III. UN PROGRAMME QUASI-MUET SUR LA QUESTION DU DÉFENSEUR DES DROITS
Rappelons que la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a créé, en son article 41, un nouvel article 71-1 de la Constitution instituant un Défenseur des droits :
« Art. 71-1.-Le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d'une mission de service public, ou à l'égard duquel la loi organique lui attribue des compétences. »
« Il peut être saisi, dans les conditions prévues par la loi organique, par toute personne s'estimant lésée par le fonctionnement d'un service public ou d'un organisme visé au premier alinéa. Il peut se saisir d'office. »
Cet article renvoie à une loi organique le soin de définir « les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur des droits » et de déterminer « les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l'exercice de certaines de ses attributions. »
Le projet de loi organique relatif au Défenseur des droits, déposé au Sénat le 9 septembre 2009, prévoit que les attributions du Défenseur des droits s'étendront non seulement à celles aujourd'hui exercées par le Médiateur de la République, mais seront élargies à celles du Défenseur des enfants et de la CNDS.
Souhaitant conforter la légitimité et les pouvoirs du Défenseur des droits, notre assemblée, à l'initiative de sa commission des lois, a modifié le projet de loi organique afin d'élargir son périmètre de compétence à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l'égalité : le Défenseur se substituerait donc à quatre autorités administratives indépendantes : le Médiateur de la République, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), le Défenseur des enfants et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) ; il en reprendrait l'intégralité des compétences.
Pour ses promoteurs, la création du Défenseur des droits vise, prioritairement, à renforcer la protection des droits en France.
Notre collègue M. Patrice Gélard, rapporteur au nom de la commission des lois des deux projets de loi, a, dans son rapport, soutenu que le Défenseur des droits, par son autorité constitutionnelle, son organisation et l'étendue de ses attributions, pourrait consacrer à la défense des droits et libertés des pouvoirs plus importants que ceux dont disposent aujourd'hui les autorités qu'il remplacera.
Selon lui, sa création permettra donc à notre pays de franchir une nouvelle étape vers la « démocratie irréprochable » que les Français attendent.
Votre rapporteur a eu l'occasion d'exprimer, au nom de son groupe, une position très différente à l'occasion des débats parlementaires sur les projets de loi organique et ordinaire.
Néanmoins, prenant acte de la très probable mise en oeuvre, en 2011, de la réforme, il a souhaité examiner, en tant que rapporteur de votre commission, les effets budgétaires réels de cette nouvelle autorité et les perspectives précises de mutualisation, en particulier en termes de locaux.
Ces questions très importantes n'ont, étonnamment, été abordées ni par l'étude d'impact du projet de loi organique sur le Défenseur des droits, ni par les documents budgétaires du Gouvernement, ni par les récents débats qui ont eu lieu à l'Assemblée nationale sur le programme budgétaire « Défense des droits et libertés ».
En premier lieu, l'étude d'impact précitée est particulièrement pauvre sur les aspects budgétaires et organisationnels : l'étude se borne à indiquer, sans s'appuyer sur aucune donnée chiffrée ni aucune projection concrète , que la réunion des compétences de différentes AAI devrait favoriser une « meilleure allocation des moyens ».
En second lieu, votre rapporteur ne peut que constater que les documents budgétaires à sa disposition sont quasi-muets sur la mise en place prochaine de cette nouvelle autorité constitutionnelle : le projet annuel de performances pour 2011 appelle simplement à « conserver à l'esprit la création prochaine du Défenseur des droits » et les services du Premier ministre, interrogés par votre rapporteur, n'ont pas été en mesure d'apporter des réponses précises au questionnaire budgétaire.
De surcroît, votre rapporteur regrette vivement que ces mêmes services n'aient pas respecté la date limite du 10 octobre 2010 , fixée par l'article 49 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), pour répondre au questionnaire budgétaire. Les réponses n'ont été adressées que le 15 novembre 2010 après plusieurs relances.
Enfin, les travaux à l'Assemblée nationale se sont bornés à rappeler que 2011 verrait la création du Défenseur des droits 5 ( * ) .
Votre rapporteur s'étonne de l'absence d'anticipation de la mise en oeuvre d'une réforme pourtant présentée par le Gouvernement comme essentielle pour le renforcement de la démocratie.
Certes, comme l'a indiqué M. Serge Lasvigne, secrétaire général du Gouvernement, lors de son audition, d'une part, l'Assemblée nationale ne s'est pas encore prononcée sur le projet de loi organique (ainsi que sur le projet de loi ordinaire qui l'accompagne) 6 ( * ) et le périmètre voté par le Sénat n'a donc pas été confirmé, d'autre part, le Défenseur des droits, autorité indépendante constitutionnellement garantie, sera chargée de définir lui-même son organisation.
Pour autant, il eût été opportun que les services du Premier ministre engagent, dès le vote du Sénat, une réflexion avec les AAI concernées pour préparer au mieux la transition - sur un plan humain et budgétaire - quitte à prévoir différents scénarii en fonction de la position des députés.
Or, non seulement aucune réunion de concertation n'est intervenue sous l'égide de Matignon, mais encore aucun mandat n'a été donné à l'une des AAI pour anticiper la mise en place de la nouvelle autorité alors qu'il aurait pu être utilement décidé de désigner une mission de préfiguration , chargée de conduire un travail exploratoire.
Votre rapporteur considère que deux points importants en particulier auraient dû être anticipés :
- d'une part, les perspectives réelles de mutualisation et de dépenses du Défenseur des droits en 2011, perspectives qui conditionnent le budget de ce dernier ;
- d'autre part, la question de la localisation du futur Défenseur des droits. Si elle peut paraître anodine, cette question est absolument essentielle dans l'optique de créer, au sein du personnel, une « culture commune » et un sentiment d'appartenance à une même institution.
A. QUEL RATTACHEMENT BUDGÉTAIRE ?
1. Le principe, voté par le Sénat, de la sanctuarisation des crédits du Défenseur des droits
Rappelons que, reprenant les dispositions habituelles pour les autorités administratives indépendantes, l'article 3 du projet de loi ordinaire relatif au Défenseur des droits précise que :
- le Défenseur des droits est ordonnateur des crédits qui lui sont affectés : cette disposition conforte l'autonomie financière du Défenseur des droits, gage de son indépendance ;
- les comptes du Défenseur des droits ne sont pas soumis à la loi du 10 août 1922 relative à l'organisation du contrôle des dépenses engagées, c'est-à-dire qu'ils échappent au contrôle a priori d'un contrôleur financier du ministère chargé des finances. Ils doivent, en revanche, être contrôlés a posteriori par la Cour des comptes.
A l'initiative de sa commission des lois et contre l'avis du Gouvernement, notre assemblée a complété cet article du projet de loi ordinaire afin de consacrer le principe d'autonomie budgétaire du Défenseur des droits, comme d'ailleurs le Sénat l'avait fait, peu de temps auparavant, pour le Conseil supérieur de la magistrature (article 12 de la loi organique n° 94-100 du 5 février 1994 sur le Conseil supérieur de la magistrature, créé par l'article 9 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution).
Ce principe implique que non seulement le Défenseur des droit devra être autonome dans l'utilisation des crédits qui lui seront alloués mais également que son budget devra être sanctuarisé dans un programme budgétaire spécifique . Il s'agit de neutraliser le principe, institué par la LOLF, de fongibilité des crédits au sein d'un même programme.
En effet, si les crédits du Défenseur des droits sont mêlés, au sein d'un même programme, à ceux, par exemple, d'un service ministériel, ils pourraient servir de « variable d'ajustement » pour abonder les crédits dudit service en cours d'année.
* 5 On rappellera que la commission des lois de l'Assemblée nationale ne se saisit pas pour avis du programme budgétaire « Défense des droits et libertés ».
* 6 L'examen des deux textes devrait intervenir à l'Assemblée nationale en janvier 2011.