B. LE GRAVE RETARD PRIS DANS LA RÉVISION DES MESURES DE PROTECTION DES MAJEURS
La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs a imposé au magistrat qui décide d'une mesure de protection d'un majeur, d'en fixer la durée, celle-ci ne pouvant excéder cinq ans. La mesure prend donc fin si le juge n'a pas procédé à son renouvellement après avoir revu la situation du majeur protégé.
Cette disposition s'appliquant aux mesures prononcées avant l'entrée en vigueur de la loi, elle imposait aux juges d'instance de réexaminer, dans un délai de cinq ans, la totalité des mesures de protection qu'ils avaient prononcées préalablement, pour en fixer un nouveau terme et, le cas échéant, les aménager en fonction des nouvelles règles applicables.
Cette révision des mesures de tutelle et de curatelle aurait dû être achevée au plus tard le 7 mars 2012. Toutefois, l'ampleur de la tâche pour les juridictions a conduit le législateur à reporter 31 ( * ) la date limite au 1 er janvier 2014, permettant ainsi un étalement dans le temps de la charge de travail, tant pour les magistrats que pour les fonctionnaires.
La direction des services judiciaires a indiqué à votre rapporteur avoir laissé toute latitude aux juridictions pour organiser dans le temps la révision des mesures en cour. Aucun calendrier ne leur a été imposé en dehors de la date buttoir fixée par la loi.
Des moyens ont toutefois été ponctuellement apportés aux juridictions, pour les aider dans cette tâche.
Ainsi, les tribunaux d'instance ont reçu le renfort d'une trentaine de magistrats au 1 er septembre 2008 : 22 emplois de magistrats instance ont été créés (2 vice-présidents chargés de l'instance et 20 juges d'instance) et 7 magistrats « placés » 32 ( * ) ont été spécialement affectés au traitement du contentieux des tutelles.
Cependant, dans le même temps, comme on l'a vu, de nouvelles missions sont venues alourdir la tâche des tribunaux d'instance qui n'ont pu, faute de moyens, maintenir l'effort nécessaire pour éviter de prendre du retard dans la révision des mesures de tutelles.
Au cours de son audition, M. Michel Mercier, ministre de la justice et des libertés a indiqué qu'à la fin de l'année 2010, près de quatre ans après la promulgation de la loi du 5 mars 2007, le taux de renouvellement des mesures de protection n'était que de 25 %, soit 150 000 mesures, sur les 800 000 mesures qui devaient être révisées.
Il ne reste que trois ans aux tribunaux d'instance pour traiter quatre fois plus de mesures .
Au cours de son audition M. Michel Mercier a présenté les solutions que la Chancellerie envisageait de mettre en oeuvre pour répondre à l'urgence de la situation :
- une localisation des postes pour l'année 2012 qui tiendra davantage compte des tribunaux d'instance. Toutefois votre rapporteur observe que cette intention contrarie l'annonce du gouvernement selon laquelle les postes créés en 2012 sont fléchés pour répondre aux besoins suscités par la réforme de l'hospitalisation d'office et l'expérimentation des citoyens assesseurs de tribunaux correctionnels ;
- la mise en oeuvre de deux modifications législatives ou réglementaires visant à simplifier la procédure et à alléger les tâches du magistrat et du greffe. Il s'agit d'un décret en cours de publication qui permettra aux greffiers d'être assistés par un huissier de justice dans le contrôle des comptes de tutelle et de la possibilité ouverte par le projet de loi sur la répartition des contentieux de faire enregistrer le PACS chez le notaire et non plus au tribunal d'instance. Cependant ces deux mesures n'impacteront que la charge de travail des greffes, pas celle des magistrats ;
- une action de sensibilisation et de communication est à mener pour mieux faire connaître le mandat de protection future afin de déjudiciariser au maximum les mesures de protection et alléger le contentieux devant le juge des tutelles. Par définition cette action ne concernera que les mesures de protection future et non le stock actuel ;
- la relance, en concertation avec les conseils généraux, de l'utilisation des mesures d'accompagnement social personnalisé pour faire baisser le nombre de saisines du juge des tutelles. Ces deux dernières mesures visent à diminuer la charge de travail des juges des tutelles dans la gestion des mesures de protection en cours. Toutefois, compte tenu de la multiplication des domaines d'intervention du juge des tutelles consécutifs aux nouvelles procédures mises en place par la réforme du 5 mars 2007, au mieux, l'allègement escompté compensera la charge de travail supplémentaire imposée aux juges d'instance par la réforme.
Votre rapporteur déplore que les solutions envisagées par la Chancellerie ne soient manifestement pas à la hauteur de l'enjeu .
La solution ne peut venir d'un allongement in extremis du délai de révision, car, ainsi que l'ont souligné les représentants de l'ANJI au cours de leur audition, un tel allongement aurait pour effet d'ajouter au stock des mesures non révisées les mesures ouvertes à compter du 1 er janvier 2009 et les mesures déjà révisées qui arriveront à échéance cinq ans plus tard.
Le risque est grand que, faute de moyens suffisants, le retard accumulé place les tribunaux d'instance, quels que soient le dévouement et l'engagement de leur personnel, dans une situation de quasi sinistre.
Or les conséquences d'un échec de la révision de mesures de protection ne seraient pas seulement graves pour l'institution judiciaire, mais aussi, et surtout, pour les personnes protégées, dont les mesures de protection deviendraient caduques.
Votre rapporteur considère que l'importance du retard accumulé et la gravité de ses conséquences impose à la Chancellerie d'engager un effort massif en direction des tribunaux d'instance afin de leur permettre de procéder, dans les délais prévus à la révision des mesures de tutelles.
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Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, et après avoir constaté que, même s'ils enregistrent une faible progression, les moyens proposés ne sont pas à la hauteur des besoins, la commission a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice judiciaire.
* 31 C'est la loi n°2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures qui a procédé à ce report.
* 32 Les magistrats « placés », auprès du premier président et du procureur général d'une cour d'appel peuvent être pour une durée qui n'est pas renouvelable et qui ne peut excéder huit mois, temporairement affectés dans une juridiction, pour renforcer son effectif afin d'assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable.