PREMIÈRE PARTIE : ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Malgré un budget présenté en progression, la réalité est nettement plus nuancée. Une augmentation de la dotation de fonctionnement des universités inférieure à l'inflation ainsi qu'une compensation insuffisante de leur glissement vieillesse-technicité (GVT) positif devraient déboucher sur un gel des recrutements voire une suppression de postes au sein des établissements publics d'enseignement supérieur dont la situation budgétaire est la plus critique. C'est en particulier le cas des universités dites de « territoire », de petite ou moyenne envergure, qui sont historiquement sous-dotées et rencontrent, cette année, les plus grandes difficultés à clôturer leur budget.
La Conférence des présidents d'université (CPU) indique ainsi que huit universités sont confrontées à des difficultés financières qui les conduiront vraisemblablement à présenter un budget en déséquilibre pour la deuxième année consécutive en 2011 1 ( * ) . Contrairement à ce que prétend le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, cette situation préoccupante ne peut être imputée uniquement à des problèmes de gestion interne au sein de ces établissements, mais c'est bien un écrêtement des dotations de fonctionnement et une compensation insuffisante des charges transférées par l'État qui en sont la cause.
Dans son rapport relatif à l'autonomie des universités en Europe, publié le 15 novembre 2011, l'Association européenne des universités a comparé le niveau d'autonomie des universités dans 26 pays européens. Si cette évaluation, réalisée en 2010, intervient alors que le processus d'accession de l'ensemble des universités françaises aux responsabilités et compétences élargies (RCE) n'est pas encore achevé 2 ( * ) , ses conclusions n'en demeurent pas moins édifiantes. L'agence d'informations spécialisées AEF note, ainsi, que, « dans ce classement, la France se situe dans le groupe intermédiaire inférieur en ce qui concerne l'autonomie organisationnelle (16 e place), l'autonomie financière (22 e place) et l'autonomie en matière de gestion des ressources humaines (27 e place). En matière d'autonomie académique, elle se situe au bas du tableau (28 e place) et fait partie, avec la Grèce, du groupe inférieur » 3 ( * ) .
Les performances décevantes de notre système d'enseignement supérieur dans les comparaisons internationales sont, selon votre rapporteure pour avis, l'expression d'un malaise prégnant au sein de la communauté universitaire et étudiante . L'enthousiasme affiché par le Gouvernement tranche, en effet, avec :
- le désarroi de huit présidents d'université condamnés à présenter un budget en déséquilibre dans l'incapacité de faire face à leurs obligations ;
- la détresse des équipes d'enseignants-chercheurs qui, quand elles ne sont pas accaparées par la course effrénée des laboratoires aux investissements d'avenir, doivent assumer à effectifs constants une charge de travail accrue dans le cadre du plan pour la réussite en licence et ne peuvent plus consacrer un temps raisonnable à la réflexion académique et à la recherche dans ce climat détérioré ;
- et, enfin, les inquiétudes d'une communauté étudiante attaquée aussi bien sur l'allocation personnalisée au logement que sur les mutuelles étudiantes, et au sein de laquelle les étudiants étrangers sont scandaleusement stigmatisés par la politique de réduction de l'immigration légale conduite par l'actuel Gouvernement.
Votre rapporteure pour avis rappelle le constat alarmant réalisé par le rapport du Secours catholique, publié le 8 novembre 2011, intitulé Jeunes, génération précaire , qui souligne un durcissement de la pauvreté chez les 18-25 ans : « les jeunes subissent de plein fouet la crise économique et sociale, ils sont plus diplômés, plus qualifiés que les générations précédentes mais paradoxalement plus précaires. Ils cumulent tous les risques et toutes les difficultés. Ils devraient bénéficier d'un certain nombre de droits (formation, emploi, santé, logement) mais ce n'est pas le cas. L'État est globalement peu présent à leurs côtés. Ainsi, 30 % des jeunes accueillis par le Secours catholique sont sans aucune ressource, 36 % vivent en logement précaire, et plus de 40 % sont au chômage ».
Dans ces conditions, l'accession à l'autonomie fait figure de « cadeau empoisonné » pour un certain nombre de nos établissements d'enseignement supérieur, et ce à plusieurs titres :
- des transferts de charges insuffisamment compensés par l'État, ce qui, pour autant, n'empêche pas le Gouvernement de se prêter à une appréciation moralisatrice sur la gestion des universités par leurs présidents en les mettant, comme pour les collectivités territoriales, dos au mur, réclamant, en filigrane, des gels et des suppressions de postes ;
- une allocation des ressources à la performance et à l'activité, fondée sur des critères encore pour le moins opaques et hautement perfectibles, qui prend insuffisamment en compte les efforts conduits par les universités dites de « territoire », de taille réduite, au risque d'accentuer encore les inégalités territoriales au sein de notre système d'enseignement supérieur ;
- un accroissement des inégalités de moyens non seulement entre établissements mais également entre filières dans la course aux investissements d'avenir, les sciences humaines et sociales faisant l'objet d'une marginalisation croissante dans les sélections opérées dans le cadre des financements assis sur le grand emprunt national.
En effet, en termes de financements extrabudgétaires, les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche bénéficient d'un soutien prioritaire du grand emprunt national, à hauteur de 21,9 milliards d'euros, dans le cadre de son programme d'investissements d'avenir. Toutefois, seulement 1,7 milliard d'euros devrait avoir été dirigé vers l'enseignement supérieur et la recherche d'ici la fin de l'année 2011 . En particulier, les appels à projet lancés dans le cadre des initiatives d'excellence des universités (idex) se sont vu attribuer une enveloppe d'un montant global de 7,7 milliards d'euros sur la durée du grand emprunt.
Dans un courrier accompagnant son rapport 2010-2011 sur la mise en oeuvre du programme d'investissements d'avenir, le comité de surveillance du grand emprunt a encouragé « vivement le gouvernement et le commissariat général à l'investissement à maintenir les grandes orientations du programme d'investissements d'avenir, en particulier en évitant toute logique de saupoudrage et de substitution budgétaire , de manière à ce que les investissements d'avenir s'inscrivent bien en addition des politiques publiques courantes ».
Le Gouvernement ne peut donc raisonnablement s'appuyer sur les financements extrabudgétaires (qui, du reste, sont distribués au compte-gouttes et ne bénéficient qu'à un nombre restreint d'établissements) pour prétendre à un maintien voire une progression des ressources de notre système d'enseignement supérieur. Plus de quatre ans après l'adoption de la loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et aux responsabilités des universités, dite loi « LRU », force est de constater que le compte n'y est pas : les engagements présidentiels de progression des moyens de l'enseignement supérieur ne seront pas tenus cette année, et la désillusion au sein de la communauté universitaire est palpable. À l'État désormais d'assumer ses « responsabilités ».
Le 17 novembre 2011, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a annoncé une mise sous tutelle de huit établissements ayant constaté deux déficits de fonctionnement consécutifs, accompagnée de la mise en place d'un « comité des pairs » chargé de les accompagner dans le rétablissement de leur situation. Dans sa grande sagesse, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche entend, ainsi, prodiguer des leçons de gestion à des responsables d'université qu'il avait pourtant abandonnés sur le chemin de l'autonomie, en ignorant jusqu'ici leurs cris d'alerte et leurs explications sur les rigidités structurelles qu'il leur était impossible de surmonter.
Votre rapporteure pour avis s'indigne de l'humiliation subie par les présidents de ces huit établissements qui se voient stigmatisés par cette mise sous tutelle, désignés à la vindicte par un Gouvernement qui échoue dans la mise en oeuvre effective du principe d'autonomie des universités et qui décide de rejeter la responsabilité de ses errements et de ses approximations sur ses partenaires.
I. UN COUP D'ARRÊT À LA PROGRESSION DES MOYENS DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE IMPOSÉ PAR LA RIGUEUR
A. UNE AUGMENTATION DES MOYENS INFÉRIEURE AUX PROMESSES PRÉSIDENTIELLES
1. Une progression en trompe-l'oeil
Le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » de la MIRES bénéficiera, en crédits de paiement, de 12,5 milliards d'euros (contre 12,3 milliards d'euros en 2011) et le programme 231 « Vie étudiante » de 2,2 milliards d'euros (contre 2,1 milliards d'euros en 2011). Selon les informations transmises par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ces moyens sont complétés par 1,3 milliard d'euros de crédits extrabudgétaires issus du programme d'investissements d'avenir financés par le grand emprunt national, dont 263 millions d'euros issus de l'enveloppe des « idex » (initiatives d'excellence), d'un montant total de 7,7 milliards d'euros.
Lors de sa conférence de presse de présentation de la mission MIRES au mois d'octobre 2011, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, M. Laurent Wauquiez, s'est alors félicité que le secteur dans son ensemble bénéficie, en 2012, de 540 millions d'euros de moyens supplémentaires (budgétaires et extrabudgétaires), dont 167 millions d'euros correspondent aux intérêts de l'opération Campus 4 ( * ) . Le reste correspond ainsi à une augmentation de 373 millions d'euros de crédits budgétaires qui se répartissent de la manière suivante :
- une diminution de 12 millions d'euros d'économies à réaliser par les ministères concernés par la MIRES, en participant aux efforts de réduction de la dépense publique ;
- 91 millions d'euros supplémentaires destinés à la vie étudiante ;
- 237 millions d'euros supplémentaires annoncés par le ministère en vue de « conforter l'autonomie », dont 191 millions d'euros de masse salariale et 46 millions d'euros de crédits de fonctionnement en faveur des établissements d'enseignement supérieur. Sur ces 46 millions d'euros, 42 millions seront alloués aux établissements dépendant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ;
- 57 millions d'euros supplémentaires pour l'immobilier.
Votre rapporteure pour avis tient à souligner qu'en 2011, le projet de loi de finances prévoyait une hausse de 706 millions d'euros en faveur de l'enseignement supérieur, dont 198 millions d'euros de crédits budgétaires supplémentaires.
L'analyse des crédits détaillés dans le projet annuel de performances de la mission MIRES fait, dès lors, apparaître que si l'augmentation des crédits de la MIRES est de 1,6 % en autorisations d'engagement, elle n'est que de seulement 1 % en crédits de paiement, soit une perte d'au moins 0,7 % en pouvoir d'achat.
D'une façon générale, votre rapporteure pour avis déplore une présentation confuse des moyens de l'enseignement supérieur et de la recherche dans le cadre du projet annuel de performances accompagnant le projet de loi de finances pour 2012, difficilement compatible avec les principes de sincérité budgétaire et de transparence de l'information à transmettre au Parlement. Les amalgames sont foison , aussi bien entre financements budgétaires et financements extrabudgétaires qu'entre ressources prévisionnelles et ressources effectivement disponibles pour l'exercice budgétaire considéré.
Votre rapporteure pour avis relève ainsi que le projet annuel de performances n'établit pas de distinction claire entre les crédits budgétaires et les crédits extrabudgétaires et qu'au sein de ces derniers, principalement composés des investissements d'avenir financés par le biais du grand emprunt national, il ne détaille pas suffisamment les dotations en capital et les intérêts de placement qui seuls, correspondent aux ressources effectivement disponibles. Il est alors édifiant de constater que, pour 2012, les crédits extrabudgétaires disponibles (hors plan Campus) s'établissent à 1,27 milliard d'euros, pour des engagements d'une valeur totale annoncée de 21,9 milliards d'euros.
* 1 L'article 56 du décret du 27 juin 2008 relatif au budget et au régime financier des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPCSCP) bénéficiant des responsabilités et compétences élargies, prévoit qu'en cas de budget voté en déséquilibre, « le budget qui suit la constatation des déficits est établi par le recteur d'académie ».
* 2 En 2010, 51 universités étaient passées aux RCE, soit environ 60 % des universités françaises. Au 1 er janvier 73 universités sont passées aux RCE. Il est prévu par la loi que toutes les universités passent aux RCE avant août 2012.
* 3 Agence d'informations spécialisées AEF, dépêche n° 158048, 15 novembre 2011.
* 4 L'opération Campus est un plan exceptionnel en faveur de l'immobilier universitaire représentant un investissement de plus de cinq milliards d'euros. Il s'agit de faire émerger 12 campus d'excellence qui seront la vitrine de la France et renforceront l'attractivité et le rayonnement de l'université française.