3. La contribution pour l'aide juridique : un mode de financement contestable dans son principe
a) Une contribution à l'assiette élargie, qui touchera près de 2,5 millions de justiciables
L'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011 a inséré dans le code général des impôts un article 1635 bis Q instaurant une contribution pour l'aide juridique de 35 euros acquittée par tout justiciable introduisant une instance civile ou administrative.
Cette contribution est due, à peine d'irrecevabilité , dès l'introduction de l'instance.
En sont dispensés les personnes bénéficiaires de l'aide juridictionnelle ainsi que l'État, mais pas les collectivités territoriales, les organismes sociaux ni les autres personnes morales de droit public. Votre rapporteur relève à cet égard que l'absence de dispense de ces derniers revient à faire supporter le financement de l'aide juridictionnelle par le budget des collectivités territoriales et celui des comptes sociaux.
Cette contribution s'appliquera à toutes les procédures intentées en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire ou pour chaque instance introduite devant les juridictions administratives. Toutefois, le législateur a exclu certaines procédures du champ d'application de la contribution, lorsqu'il est apparu que l'acquittement de cette contribution pouvait apparaître comme une entrave disproportionnée au droit d'accès à la justice. La contribution n'est ainsi pas due :
- pour certaines procédures de protection des droits comme les procédures intentées devant la commission d'indemnisation des victimes d'infraction, le juge des enfants, le juge des libertés et de la détention, le juge des tutelles ou le juge aux affaires familiales s'agissant spécifiquement des procédures aux ordonnances de protection ;
- pour les procédures de traitement des situations de surendettement des particuliers et les procédures de redressement et de liquidation judiciaire ;
- pour les procédures d'inscription sur les listes électorales ;
- pour les recours introduits devant le juge administratif à l'encontre de toute décision individuelle relative à l'entrée, au séjour et à l'éloignement d'un étranger sur le territoire français ainsi qu'au droit d'asile, et pour le référé liberté.
La circulaire du 30 septembre 2011 relative à la présentation de l'instauration d'une contribution pour l'aide juridique précise par ailleurs que sont aussi exclues du paiement de la taxe, les procédures dont la loi prévoit expressément qu'elles sont gratuites et sans frais, en vertu du principe selon lequel la loi spéciale déroge à la loi générale. Cette exception concerne notamment les procédures introduites devant les juridictions statuant en matière de contentieux de la sécurité sociale 25 ( * ) et les procédures douanières 26 ( * ) .
Lorsque l'instance est introduite par un auxiliaire de justice, ce dernier acquitte pour le compte de son client la contribution par voie électronique. Lorsque l'instance est introduite sans auxiliaire de justice, la partie acquitte cette contribution par voie de timbre mobile ou par voie électronique.
Cette contribution est affectée au Conseil national des barreaux (CNB) et ne transite pas par le budget de l'État. Pour répartir le produit de la taxe entre les barreaux, le CNB conclut une convention de gestion avec l'union nationale des CARPA (UNCA). Le produit de la contribution est intégralement affecté au paiement des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle par l'intermédiaire des CARPA.
Les services de la Chancellerie estiment que la contribution concernera près de 3 millions de procédures et près de 2,5 millions de justiciables , une fois les 450 000 requérants bénéficiaires de l'aide juridictionnelle mis à part.
Affaires |
|
Cour de cassation |
19 617 |
Cours d'appel |
233 622 |
Tribunal de grande instance |
882 732 |
Conseil des Prud'hommes |
217 128 |
Tribunal d'instance |
1 187 048 |
Juridictions commerciales |
149 368 |
Juridictions administratives |
176 293 |
Total |
2 865 808 |
Source : sous-direction de la statistique et des études, ministère de la justice et des libertés.
Le rapport net de cette contribution devrait être, selon les mêmes services, de 84,9 millions d'euros, après déduction des coûts de perception.
Votre rapporteur observe toutefois, qu'à l'origine, l'évaluation du montant de la taxe prenait en compte les contentieux portées devant les juridictions des affaires de sécurité sociale (94 300 en 2009), que la circulaire précitée vient d'exclure. Le produit escompté devrait donc être minoré de plus de 2,5 millions d'euros.
b) Une taxe doublement contestable, dans ses effets et dans son principe même
La contribution pour l'aide juridictionnelle suscite une large réprobation dont les syndicats de magistrats et de personnels de la justice se sont fait l'écho auprès de votre rapporteur au cours de leur audition . En effet, si la nécessité de financer la réforme de la garde à vue ne se discute pas, le dispositif retenu par le gouvernement apparaît très contestable au regard des conséquences qu'il emporte.
(1) Une débudgétisation partielle de l'aide juridictionnelle
Votre rapporteur souligne l'évolution très regrettable qu'amorce la création de la contribution pour l'aide juridique : en affectant directement au Conseil national des barreaux, comme l'y autorise la loi organique relative aux lois de finances, le produit de cette taxe, le gouvernement fait disparaître du budget de l'État la dépense d'aide juridictionnelle correspondante, ce qui la soustrait à l'examen parlementaire.
Or, rien ne justifiait de procéder ainsi, pas même le rôle important que jouent les caisses de règlement pécuniaire des avocats dans le financement de l'aide juridictionnelle. Cette débudgétisation s'explique d'autant moins que la dépense qu'elle financera restera, comme on l'a vu, pour une part limitée, financée directement sur les crédits de l'aide juridictionnelle. En outre, l'intervention de l'avocat en garde à vue ne se distingue pas des autres interventions qu'il accomplit auprès des justiciables dans le cadre des autres missions d'aide juridictionnelle.
La gestion par les CARPA des fonds versés par
l'État
La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 a dévolu aux barreaux la gestion des fonds versés par l'État au titre de sa contribution à la rétribution des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle ou au titre des aides à l'intervention de l'avocat. L'État affecte annuellement à chaque barreau une dotation représentant sa part contributive aux missions d'aide juridictionnelle ou aux missions d'aide à l'intervention de l'avocat accomplies par les membres du barreau. Cette dotation est versée à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) placée près du barreau, qui assure le règlement des rétributions dues aux avocats qui prêtent leur concours au bénéficiaire de l'aide. La dotation due au titre de chaque année donne lieu à une provision initiale versée en début d'année (février) et ajustée en fonction de l'évolution du nombre des admissions à l'aide juridictionnelle et du montant de la dotation affectée par le Conseil national des barreaux au titre de la répartition de la contribution pour l'aide juridique. Elle est liquidée en fin d'année sur la base du nombre des missions achevées, après déduction de la dotation effectivement versée au titre de la répartition de la contribution pour l'aide juridique. Les CARPA, pour faire face à la dépense de rétribution des avocats, disposent de la dotation annuelle versée par les cours d'appel qui s'ajoute au report de trésorerie constitué par la différence entre les dotations des années antérieures et les paiements effectués au profit des avocats. Cet excédent de trésorerie représentait un peu plus de deux mois de fonds de roulement en début d'année 2009 soit 49 M€. Les CARPA peuvent placer les fonds versés par l'État. Les produits financiers obtenus permettent de compenser partiellement la charge des frais de fonctionnement du service aide juridictionnelle assumé par les CARPA. |
Alors que le produit escompté de la contribution pour l'aide juridique, de 84,9 millions d'euros, représentera le quart du montant total de la dotation ouverte en 2012 pour les crédits de l'aide juridictionnelle (336,3 millions d'euros), il n'apparaît pas dans le budget que l'État consacre à cette dépense, ce qui fausse l'appréciation de l'effort engagé pour cette action essentielle du programme 101.
Cette débudgétisation partielle des dépenses d'aide juridictionnelle apparaît à votre rapporteur contraire à la mission de l'État de garantir, par l'aide juridictionnelle, l'accès des justiciables à la justice, en en maîtrisant en totalité le financement. Elle nuit à la clarté et à la sincérité de la présentation budgétaire de l'effort fourni par l'État en direction de l'aide juridictionnelle.
(2) L'accès au juge restreint par la création d'un ticket modérateur pour la justice
D'ores et déjà, en application de l'article 74 de la loi de finances pour 2011, les justiciables éligibles à l'aide juridictionnelle acquittent un « ticket modérateur » pour l'accès à la justice qui s'élève à 8,84 euros. D'après les informations fournies par les services de la Chancellerie à votre rapporteur, un projet de décret en Conseil d'État devrait porter ce « droit de plaidoirie » à 13 euros, en en excluant le versement dans certains contentieux de l'urgence.
La création de la contribution pour l'aide juridique étend le principe de ce « ticket modérateur » à l'ensemble des justiciables qui ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle, puisqu'ils devront pour la très grande majorité des contentieux civils ou administratifs acquitter 35 euros au moment de l'introduction de leur instance, sous peine d'irrecevabilité de cette dernière, soulevée d'office par le juge.
Votre rapporteur juge cette entrave financière à l'accès au juge tout à fait contestable .
Elle observe que l'argument selon lequel cette somme resterait modérée au regard des autres frais engagés par le justiciable pour faire valoir son droit ou au regard des sommes sur lesquelles porte le litige ne tient tout simplement pas. Dans de nombreux cas, par exemple en matière familiale en dehors des divorces ou des obligations alimentaires, les instances civiles ne portent sur aucun intérêt pécuniaire. Par définition le contentieux administratif de la légalité échappe lui aussi à ces questions financières. De plus, les justiciables sont dispensés du ministère d'avocat devant de nombreuses juridictions (tribunaux d'instance, conseil des prud'hommes etc .).
En outre, le renchérissement de l'accès au juge ne se limite pas à ces seuls 35 euros : si, en principe, cette somme ne doit être acquittée qu'une fois par instance, de l'appel à la cassation, elle est susceptible d'être à nouveau perçue pour chaque nouvelle instance qui, sans relever des instances « successives » visées par l'article 1635 bis Q, présente malgré tout un lien avec le premier contentieux. Ce qui, pour un même justiciable correspond à un seul litige, par exemple celui qui l'oppose à son voisin ou à son débiteur, est susceptible de donner lieu à plusieurs instances : en référé, à titre conservatoire, au fond, pour trancher le litige, puis le cas échéant, au moment de l'exécution. Le même justiciable, en proie à un litige qui évolue, devra donc acquitter plusieurs fois la contribution, alors même que le gain qu'il escompte, lui, n'augmente pas.
Et, si la cour d'appel est saisie, il lui appartiendra de s'acquitter, comme son adversaire, du droit d'un montant de 150 euros, dû par les parties à l'instance d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire devant la cour d'appel, créé, pour financer le fonds d'indemnisation des avoués, par l'article 1635 P du code général des impôts.
À mesure des taxes et contributions acquittées, le coût du procès augmente sensiblement. Le fait que la somme puisse être récupérée, en cas de succès, sur les dépens n'est pas suffisant : elle dépend de l'état de fortune de l'adversaire et de l'appréciation du juge.
En outre, les frais doivent être avancés pour que l'action soit recevable. Or, même si les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle en sont dispensés, on doit observer, que pour certains justiciables aux faibles revenus mais pourtant exclus du bénéfice de l'aide juridictionnelle, le coût n'est pas négligeable. En 2011, 35 euros représentent en effet 2,5 % du plafond de ressources mensuelles pour bénéficier de l'aide juridictionnelle partielle, fixé à 1 393 euros (929 euros pour l'aide totale) et 150 euros, 10 % de ce même plafond.
Surtout, ces renchérissements successifs de l'accès au juge rendent compte du basculement qui est en train de s'opérer et qui consiste à faire contribuer le justiciable, à la place de la collectivité, au fonctionnement du service public de la justice.
(3) Une question de principe : le financement de l'accès à la justice doit reposer sur la solidarité et non peser sur le justiciable
Le citoyen est privé de tous ses droits s'il n'est pas en mesure d'accéder au juge qui le rétablira dans ses droits. C'est ce qui rend le service public de la justice si précieux et l'accès au juge si fondamental.
Votre rapporteur souligne que la contribution pour l'aide juridique pose à cet égard une question de principe. Dans son esprit, elle part du postulat que, pour financer l'accès au droit de certains justiciables, éligibles à l'aide juridictionnelle, il est nécessaire de faire contribuer les autres justiciables, sans que l'entrave qu'on apporte à leur propre accès à la justice soit dirimant.
Votre rapporteur ne partage pas cette conception. Elle considère que, lorsqu'il s'agit des missions régaliennes de l'État et du fonctionnement de services publics aussi essentiels que celui de la justice, il est préférable de faire appel à la solidarité nationale et de refuser de faire peser la charge sur les seuls justiciables, au risque de les décourager de saisir la justice pour faire respecter leur droit. Imaginerait-on de faire financer couverture maladie universelle (CMU) par les seuls malades et non par toute la collectivité ?
C'est pourquoi, à son initiative, votre commission a adopté un amendement supprimant la contribution pour l'aide juridique en en gageant le produit, afin de préserver le financement des missions d'aide juridictionnelle.
D'autres pistes de financement méritent d'être explorées. Votre rapporteur observe notamment que peu de progrès ont été réalisés pour améliorer la complémentarité entre les assurances de protection juridique, dont bénéficient nombre de justiciables, et l'aide juridictionnelle.
Encore aujourd'hui, aucun outil n'existe qui permette de savoir si le candidat à l'aide juridictionnelle ne dispose pas d'une assurance personnelle qu'il a payée et qui pourrait prendre en charge ses frais de justice, sans que la collectivité publique ait à intervenir. Il serait souhaitable qu'une réflexion s'engage sur ce point et qu'elle aborde la question de la participation de ces assurances au financement des missions d'aide juridictionnelle.
* 25 Sont ainsi concernés, en vertu de l'article 31 de la loi n° 46-2339 du 24 octobre 1946 les contentieux portés, en première instance, appel ou cassation, devant les juridictions des affaires de sécurité sociale ou du contentieux de l'incapacité. Votre rapporteur observe toutefois que l'interprétation développée par la circulaire est fragile : la disposition en cause, antérieure à l'adoption de la Constitution du 4 octobre 1958 et semblable à celle de l'article R. 144-10 du code de la sécurité sociale, est vraisemblablement de nature réglementaire et elle pourrait être modifiée par décret pris après avis Conseil d'État sur le fondement de l'article 37 de la Constitution.
* 26 En vertu de l'article 367 du code des douanes.