IV. UNE MOBILISATION INSUFFISANTE EN FAVEUR DE L'EMPLOI ET DE LA FORMATION
A l'initiative de votre rapporteur pour avis, l'article 27 de la loi pénitentiaire prévoit une obligation d'activité pour les personnes détenues condamnées .
L'exercice d'une activité -emploi, formation professionnelle, cours, activité socio-culturelle ou sportive, participation à un groupe de parole dans le cadre d'un programme de prévention de la récidive- demeure en effet le meilleur gage de la réinsertion. Or, dans une majorité de cas, le temps de la peine demeure un temps mort. La disposition introduite dans la loi pénitentiaire poursuit deux objectifs : ne pas permettre que des détenus restent inoccupés alors que des activités leur sont proposées, encourager l'administration pénitentiaire à rechercher, le cas échéant avec des partenaires extérieurs, la palette la plus large possible d'occupations.
Le législateur a assorti l'obligation de trois conditions : elle ne s'applique que si l'établissement est en mesure de proposer plusieurs activités ; elle a pour finalité de poursuivre la réinsertion de la personne ; elle doit être adaptée à son âge, ses capacités et sa personnalité. Enfin, la loi a prévu que « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement, les personnes détenues sont consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées ».
L'application de ces dispositions devrait s'inscrire dans le cadre progressivement mis en place par l'administration pénitentiaire pour définir un parcours d'exécution de la peine .
Si le législateur a entendu ménager une réelle souplesse dans l'éventail des activités susceptibles d'être proposées en détention, il a souhaité que l'administration pénitentiaire s'efforce surtout de développer le travail et la formation professionnelle en raison de leur contribution à la réinsertion professionnelle.
En 2011, 24 934 personnes détenues ont eu, en moyenne mensuelle, une activité rémunérée (travail et formation professionnelle) soit 933 de plus qu'en 2010 (+ 3,9 %). Le taux d'activité rémunérée reste stable par rapport à 2010 et s'élève à 39,1 % . Il est traditionnellement plus élevé dans les établissements pour peine (48,4 % - 53,2 % en 2010) que dans les maisons d'arrêt (34,7 % - 32,2 % en 2010).
A. LE TRAVAIL : LES RISQUES DE LA RÉMUNÉRATION AU TAUX HORAIRE
Le développement du travail en détention doit constituer un axe prioritaire de l'administration pénitentiaire. Il pourrait toutefois être compromis par le passage à la rémunération horaire prévu par l'article 32 de la loi pénitentiaire. Les interlocuteurs de votre rapporteur, au cours de ses déplacements ou auditions, ont systématiquement attiré son attention sur cette difficulté.
1. Le fragile bilan du travail pénitentiaire en 2011
Les activités de service général , générées par l'administration pénitentiaire pour les besoins de fonctionnement des établissements, ont employé 33,7 % de personnes détenues rémunérées en 2011, soit 8 399 postes de travail en moyenne mensuelle. La rémunération s'effectue sur la base de tarifs journaliers fixés dans le cadre de crédits budgétaires de fonctionnement attribués à chaque établissement. La rémunération mensuelle moyenne par poste de travail, sur la base de 295 jours travaillés dans l'année s'élève à 245 euros. Le travail effectué dans les ateliers du service de l'emploi pénitentiaire (SEP) par l'intermédiaire du compte « régie industrielle des établissements pénitentiaires » (RIEP) a employé 5,1 % des actifs rémunérés écroués, soit 1 281 personnes détenues en moyenne chaque mois pour une rémunération par poste de travail en équivalent temps plein de 552 euros par mois (535 euros en 2010). Les activités de travail gérées par les entreprises privées concessionnaires de l'administration pénitentiaire ou titulaires des marchés de fonctionnement des établissements à gestion déléguée, ont employé 32,3 % des actifs rémunérés écroués soit en moyenne annuelle 8 065 personnes détenues pour une rémunération mensuelle moyenne par poste de travail en équivalent temps plein de 385 euros (374 en 2010). |
La masse salariale a augmenté de 6,5 % pour les activités du service général (22 820 152 millions d'euros), et de 5 % pour la production (37 483 953 millions d'euros). 7 613 postes en production ont été occupés en 2011 (soit une progression de 115 ETP par rapport à 2010).
Dans la période récente, à la faveur notamment du plan « Entreprendre » engagé en 2008, l'administration pénitentiaire a mis en oeuvre plusieurs mesures incitatives telles que l'institution de la journée continue ou le développement des facilités d'accès pour les véhicules . La journée continue permet de diminuer les ruptures dans le processus de production et d'optimiser l'utilisation des machines une demi-heure de plus tous les jours. Elle facilite en outre la participation des travailleurs détenus aux autres activités proposées par l'établissement en particulier l'enseignement ou la formation. Même si seuls 37 établissements ont adopté aujourd'hui la journée continue, ce système devrait progressivement se généraliser.
La situation de l'emploi reste cependant très inégale entre les établissements pour peine dont les espaces consacrés aux activités couvrent en principe une surface importante et les maisons d'arrêt dotées de locaux insuffisants, vétustes et difficiles d'accès. En outre, le taux de rotation beaucoup plus rapide de la population pénale en maison d'arrêt rend plus complexe la mise en oeuvre d'activités rémunérées. A titre d'exemple, à la maison d'arrêt d'Orléans, un délai de quatre mois est en moyenne nécessaire pour obtenir un emploi.
Des prisons plus récentes peuvent aussi rencontrer des difficultés. Ainsi, au centre pénitentiaire d'Avignon-Le Pontet, à la date de la visite de votre rapporteur, une cinquantaine de personnes sur 760 détenus travaillaient dans les ateliers (en 2011, cet effectif a même chuté à deux !). De manière encore plus surprenante, les espaces consacrés au travail des établissements du « programme 13 200 » ont parfois été sous-dimensionnés comme tel est le cas au nouveau centre pénitentiaire du Havre où, du fait de ces limitations matérielles, il sera impossible de dépasser -comme le voudrait pourtant les clauses du contrat souscrit avec le partenaire privé- l'effectif actuel d'une centaine de travailleurs.
• Quels sont les moyens de relancer
l'emploi pénitentiaire ?
L' évolution encourageante de la situation financière de la RIEP pourrait favoriser l'offre d'emplois en milieu pénitentiaire. En 2011, le SEP a géré 49 ateliers de production implantés dans 24 établissements pénitentiaires recevant majoritairement des détenus condamnés à de longues peines -les ateliers de la RIEP représentent ainsi 63 % de l'emploi en production des maisons centrales.
A titre d'exemple, en partenariat avec le centre pénitentiaire de Lannemezan, le SEP-RIEP a mené un projet de diversification des activités de son atelier métal en investissant dans des machines performantes -deux centres d'usinage à commande numérique et deux tronçonneuses de barres d'aluminium acquises en juillet 2011.
Par ailleurs, dans le cadre des ateliers de production, le SEP, agréé organisme de formation depuis le 13 juillet 2010, propose des actions de formation professionnelle d'adaptation à l'emploi.
Cependant la RIEP n'intervient que dans les établissements en gestion publique. Dans le rapport établi avec Mme Nicole Borvo Cohen-Seat 37 ( * ) sur l'application de la loi pénitentiaire, votre rapporteur avait regretté que le choix de la gestion privée ait généralement eu pour effet de laisser au seul partenaire privé la prospection de nouveaux emplois. Or, celui-ci est souvent loin de remplir les objectifs assignés par le contrat. Ainsi au centre pénitentiaire de Réau, à la date de la visite de votre rapporteur (18 octobre 2012), 25 détenus travaillaient en atelier alors que cet effectif aurait dû s'élever à 90 -soit selon les termes contractuels, 20 % du taux d'occupation de l'établissement. Le mode de gestion privée ne devrait pas écarter les initiatives complémentaires de l'administration pénitentiaire .
Selon votre rapporteur, différentes pistes peuvent aussi être explorées afin d'enrichir les tâches confiées aux détenus et permettre de couvrir une palette d'activités plus diversifiées. Il souhaiterait citer à cet égard la plateforme de tri sélectif en cours d'installation à la maison d'arrêt de Douai (après avoir été initiée au centre pénitentiaire de Lille-Loos).
• Quelle priorité pour les
productions des établissements
pénitentiaires ?
Lors de l'examen de la loi pénitentiaire, votre rapporteur avait souhaité qu'une priorité soit donnée dans le cadre des attributions de marchés publics, aux productions des établissements pénitentiaires et obtenu des engagements en ce sens du Gouvernement.
Le ministère de la justice et des libertés a demandé au ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi que le droit de préférence prévu par l'article 53 du code des marchés publics 38 ( * ) soit étendu au SEP et aux entreprises concessionnaires des établissements pénitentiaires pour les produits ou services assurés par les personnes détenues.
Par un courrier en date du 22 avril 2010, ce ministère a précisé que le SEP n'ayant pas de personnalité morale distincte de celle de l'Etat, il n'est pas soumis au code des marchés publics lorsqu'il lui fournit des prestations. En revanche, le droit de préférence devrait être étendu aux entreprises concessionnaires des établissements pénitentiaires sous la forme d'une modification par voie réglementaire du code des marchés publics.
Cependant, d'après les informations communiquées à votre rapporteur par l'administration pénitentiaire, la commission européenne a rappelé à la France que l'article 53 du code des marchés publics était contraire au droit européen. Un élargissement de ces dispositions à de nouveaux bénéficiaires ne saurait, dans ce contexte, être envisagé.
Toutefois, l'administration pénitentiaire déduit des termes du courrier du 22 avril 2010 que tous les services de l'Etat sont en droit de commander des prestations au SEP en dehors des dispositions du code des marchés publics. Aussi selon elle, aucune modification législative ou réglementaire n'est nécessaire pour autoriser les autres administrations de l'Etat à commander des prestations au SEP.
Votre rapporteur observe néanmoins que les marchés des collectivités territoriales ne sont pas évoqués par ces éléments de réponse alors qu'ils pourraient constituer un débouché tout à fait intéressant pour les productions du SEP.
• L'implantation des structures
d'insertion par l'activité économique : les textes
d'application de la loi pénitentiaire toujours attendus
La loi pénitentiaire a prévu l'implantation au sein des établissements pénitentiaires de structures d'insertion par l'activité économique afin d'élargir l'offre de travail (article 33). En 2008, plus de 39 % des personnes ayant suivi un parcours d'insertion ont bénéficié d'un emploi ou d'une formation à la sortie de ces dispositifs. Si des discussions ont été engagées entre l'administration pénitentiaire et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle, les textes d'application tardent. Or, ces structures sont essentielles pour permettre aux personnes détenues de s'engager dans un parcours professionnalisant afin de préparer au mieux leur sortie.
2. La question de la rémunération
La loi pénitentiaire a prévu que la rémunération du travail pénitentiaire ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret, indexé sur le SMIC et variable en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées. Les taux minimum ont été déterminés par le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 : 45 % du SMIC pour les activités de production, 33 % du SMIC pour le service général, classe 1 (poste d'ouvrier qualifié), 25 % du SMIC pour le service général, classe 2 (poste d'appui aux professionnels qualifiés), 20 % du SMIC pour le service général, classe 3 (postes constitués de tâches simples ne requérant pas de connaissances professionnelles particulières) 39 ( * ) .
La mise en oeuvre d'une rémunération fondée sur un taux horaire au lieu d'une rémunération à la pièce n'a pas encore été appliquée. Elle rencontre de vives résistances. Plusieurs des chefs d'établissement rencontrés par votre rapporteur craignent que la généralisation du dispositif ne conduise à évincer des postes de travail les personnes détenues les plus fragiles afin de répondre aux objectifs de rentabilité des entreprises concessionnaires.
Ces préoccupations sont d'ailleurs partagées par les entreprises concessionnaires elles-mêmes. Votre rapporteur en a rencontré les représentants réunis au sein de l'association des concessionnaires et prestataires de France (ACPF) 40 ( * ) . M. Jean-Luc Noll, président de l'ACPF, estime qu'une rémunération horaire conduirait non seulement à écarter une partie des travailleurs (estimée entre 60 et 70 % des effectifs actuels) n'ayant pas les qualités requises, mais obligerait aussi à procéder à une mesure effective du temps de travail accompli, ce qui serait source de tensions supplémentaires au sein de la détention. Les concessionnaires redoutent une moindre motivation des travailleurs et une perte de productivité globale.
Au regard du risque d'éviction qu'emporte le passage à la rémunération au taux horaire -mesure dont les effets négatifs avaient sans doute été sous-estimés lors de l'examen de la loi pénitentiaire- votre rapporteur estime indispensable une évaluation objective du nouveau système. Si cette étude devait corroborer les préoccupations des entreprises concessionnaires, le législateur serait sans doute conduit à intervenir de nouveau.
* 37 Rapport cité, p. 29.
* 38 L'article 53 ouvre la faculté d'accorder un droit de préférence, à égalité de prix ou à équivalence d'offres, à l'offre présentée par un groupement de producteurs agricoles, par un artisan, par une société coopérative d'artisans ou par des entreprises adaptées.
* 39 La répartition des emplois entre les différentes classes du service général a été précisée par l'arrêté du 23 février 2011.
* 40 Cette association représente 55 concessions employant quelques 2 430 personnes détenues en équivalent temps plein.