B. LE MONOPOLE, DISPOSITIF À L'EFFICACITÉ DISCUTABLE POUR RÉDUIRE LES DÉFICITS

Le rapport de M. Michel Camdessus évoque, parmi les lacunes de la gestion publique, la « contradiction entre la nécessaire discipline des procédures d'adoption des lois financières et la dispersion des sources d'initiative à leur propos ».

Afin de remédier aux effets jugés pernicieux de cette « dispersion » en matière fiscale, le monopole, institué par l'article 1 er du projet de loi 7 ( * ) , supprime l'initiative parlementaire pour ce qui concerne les propositions de lois comportant des dispositions fiscales et limite le droit d'amendement en matière fiscale aux seules lois financières.

En outre, constitutionnalisant les dispositions de la circulaire du 4 juin 2010 8 ( * ) et, à travers elle, les règles de la discipline gouvernementale, il supprime aussi l'initiative des ministres en matière fiscale dans leurs champs de compétences respectifs, hors loi de finances.

Ainsi, comme l'ont constaté les commissions saisies sur le texte à l'Assemblée nationale, les deux principales « cibles » du monopole sont, d'une part, les parlementaires , à travers leur droit d'initiative et, d'autre part, le législateur « ordinaire » . Peut-on trouver là un gisement d'économies à la hauteur des données budgétaires rappelées plus haut ?

Si seule une analyse approfondie permet de répondre à cette question, en revanche l'extension du monopole aux mesures fiscales créant ou augmentant des recettes n'est guère compréhensible au regard de l'objectif, puisqu'il aboutit à supprimer deux sources potentielles de hausses de recettes .

1. Une initiative parlementaire en matière financière déjà très restreinte par l'article 40 de la Constitution

Contrairement au Gouvernement, les parlementaires sont déjà fortement contraints par l'application de l'article 40 de la Constitution, qui interdit le dépôt d'amendements entraînant une diminution des ressources publiques ou la création ou l'aggravation d'une charge publique

L'existence même de l'article 40 peut faire naître des doutes quant à la possibilité de réaliser d'importantes économies en supprimant ou limitant l'initiative parlementaire en matière fiscale.

S'il est difficile de quantifier précisément l'ensemble des pertes de recettes qui seraient issues d'amendements ou de propositions de loi parlementaires, il apparaît judicieux de s'appuyer, en la matière, sur les observations émises par le président de la commission des finances du Sénat, M. Jean Arthuis, placé par définition à un poste éminent pour rendre compte de l'application de l'article 40.

Celui-ci relevait ainsi, dans l'exposé des motifs de son amendement tendant à l'abrogation de l'article 40 déposé sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la modernisation des institutions de la V ème République, deux éléments fondamentaux :

- d'une part, le creusement continu des déficits en dépit de l'application de l'article 40 : « l'existence de l'article 40 n'a pas empêché l'accroissement depuis 1958 des dépenses publiques (+ 20 points de PIB) et la constitution d'un stock de dette publique considérable » ;

- d'autre part, le sens de la responsabilité des parlementaires : « les parlementaires, nonobstant les doutes que d'aucuns pourraient encore avoir, sont des « sages budgétaires ».

Il proposait ainsi, en supprimant l'article 40, de « rééquilibrer les pouvoirs du gouvernement et du Parlement dans la procédure législative » en faisant « le pari, qu'en rendant leur liberté aux parlementaires, ils mesureront et assumeront la plénitude de leurs responsabilités ».

Force est de constater que le monopole fait le pari inverse puisqu'il durcit l'application de l'article 40 en interdisant l'adoption de propositions de loi comportant des mesures fiscales ou ayant des incidences financières 9 ( * ) et en restreignant le droit d'amendement aux seules lois financières.


* 7 L'article 1 er prévoit que seules les LF et les LFSS pourraient fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, et que seules les LFSS pourraient déterminer les principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale, c'est-à-dire les principes applicables aux cotisations sociales.

* 8 Circulaire du Premier ministre du 4 juin 2010 relative à l'édiction de mesures fiscales et de mesures affectant les recettes de la sécurité sociale qui demande à l'ensemble des membres du Gouvernement de ne plus insérer de dispositions fiscales ou qui affectent les recettes de la sécurité sociale dans les projets de loi ordinaires et de donner un avis négatif à l'introduction de telles mesures par voie d'amendement parlementaire, y compris dans des propositions de loi.

* 9 Du fait de l'impossibilité d'utiliser la technique du « gage fiscal », sur laquelle le rapport reviendra plus loin.

Page mise à jour le

Partager cette page