soit 6,9 % des crédits inscrits dans le projet de loi de finances), le montant prévisionnel de la subvention versée à l'ANR s'élève à 563,7 millions d'euros , dont 28,8 au titre de la subvention pour charges de service public destinée à financer les frais de gestion de l'Agence et 534,8 destinés au budget d'intervention.
4. Des problèmes de trésorerie fragilisant le versement des subventions
Outre la problématique de la réduction progressive des engagements que peut réaliser l'ANR, se pose le problème de la diminution de sa trésorerie . En effet, le budget de l'ANR a servi, depuis 2008, de variable d'ajustement en gestion et supporté des annulations massives de crédits par rapport aux montants présentés au Parlement. Au total, ce sont 394 millions d'euros en AE et 732 millions d'euros en CP, dont 174 millions d'euros en AE et 512 millions en CP hors réserve de précaution, qui ont ainsi été annulés.
Le fait que les annulations aient été supérieures en CP aux AE a été rendu possible par un niveau de trésorerie initial élevé. Toutefois, et aux dires même de l'ANR, cette pratique ne peut être reconduite au risque de la plonger dans une crise de trésorerie qui l'empêcherait de verser les subventions à ses bénéficiaires. Les dernières prévisions de décaissements pluriannuels conduisent d'ailleurs à anticiper un niveau de trésorerie préoccupant à l'horizon 2014-2015, comme l'illustre le graphique suivant.
SOLDE DE TRÉSORERIE PRÉVISIONNEL EN FIN D'EXERCICE
Source : ANR
Il semblerait donc opportun de réévaluer le montant de la subvention de l'ANR dans le cadre du prochain budget triennal 2015-2017.
5. Une remise en cause progressive du financement sur projet
Suite au constat d'un soutien devenu insuffisant aux organismes de recherche, la loi de finances pour 2013 a opéré un rééquilibrage entre financements sur projet, via l'ANR, et crédits récurrents . Cette diminution a obligé l'ANR à se recentrer sur un nombre limité de thématiques, en lien avec une réforme en cours de ses modalités de programmation.
Dans le contexte plus contraint du budget 2014, cette tendance se poursuit dans les conditions précédemment exposées. Votre rapporteure pour avis s'était inquiétée d'une telle réduction des moyens de l'ANR lors de l'examen de la précédente loi de finances. Cette agence constitue en effet un instrument efficace en vue d'orienter la recherche sur des thématiques d'actualité contribuant, in fine , à une accélération du rythme des innovations et à leur valorisation dans le champ économique.
Or, ce mouvement de « vases communicants » entre financement d'AAP et financement récurrent d'organismes de recherche devrait continuer . « Cette démarche sera poursuivie pour les prochaines programmations de l'ANR à la lumière des priorités qui seront dégagées dans la stratégie nationale de recherche et plus largement par l'agenda stratégique «France Europe 2020 » », a-t-il ainsi été indiqué à votre rapporteure pour avis dans les réponses à ses questionnaires budgétaires.
Il convient de souligner que le choix de privilégier une augmentation des subventions récurrentes de certains opérateurs de recherche aux moyens accordés au financement compétitif sur projets est en totale rupture avec les modèles de financements adoptés dans les autres grandes nations de recherche .
La Cour des comptes plaide au contraire dans son rapport de juin 2013 sur le financement public de la recherche pour un accroissement de la part du financement sur projets et cite des exemples européens. Elle indique, pour le Royaume Uni, 56% de financements sur projets, sachant que 70 % du financement récurrent est par ailleurs attribué sur la base d'une évaluation des unités de recherche visant à privilégier l'excellence. Pour l'Allemagne, le taux cité est de 44% des financements de R&D de l'état fédéral en 2010.
6. Des conséquences inquiétantes sur le taux de succès et la participation des entreprises
La diminution des crédits de l'ANR va de pair avec une augmentation du nombre de projets déposés, la barre des 7 000 dossiers ayant été franchie en 2013. Il en résulte une diminution progressive du taux de succès , qui est passé de 28 % en 2005 à 20 % en 2012, puis à moins de 17 % en 2013 . Ces taux de succès sont parmi les plus bas en Europe , par comparaison avec les agences homologues ; ils sont également inférieurs au taux de succès au 7 ème PCRD , qui est de 24 %.
Ainsi que l'a exprimé l'Agence à votre rapporteure pour avis, « les contraintes budgétaires que rencontre l'ANR ne permettent donc plus de financer la totalité des bons projets reçus et risquent d'atténuer l'effet vertueux de stimulation dans les communautés scientifiques ».
En matière de financement des entreprises , les taux de succès peuvent même être considérés comme décourageants , bien que l'ANR s'efforce de maintenir des taux légèrement plus élevés (20 à 23 %) dans les programmes à fort contenu partenarial. Dans les autres pays européens, en Allemagne notamment, les taux de succès des projets en partenariat public-privé (PPP) sont plutôt de l'ordre de 35 à 50 %.
On constate ainsi, du fait de la dégradation du retour sur investissement, une diminution de la participation des entreprises : en 2008, 15 % des financements leur étaient attribués (92 millions d'euros), contre 8,1 % en 2012 (44 millions d'euros). L'aide moyenne par projet en 2008 était de 483 000 euros de façon générale, et de 870 000 pour les PPP ; en 2012, elle était respectivement de 426 000 euros et 670 000, soit une baisse proportionnellement bien plus importante pour les partenariats.
7. La mise en place par l'Agence d'un nouveau plan d'action innovant
L'évolution des modalités d'action de l'ANR répond tout à la fois à une volonté de simplification, de gain de temps pour les chercheurs et de prise en compte des orientations stratégiques de l'État. Elle met en place en 2014 un nouveau processus en deux temps :
- une analyse de pré-propositions limitées à cinq pages, permettant d'opérer une première sélection au regard notamment des orientations stratégiques définies dans le plan d'actions et précisées par les comités de pilotages scientifiques ;
- puis une sélection sur la base des propositions détaillées établies par les porteurs de projets ayant franchi avec succès la première étape.
Ce passage à un mode de sélection en deux phases permet ainsi d' économiser du temps de préparation aux équipes de recherche par un allègement très important des exigences de la première étape, et d' atteindre des taux de succès significativement plus élevés à la deuxième étape - de l'ordre de 40 %, selon les informations communiquées à votre rapporteure pour avis par les responsables de l'ANR auditionnés -, en en limitant l'accès.
Il se pourrait toutefois, aux dires de chercheurs avec lesquels s'est entretenue votre rapporteure pour avis, que la première phase de cette procédure allégée soit excessivement concise. Un résumé de cinq pages pour pré-sélectionner des projets soumissionnant à un AAP pourrait être trop réducteur pour constituer un filtre efficace et pertinent au processus de sélection.
* 9 L'ANR finance, en plus d'appels à projets mobilisant un peu plus de la moitié de son budget, des opérations de transfert de technologie (par le biais notamment des Instituts Carnot), des coopérations scientifiques internationales ou encore des groupes de réflexion à moyen et long termes.