B. LA STRATÉGIE DU « LOGEMENT D'ABORD » NE DOIT PAS CONDUIRE À UNE REMISE EN CAUSE DE LA POLITIQUE D'HÉBERGEMENT
1. La politique d'hébergement continue de souffrir d'une sous-estimation récurrente de ses crédits
a) Une importance accrue au fil des années
La politique de l'hébergement constitue, depuis les années 50, une mission légale de l'Etat que le processus de décentralisation n'est pas venu modifier. C'est l'Etat qui autorise, finance et contrôle les structures d'hébergement et la décision d'admission d'une personne dans un centre relève formellement du préfet.
Fondée sur le principe de l'accueil inconditionnel des personnes en difficulté, la politique de l'hébergement a fortement évolué depuis les années 80, conduisant à une diversification des solutions apportées aux personnes en difficulté et à la pérennisation de mesures prévues au départ pour répondre à des besoins considérés comme temporaires.
Parallèlement à ces évolutions, la fragilisation des parcours de vie a conduit à ce que l'absence de domicile propre touche désormais des individus aux profils très différents. C'est ce que notait le rapport de la conférence de consensus « Sortir de la rue » lorsqu'il dressait le constat de « l'ampleur du changement intervenu dans les dernières décennies dans la population vivant « à la rue ». Le « clochard » est minoritaire ; ceux que la rupture des relations familiales, la perte définitive des ressources, l'absence de droits reconnus ou l'expulsion du logement ont conduit dans leur situation actuelle, sont les plus nombreux et sont aussi dans des situations très diverses. Il existe de grandes catégories de « sans domicile » qui appellent des solutions distinctes ; il existe surtout une variété infinie de parcours qui nécessite une écoute patiente et particulière des personnes » 9 ( * ) .
Les dispositifs de prise en charge et d'hébergement des personnes sans domicile
Source : Cour des comptes, rapport public thématique sur les personnes sans domicile, 2007.
Plusieurs évolutions législatives récentes sont venues renforcer la place de la politique de l'hébergement.
Ainsi, l'article 2 de la loi « Dalo » du 5 mars 2007 10 ( * ) , sur le modèle de l'article 55 de la loi « SRU », renforce les obligations pesant sur les communes urbaines en les contraignant à disposer sur leur territoire d'au moins une place d'hébergement par tranche de deux mille habitants (d'une place pour mille dans les communes de plus de 100 000 habitants).
L'article 4 consacre quant à lui le principe de « non remise à la rue » : « toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation ».
La loi dispose également que les personnes hébergées peuvent être reconnues comme prioritaires par les commissions de médiation pour l'exercice du droit au logement opposable.
La loi « Molle » du 25 mars 2009 11 ( * ) a quant à elle créé des plans départementaux d'accueil, d'hébergement et d'insertion devant être intégrés aux plans départementaux pour les logements des personnes défavorisées (PPALPD). Prenant en compte la situation spécifique de la région Ile-de-France, elle prévoit sur ce territoire un plan régional ainsi qu'une régionalisation de la veille sociale.
La loi redéfinit par ailleurs la veille sociale en élargissant ses missions à l'évaluation médicale, psychique et sociale et impose aux structures d'hébergement d'informer le préfet en temps réel des places vacantes afin que celui-ci puisse répartir en conséquence les personnes recueillies.
Le caractère inconditionnel de l'hébergement d'urgence est réaffirmé puisqu'il est précisé que « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence ».
b) Des moyens budgétaires insuffisants
Dans son dernier rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre a estimé que 600 000 personnes sont aujourd'hui confrontées à l'absence de logement personnel . Ce chiffre global recouvre des situations diverses, allant de l'hébergement contraint chez des tiers à l'absence de domicile fixe.
Concernant cette dernière catégorie, une étude récente de l'Insee estime que, sur la deuxième moitié des années 2000, 133 000 personnes peuvent être considérées comme sans domicile 12 ( * ) :
- 33 000 vivent dans des lieux non prévus pour l'habitation ou dans des centres d'hébergement d'urgence ;
- 66 000 résident dans des CHRS ou d'autres établissements de longue durée ;
- 34 000 sont logées dans des dispositifs d'hébergement financés par l'aide au logement temporaire.
Or, si les dépenses consacrées à l'hébergement ont augmenté de façon régulière depuis le début des années 2000, les crédits initialement attribués en loi de finances ont été systématiquement insuffisants pour couvrir les besoins constatés.
Evolution des crédits de l'hébergement du dispositif généraliste
Source : Haut
comité pour le logement des personnes défavorisées
(HCLPD),
hébergement des personnes en difficulté : sortir
de la gestion de crise, juin 2009.
Cette sous-estimation récurrente des besoins aboutit à des difficultés considérables pour l'accueil des personnes en demande d'hébergement. Une enquête récente de la fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) réalisée sur un échantillon de trente-quatre départements (en dehors de Paris) affiche des résultats éclairants 13 ( * ) : sur 1 701 demandes exprimées dans la journée du 20 juillet, 35 %, ont donné lieu à un hébergement et 65 % ont été laissées sans solution . Quatre fois sur cinq, le motif était un manque de place et près de la moitié des refus pour manque de place ont concerné des couples avec des enfants.
* 9 Conférence de consensus, Rapport du jury d'audition : Sortir de la rue, décembre 2007.
* 10 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.
* 11 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.
* 12 Pierrette Briant et Nathalie Donzeau, « Etre sans domicile, avoir des conditions de logement difficile : la situation dans les années 2000 », Insee première n° 1 330, janvier 2011.
* 13 Enquête Fnars réalisée le 20 juillet 2011.