B. UN CADRE JURIDIQUE SOUVENT MÉCONNU

1. Un respect insuffisant des garanties posées par la loi

L'encadrement juridique de l'utilisation des caméras de vidéosurveillance sur la voie publique et dans les espaces ouverts au public figure à l'article 10 de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995. Il semble inutile de revenir en détail sur un régime juridique dûment exposé ailleurs 9 ( * ) .

Tout d'abord, le contrôle préalable obligatoirement effectué par la commission départementale de la vidéosurveillance est, selon la Cour des comptes, « exclusivement formel ». La commission se borne en effet à constater que le formulaire de demande est correctement rempli et que les pièces exigées sont jointes. Au total, les avis négatifs sont exceptionnels.

Par ailleurs, alors que la vidéosurveillance de la voie publique ou des lieux ouverts au public n'est en principe possible que s'il y a un risque d'agression ou de vol 10 ( * ) , la circulaire ministérielle du 12 mars 2009 relative aux conditions de déploiement des systèmes de vidéoprotection a donné instruction aux préfets de considérer que le risque d'insécurité est avéré même si le lieu ou l'établissement à surveiller n'ont pas connu d'agression ou de vol au moment de la demande. Il arrive ainsi que des autorisations d'installer des caméras soient données dans des petites communes où la délinquance est très faible.

En outre, selon la loi du 21 janvier 1995, l'autorisation préfectorale doit prévoir « toutes les précautions utiles, en particulier quant à la qualité des personnes chargées de l'exploitation du système de vidéosurveillance ou visionnant les images et aux mesures à prendre pour assurer le respect des dispositions de la loi » .

Ces exigences se traduisent dans la circulaire du 12 mars 2009, qui demande aux préfets de prescrire que les personnes chargées de l'exploitation et du visionnage soient tenues de présenter certaines garanties de déontologie et de souscrire un engagement de discrétion . Il est même recommandé de mentionner dans l'arrêté d'autorisation le nombre maximal de personnes habilitées à exploiter les images et leur désignation individuelle.

Or, selon la Cour des comptes, ces exigences ne sont pas toujours suivies par les préfets, des arrêtés d'autorisation ne fournissant aucune précision sur les personnes habilitées à exploiter le système de vidéosurveillance, tandis que d'autres désignent des responsables de niveau supérieur qui, à l'évidence, n'auront aucune activité de visionnage des images ou des enregistrements.

2. L'impossibilité de déléguer la vidéosurveillance de la voie publique

Il arrive que soit autorisée l'installation d'un système dans lequel le visionnage est assuré par les agents d'une société privée de sécurité, en infraction évidente avec la loi. Sur ce dernier point, la décision du Conseil constitutionnel sur l'article 18 de la LOPPSI constitue d'ailleurs une avancée importante de la jurisprudence relative à la police administrative.

En effet, cet article visait à assouplir le régime de la vidéosurveillance en permettant que des images prises par un système relevant d'une autorité publique soient visionnées par des agents de droit privé . Seules les images visionnées en direct étaient visées, et non les enregistrements.

Concrètement, il s'agissait de rendre possible la création de centres de supervision des images communs à plusieurs personnes publiques ou privées, avec un contrat passé entre ces autorités et des prestataires extérieurs pour l'exploitation de systèmes de vidéosurveillance , et ainsi de diminuer le coût du développement de cette technologie. Cette création de centres de supervision communs supposait que des agents ne relevant pas de l'autorité ayant obtenu l'autorisation d'installer un système de vidéosurveillance puissent visionner les images.

Or, la vidéosurveillance de la voie publique se rattache à la définition législative et jurisprudentielle de la police municipale. Le Conseil d'Etat a précisé, dans un arrêt du 29 décembre 1997 11 ( * ) , que la surveillance de la voie publique relevait des pouvoirs de police du maire en vertu de l'article L.2212-2 du code général des collectivités territoriales définissant la police administrative et que les délégations par contrat à des personnes morales de droit privé, en l'occurrence des sociétés de surveillance et de gardiennage, n'étaient pas licites en ce domaine. Le tribunal administratif de Nice, dans un arrêt du 22 décembre 2006, a confirmé qu'il n'y avait pas de différence de nature entre la surveillance de la voie publique et la vidéosurveillance de celle-ci, ces deux missions relevant de la police municipale.

Même si ces principes énoncés par le juge administratif semblaient de niveau infra-législatif, il avait paru nécessaire à votre commission, lors de l'examen en première lecture de la LOPPSI, d'encadrer très précisément la possibilité accordée aux personnes morales de droit privée d'installer des systèmes de vidéosurveillance de la voie publique . Aux garanties prévues par le texte initial (la convention passée par l'autorité publique avec l'opérateur chargé du visionnage est agréée par le préfet ; cette convention doit être conforme à une convention-type fixée par voie réglementaire après avis de la commission nationale de la vidéosurveillance ; les salariés et agents chargés visionnant les images sont agréés par le préfet), votre commission avait ainsi ajouté, en adoptant un amendement de son rapporteur, le principe d'une soumission des activités privées de vidéosurveillance aux dispositions de la loi du 12 juillet 1983 encadrant les activités privées de sécurité.

Toutefois, dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil constitutionnel a annulé cette disposition en estimant que le fait de permettre à des personnes privées de procéder à une surveillance de la voie publique constituait « une délégation à ces personnes de tâches inhérentes à l'exercice par l'Etat de ses missions de souveraineté » et méconnaissait par conséquent « les exigences constitutionnelles liées à la protection de la liberté individuelle et de la vie privée ». La possibilité pour l'autorité publique ou toute personne morale de déléguer par convention l'exploitation d'un système de vidéosurveillance de la voie publique à un opérateur même agréé par le préfet devient ainsi impossible. Pour les mêmes raisons, le Conseil a annulé les dispositions autorisant les personnes morales de droit privé à filmer la voie publique aux abords de leurs bâtiments et installations (et non aux seuls « abords immédiats », comme le prévoit la loi de 1995).

La décision du Conseil constitutionnel constitue indéniablement un coup d'arrêt au développement plus ou moins bien contrôlé de la vidéosurveillance. Si cette technologie doit continuer à se développer, elle devra désormais le faire dans le respect des prérogatives de la puissance publique en matière de police administrative.

3. Des personnels insuffisamment formés

Le rapport de la Cour des comptes souligne la diversité des personnels qui se voient confier l'exploitation des systèmes de vidéosurveillance : policiers municipaux, personnels de catégorie C des filières techniques et administrative, anciens agents de médiation, anciens agents de surveillance de la voie publique, agents de service voire assistantes maternelles. Or, seuls les agents appartenant au corps des policiers municipaux sont assermentés pour une mission de surveillance de la voie publique . A cette égard, la pratique de certaines communes consistant à faire assermenter par le préfet et le procureur de la République tous les agents communaux chargés de l'exploitation du système de vidéosurveillance devrait sans doute être généralisée.

En outre, la formation professionnelle de ces agents apparaît nettement insuffisante . Si de nombreuses communes ont mis en place des formations, celles-ci privilégient l'aspect technique et ne comprennent que rarement une sensibilisation suffisante au cadre légal et déontologique de la vidéosurveillance. Le CNFPT a toutefois entrepris de créer un module de formation.

Enfin, il n'existe pas toujours de règlement intérieur des centres de supervision urbains qui fixeraient les règles de fonctionnement de ces centres ainsi que les exigences à suivre en matière de déontologie et de sécurité.

4. Un coût élevé

Si la vidéosurveillance, à défaut de faire baisser significativement la délinquance, permet d'améliorer de quelques points le taux d'élucidation des crimes et délits, encore faut-il se demander à quel prix.

Or, il apparaît que la vidéosurveillance est une technologie onéreuse. Selon la Cour des comptes, les coûts d'exploitation sont très variables d'une commune à l'autre, notamment en raison des différences en matière de caractéristiques techniques des systèmes et du nombre d'agents employés. Pour l'échantillon analysé par la Cour, le coût moyen d'exploitation est de 7400 euros par caméra et par an . Dans la mesure où l'Etat entend faire passer d'environ 20 000 à 60 000 le nombre de caméras installées sur la voie publique, la dépense supplémentaire prévisible (en fonctionnement) est de l'ordre de 300 millions d'euros par an pour les communes et EPCI, soit l'équivalent de 6500 policiers municipaux (qui sont actuellement environ 20 000 au total).

Par ailleurs, le coût moyen d'investissement observé par la Cour des comptes est de 36 000 euros par caméra (comprenant les études de faisabilité, l'aménagement du réseau, le raccordement à la police ou la gendarmerie, etc.).

Il convient de rappeler que les communes peuvent recevoir, pour ces investissements, le soutien du fonds interministériel de prévention de la délinquance, dont 60 % des crédits sont réservés à la vidéosurveillance. Les subventions permettent de régler 20% à 50% des études préalables ainsi que des dépenses d'installation des nouveaux systèmes ou d'extension des systèmes existants. Le raccordement des centres de surveillance urbains à la police et à la gendarmerie est subventionné à 100%.

En 2010, le FIPD a bénéficié de 50,3 millions d'euros dont 30 millions d'euros réservés aux systèmes de vidéosurveillance, soit près de 60 % de l'enveloppe globale.

Au total, l'installation, l'exploitation et la maintenance des systèmes de vidéosurveillance représente une charge financière très importante pour l'Etat et les collectivités territoriales, à mettre en regard d'une efficacité très limitée. Votre rapporteur ne peut que regretter que les efforts publics ne portent pas davantage sur le maintien d'une couverture suffisante du territoire par les forces de la police et de la gendarmerie nationale que sur le déploiement tous azimuts de cette technologie dont l'efficacité dans notre pays reste en grande partie à prouver.

Lors de son audition, le DGPN a en outre indiqué qu'il souhaitait la mise en place à moyen terme d'un fichier de photographies couplé à un logiciel de reconnaissance faciale permettant de mieux exploiter les images prises par les caméras de vidéosurveillance. Cet outil constituerait ainsi un troisième fichier pour la police technique et scientifique, à côté du FNAEG et du FAED. Votre rapporteur estime qu'une telle fuite en avant technologique n'est pas souhaitable compte tenu à la fois d'une efficacité douteuse et d'un risque sans cesse grandissant pour les libertés publiques.


* 9 Voir le commentaire de l'article 17 du rapport de 1 ère lecture du PJL LOPPSI de Jean-Patrick Courtois : http://intranet.senat.fr/rap/l09-517/l09-51721.html#toc154

* 10 Les autres cas possibles, avant la loi n°2011-267 du 14 mars 2011 dite LOPPSI, étaient la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation du trafic routier, la constatation des infractions aux règles de la circulation.

* 11 Arrêt « Commune d'Ostricourt ».

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