III. LES CONDITIONS DE DÉTENTION : UN BILAN TRÈS CONTRASTÉ

A. DES MOTIFS D'INQUIÉTUDE

L'ouverture de nouvelles places de prison s'est accompagnée d'une amélioration des conditions matérielles de détention (douche dans les cellules, espaces collectifs dévolus au travail et au sport...). Toutefois, la densité carcérale a pour une part neutralisé les efforts ainsi déployés. Dans le même temps, la dynamique initiée par l'application des règles pénitentiaires européennes et la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire, s'est ralentie et parfois enrayée. La politique pénitentiaire est aujourd'hui en attente d'un nouveau souffle.

1. Les indices d'une dégradation

Lors de ses échanges avec votre rapporteur, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, a observé que l'érosion des moyens de fonctionnement de l'administration pénitentiaire se traduisait par une détérioration des conditions matérielles de détention. Il a cité ainsi des difficultés inédites dans l'organisation de la blanchisserie de certains établissements ou dans la distribution, devenue parfois irrégulière, de produits d'hygiène. Les personnes détenues peuvent être appelées à cantiner des produits qui leur étaient auparavant fournis -comme les sacs poubelle. Selon le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le progrès qu'a représenté la fixation à 8 euros par mois pour chaque personne détenue du coût de la prestation télévision (fourniture d'un poste et accès à un panel de chaînes payantes) 25 ( * ) ne doit pas dissimuler la somme des « régressions quotidiennes ».

Au-delà de ces considérations factuelles, la mise en cause de la responsabilité de l'Etat en raison des conditions de détention a connu une forte augmentation depuis 2008. Le montant des condamnations 26 ( * ) qui n'avait pas excédé 47 000 euros sur la période 2007-2009, a atteint 322 850 euros pour la seule année 2011 27 ( * ) . Il représente déjà 275 891 euros en 2012.

Par l'arrêt Plathey du 10 novembre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France au titre des conditions matérielles de détention (état d'une cellule disciplinaire après son incendie) 28 ( * ) .

La dégradation des conditions matérielles de détention favorise un climat de tension sur lequel d'autres indicateurs peuvent utilement nous éclairer : le nombre d'incidents entre détenus et personnels pénitentiaires ainsi qu'entre co-détenus et le nombre de suicides.

En 2011, sur la base des comptes-rendus d'évènements transmis par les directions interrégionales de l'administration pénitentiaire, 775 agressions physiques touchant 1 016 membres du personnel ont été recensées. Rapporté à l'effectif des détenus, le nombre d'agressions reste stable (de l'ordre de 1,22 %). Toutefois, les agressions apparaissent plus violentes : les incapacités temporaires totales de travail ont augmenté par rapport à 2010 (+ 21).

Par ailleurs, les directions interrégionales de l'administration pénitentiaire recensent, en 2011, 8 365 agressions entre personnes détenues contre 7 825 en 2010 (+ 7 %). De janvier à juillet 2012, 5 217 agressions ont été relevées, soit 1 124 de plus que sur la même période en 2011 (+ 27 %). Cette évolution qui dépasse de loin l'augmentation du nombre de détenus ne laisse pas d'inquiéter. Comme votre rapporteur a pu le constater, notamment lors de son déplacement à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, les violences s'exercent surtout dans les cours de promenade. Les surveillants ne jugent pas toujours possible d'intervenir pour faire cesser une rixe ou un règlement de comptes qui se conclue en quelques minutes. La vidéosurveillance permet, dans certaines situations, d'identifier les responsables et peut à ce titre jouer un rôle dissuasif.

Le nombre de suicides en détention reste élevé (121 en 2010, 123 en 2011) même si, rapporté à la population carcérale moyenne, il connaît un léger infléchissement (17,1 suicides pour 10 000 personnes en 2011 contre 18 en 2010). Au 30 juin 2012, le nombre de suicides en détention est de 50 contre 54 en 2011 à la même date. Une appréciation plus complète devrait également prendre en compte les tentatives de suicide sur lesquelles cependant votre rapporteur n'a pas eu d'éléments d'information. L'augmentation du nombre de suicides de personnes en aménagement de peine -9 entre janvier et juin 2012 contre 3 sur la même période en 2011 29 ( * ) - conduit à s'interroger sur la « supportabilité » du bracelet électronique pour certains détenus et invite à une certaine prudence sur la généralisation de ce dispositif. Dans le prolongement des recommandations du « rapport Terra » (2002) et de la « commission Albrand » (2009), l'administration pénitentiaire s'est efforcée de prendre la mesure de ce phénomène et a pris plusieurs initiatives dont l'intérêt respectif devra sans doute être évalué. Tous les établissements ont été dotés d'une « dotation de protection d'urgence » (couvertures spécifiques, vêtements déchirables et jetables) qui, selon l'administration pénitentiaire, ne constitue pas un « kit anti-suicide » mais a pour objectif de retarder l'issue de la crise suicidaire en raison de la nature des éléments qu'elle comprend. Une cinquantaine de prisons disposent par ailleurs d'une cellule de protection d'urgence. En outre, l'expérimentation de « co-détenus de soutien » est en cours dans trois établissements et devrait être étendue.

2. La nécessité d'une nouvelle dynamique

L'élan que l'application des règles pénitentiaires européennes ou la mise en oeuvre de la loi pénitentiaire avait donné à la politique pénitentiaire s'est ralenti.

Sans doute un nouveau marché a-t-il été conclu 30 ( * ) au 1 er juin 2012 afin de poursuivre la labellisation des établissements au regard d'une vingtaine de règles portant principalement sur l'accueil des personnes détenues (131 établissements labellisés au 31 mai 2012, 168 devraient l'être à la fin de l'année 2015). La démarche a porté ses fruits mais elle demeure cantonnée à un segment de la vie en détention. Elle pourrait être utilement élargie à d'autres règles, d'ailleurs initialement identifiées par l'administration pénitentiaire comme présentant un enjeu fort, en particulier la mise en oeuvre d'un projet d'exécution de peine dès l'admission (règle 103.2).

Votre rapporteur ne reviendra pas sur les difficultés d'application de la loi pénitentiaire analysées dans le rapport établi avec notre ancienne collègue Mme Nicole Borvo Cohen-Seat au nom de votre commission des lois et de la commission sénatoriale de l'application des lois.

Il se bornera ici à signaler de nouveau le retard pris pour l'adoption du décret en Conseil d'Etat sur les règlements intérieurs types prévu par l'article 86 de la loi pénitentiaire. Ces textes ont vocation à déterminer respectivement les modalités de fonctionnement des maisons d'arrêt, des centres de détention, des maisons centrales et des centres pour peine aménagée. Il s'agit de limiter les risques d'inégalité dans le traitement d'une personne détenue selon l'établissement auquel il est affecté et de permettre aux intéressés de mieux appréhender leurs droits et devoirs ainsi que les règles touchant au quotidien de la détention (par exemple en matière de « cantine »).

Selon les dernières précisions apportées par la direction de l'administration pénitentiaire « le Conseil d'Etat a été saisi du projet de décret le 28 décembre 2011 » et le travail est toujours en cours avec les rapporteurs désignés. « Par ailleurs, deux autres projets de décrets, relatifs d'une part aux modalités de fonctionnement des établissements pénitentiaires pour mineurs et des quartiers mineurs et, d'autre part, au fonctionnement des centres et quartiers de semi-liberté » font l'objet d'une saisine complémentaire du Conseil d'Etat au cours de l'automne 2012.

Certaines dispositions de la loi pénitentiaire sont encore lettre mortes comme le principe de consultation des personnes détenues sur les activités qui leur sont proposées. Le rapport remis par Mme Cécile Brunet-Ludet sur ce sujet en avril 2012 semble avoir fait l'objet d'une diffusion des plus restreintes.

L'aiguillon que représente l'action du Contrôleur général des lieux de privation de liberté rencontre certains freins. M. Jean-Marie Delarue a déploré que plusieurs de ses recommandations -relatives au courrier, aux cultes ou à l'informatique- soient demeurées sans effet alors que certaines d'entre elles -comme la mise en place d'un menu casher ou hallal- auraient pu être mises en oeuvre sans mobiliser de ressources supplémentaires.


* 25 Votre rapporteur observe avec inquiétude que ces nouvelles conditions d'accès à la télévision ont eu pour effet de priver les associations culturelles en détention d'une partie substantielle de leurs ressources et de menacer en conséquence leurs activités.

* 26 Condamnations qui peuvent être prononcées par les juridictions administratives dans le cadre d'instances au fond comme d'instances en référé.

* 27 Il demeure un montant de 22 650 euros en 2011 non payé soit 10 % des condamnations prononcées au titre de cette année.

* 28 CEDH, affaire Plathey c. France, 10 novembre 2011.

* 29 5 sous placement sous surveillance électronique, 2 en milieu hospitalier.

* 30 Avec le Bureau Véritas.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page