F. LA « FATIGUE » DE LA RÉFORME CONTRIBUE À SAPER LE MORAL
Vos rapporteurs ont pu mesurer lors de leurs récents déplacements dans les bases de défense la montée d'une certaine « fatigue » face à l'empilement des réformes, en particulier de la part des personnels du soutien.
Outre les nombreux changements organisationnels, les bases ont supporté une « surdéflation » d'effectifs liée au fait qu'une certaine régulation par les recrutements s'est ajoutée aux suppressions d'emplois programmées dans les référentiels en organisation.
Ainsi dans les bases de défense, au lieu des 1 205 suppressions d'emplois prévues, ce sont en fait près de 2 000 postes qui ont été supprimés ou n'ont pas été pourvus.
Plus globalement, la période de transformation que vient de vivre le ministère de la défense a eu des répercussions sur le moral des troupes. Les relations entre soutenants et soutenus se sont dégradées, les procédures sont jugées encore trop cloisonnées, pas assez mutualisées, harmonisées et dématérialisées.
La réforme, jugée complexe, laisse parfois les personnels dubitatifs : d'après les derniers baromètres internes du ministère de la défense, 21 % seulement jugent que la réforme se met en place facilement (contre 23 % il y a trois ans). 68 % des personnels sont peu convaincus de l'utilité de la réforme pour faire mieux leur métier. Le taux de personnes satisfaites de la mise en commun des moyens administratifs et de soutien a chuté de 61 % en 2009 à 43 % en 2012.
Enfin, seules 38 % des personnes interrogées sont satisfaites des bases de défense, même si 49 % des personnes interrogées estiment que les bases de défense sont facteur d'économies et d'efficacité.
Dans ces conditions, votre commission ne peut que s'interroger sur le projet consistant à lancer, dans ce climat déjà difficile, des réflexions sur une éventuelle réorganisation du niveau central du ministère.
Des informations officieuses sur une première étude confiée au contrôle général des armées en ce sens par le ministre l'été dernier ont fait surgir bien des craintes.
Au moment où votre commission a été entendue par le Gouvernement sur le besoin de consolidation de la réforme à l'échelon local, au moment où la fatigue des restructurations se fait partout sentir, est-il vraiment opportun d'ouvrir un nouveau front ?
Vers une réforme de l'organisation centrale du ministère de la défense ? D'après certains commentateurs, une étude aurait été réalisée en août dernier par le ministre de la défense pour « réformer et simplifier l'organisation centrale du ministère, en recentrant chaque entité sur son coeur de métier ». Le Contrôle général des armées aurait remis une « note d'étape » début octobre, dans laquelle il estimerait que l'organisation actuelle n'est pas optimale, soulignant que l'état-major des armées participe à la définition de la politique des ressources humaines du ministère, conformément aux décrets de 2009, mais aussi, dans les faits, aux problématiques d'infrastructures, de finances...qui ne relèvent pas en théorie des ses strictes attributions. Bien que ces études n'aient pas encore été traduites en propositions, ce sera vraisemblablement le cas en vue de décisions à prendre dans un futur COMEX du ministère de la défense, vraisemblablement en décembre. L'idée serait de renforcer la logique fonctionnelle au sein de directions d'administrations centrales plus puissantes qu'aujourd'hui, au détriment de l'état-major des armées. |
Votre commission s'interroge sur ces réflexions en cours.
Tout d'abord, la finalité première des forces armées est de mettre en oeuvre les directives fixées par le chef de l'État. A cet égard, l'organisation mise en place en 2009 a montré toute son efficience : dans les opérations, le président de la République, via son chef d'état-major particulier, est en lien direct et étroit avec le chef d'état-major des armées, car sous la V e République, le chef de l'État est réellement le chef des Armées.
Qu'il s'agisse de l'opération Harmattan, ou du retrait en cours des forces combattantes d'Afghanistan, l'organisation actuelle a montré sa réactivité et sa capacité à mettre en oeuvre rapidement les décisions du Président de la République.
Pourquoi casser ce qui marche ?
Lors de son audition devant votre commission, le chef d'état major des armées a très exactement exprimé une inquiétude que votre commission partage : « Troisième idée force : toute réforme ajoutée à la réforme présente un risque. D'abord, parce qu'elle ne laissera pas le temps de tirer tous les dividendes de la réforme actuelle. Ensuite, parce qu'elle pourrait soulever des défis insoupçonnés alors qu'une réforme est toujours une période de vulnérabilité. Je rappelle que l'échéance de notre transformation était fixée à 2015 ! Pour illustrer cette pensée, 2 réflexions de bon sens. Première réflexion : ne réparons pas quelque chose qui n'est pas cassé ! Deuxième réflexion : ne démontons pas une montre pour savoir pourquoi elle marche ! »
« (...) S'agissant des décrets de 2009, nous avons pour l'instant une organisation qui repose sur trois pôles : le secrétariat général pour l'administration, la délégation générale pour l'armement et l'état-major des armées. On pourrait envisager d'en augmenter le nombre. Pourquoi pas quatre voire cinq ? Mais encore une fois, pourquoi vouloir réparer quelque chose qui marche bien ? Les idées dont nous parlons viennent d'un pays qui fait militairement moins que la France et qui dispose de 35 % de crédits en plus. Donc l'idée d'avoir une direction générale du soutien n'est pas selon moi une bonne idée. Si nous fonctionnons bien, c'est précisément parce que nous ne faisons pas que de l'opérationnel, mais aussi du soutien. Pour bien faire du soutien, il faut avoir selon moi l'expérience de l'opérationnel. »
L'histoire militaire de notre pays a montré que séparer soutien et opérationnel pouvait avoir de lourdes conséquences ; c'est ainsi que la défaite militaire du second empire a pu être analysée par les historiens et hommes politiques de l'époque.
Ensuite, sur le plan « psychologique », il ne faudrait pas qu'une démarche d'introspection organisationnelle, qui aurait pu être légitime en soi, ne soit lancée à un moment tellement inadéquat qu'elle ne serve, en fait, de véritable détonateur à une profonde crise de « moral ».
Au moment où le reflux des opérations se cumule à la fatigue de la réforme, au moment où les moyens de fonctionnement, c'est-à-dire le quotidien des unités, sont sévèrement coupés, au moment où l'évolution des carrières sont freinées, où les difficultés à percevoir les soldes ont exaspéré les militaires et leurs familles, au moment où des difficultés de recrutement se font sentir, au moment où toute l'énergie du ministère devrait se concentrer sur les efforts de simplification indispensables, est-il vraiment opportun de faire cet exercice d'introspection ?