N° 113
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2010 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances pour 2011 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,
TOME II
DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT :
MISSION
INTERMINISTÉRIELLE DE LUTTE
CONTRE LA DROGUE ET LA TOXICOMANIE
(MILDT)
Par M. Gilbert BARBIER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : Mme Muguette Dini , présidente ; Mme Isabelle Debré, M. Gilbert Barbier, Mme Annie David, M. Gérard Dériot, Mmes Annie Jarraud-Vergnolle, Raymonde Le Texier, Catherine Procaccia, M. Jean-Marie Vanlerenberghe , vice-présidents ; MM. Nicolas About, François Autain, Paul Blanc, Jean-Marc Juilhard, Mmes Gisèle Printz, Patricia Schillinger , secrétaires ; M. Alain Vasselle, rapporteur général ; Mmes Jacqueline Alquier, Brigitte Bout, Claire-Lise Campion, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Yves Daudigny, Mmes Christiane Demontès, Catherine Deroche, M. Jean Desessard, Mme Sylvie Desmarescaux, M. Guy Fischer, Mme Samia Ghali, MM. Bruno Gilles, Jacques Gillot, Adrien Giraud, Mme Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Françoise Henneron, Marie-Thérèse Hermange, Gélita Hoarau, M. Claude Jeannerot, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Marc Laménie, Serge Larcher, André Lardeux, Dominique Leclerc, Jacky Le Menn, Jean-Louis Lorrain, Alain Milon, Mmes Isabelle Pasquet, Anne-Marie Payet, M. Louis Pinton, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente-Baudrin, MM. René Teulade, François Vendasi, André Villiers. |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 2824, 2857, 2859 à 2865 et T.A. 555
Sénat : 110 et 111 (annexe n° 9 ) (2010-2011)
Mission « Direction de l'action du gouvernement »
Programme 129 « coordination du travail gouvernemental »
Crédits de l'action « Mission
interministérielle de lutte
contre la drogue et la
toxicomanie » pour 2011
Crédits de paiement (en euros) |
Variation 2011/2010 (en %) |
||
Action 15 « Mildt» |
23 877 933 |
- 19,2 % |
|
dont subventions pour charges de service public |
Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) |
3 353 000 |
- 5 % |
Centre interministériel de formation antidrogue (Cifad) |
492 000 |
- 5 % |
Liste des opérateurs
Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) : créée en 1982, son nom et sa forme actuelle découlent du décret n° 96-350 du 24 avril 1996 et ses compétences du décret n° 99-808 du 15 septembre 1999.
Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) : créé en 1993 sous la forme d'un groupement d'intérêt public (Gip). Son objet, défini par sa convention constitutive modifiée en mai 2007, est le recueil, l'analyse, la synthèse et la diffusion des données, ainsi que leur amélioration quantitative et qualitative ; le recueil, la diffusion et la valorisation des connaissances et analyses dans tous les champs disciplinaires intéressés par les drogues et les toxicomanies ; l'expertise et l'animation de la recherche dans ces domaines.
Centre interministériel de formation antidrogue (Cifad) : Gip créé en 2003, placé sous l'autorité de la Mildt et rassemblant les ministères concernés par la lutte contre le trafic ainsi que le ministère de la santé. Basé à Fort-de-France, il offre des formations de pointe concernant notamment la surveillance du fret, des passagers, le blanchiment des capitaux et l'application des conventions internationales destinées aux services répressifs français en poste dans les départements français d'Amérique et aux personnels des services répressifs des pays de la zone d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud.
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Avec un budget prévu pour 2011 de 23,9 millions d'euros, tant en autorisations d'engagement qu'en crédits de paiement, les crédits accordés à la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) baissent de près de 6 millions par rapport à 2010. Cette réduction importante, de l'ordre de 20 %, affecte principalement les dépenses d'intervention, à hauteur de plus de 4 millions.
Ce constat inquiétant est fort heureusement compensé grâce au dynamisme des ressources spécifiques qui sont affectées à sa mission au travers du fonds de concours qui lui est dédié : celles-ci passant de 2 millions en 2010 à 20 millions en 2011, c'est en réalité de 12 millions supplémentaires que disposera la Mildt pour mener à bien sa mission. Il convient de saluer l'action énergique de son président, Etienne Apaire, pour obtenir le recouvrement de ces sommes. Le fonds de concours, créé en 1994, est abondé par la valeur des biens et du numéraire saisis lors de l'interpellation de trafiquants par la police et la gendarmerie. Son montant, qui atteignait 70 000 euros en 2004, a crû rapidement et devrait dépasser, pour la première fois en 2011, les 8 millions que rapporte annuellement le fonds similaire qui existe en Espagne.
Armée d'une ressource fiscale pérenne et dynamique, la Mildt s'est montrée plus efficace : elle a dépassé ses objectifs de mise en oeuvre du plan gouvernemental 2008-2011 de lutte contre les drogues et la toxicomanie. Ce plan, élaboré par la Mildt elle-même, comprend cinq champs, qui se déclinent en 44 objectifs et 193 mesures :
- prévention, communication, information ;
- application de la loi ;
- prise en charge sanitaire et sociale ;
- recherche, formation ;
- action internationale.
L'action de la Mildt semble également toucher davantage l'opinion publique. L'étude menée à deux reprises au cours des dix dernières années par l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) 1 ( * ) montre que l'orientation répressive de la Mildt est progressivement acceptée par la majorité des Français. Comme le conclut cette étude, « l'opinion des Français s'est durcie depuis 2002 » : en 2008, ils se déclaraient à 85 % opposés à une mise en vente libre du cannabis, alors qu'ils n'étaient que 76 % dans ce cas en 2002. Cette acceptation de la politique prohibitive et répressive témoigne de l'évolution suivie dans la perception des causes et des effets de la toxicomanie : « les Français expriment moins de compassion et font preuve de moins d'indulgence vis-à-vis des consommateurs de drogue, qu'ils jugent plus « responsables » que « victimes » (...). En 1999, 59 % des Français pensaient que les usagers d'héroïne en consommaient en raison de difficultés familiales et 51 % parce qu'ils étaient « malades » ; ils ne sont plus respectivement que 43 % et 24 % en 2008. En revanche, la proportion de personnes interrogées estimant que les usagers d'héroïne sont « dangereux pour leur entourage » augmente de 74 % à 84 %. »
Ce durcissement semble s'accompagner d'un moindre intérêt pour les actions de réduction des risques. Ainsi, selon la même étude, 81 % des Français se déclaraient, en 2002, partisans de l'information des consommateurs de drogues sur la manière la moins dangereuse de les consommer ; ils ne sont plus que 72 % en 2008. Néanmoins, cette proportion demeure importante, de même que celle des partisans des traitements de substitution (70 %).
Dans l'ensemble, les Français semblent donc tout autant attachés aux politiques de réduction des risques qu'aux politiques répressives. Et l'opinion n'est pas scindée entre répression et accompagnement : si l'enquête recueille plus de 75 % de réponses favorables aux mesures répressives, et près de 75 % de réponses favorables aux mesures d'accompagnement, c'est qu'au moins 50 % des Français sont favorables conjointement à cette double démarche. La poursuite simultanée des deux objectifs, souhaitée par l'opinion, se reflète dans l'état de la législation : à l'interdiction des substances psychotropes depuis 1970 2 ( * ) est en effet venue s'adjoindre l'inscription de la politique de réduction des risques dans le code de la santé publique (articles L. 3121-3 à L. 3121-5) depuis la loi de santé publique de 2004 3 ( * ) .
La réflexion actuelle sur l'opportunité de créer des salles de consommation reflète cette prégnance de la question de la réduction des risques, malgré le tournant répressif pris par la Mildt depuis 2008.
I. UN BILAN CONTRASTÉ
La politique de lutte contre les toxicomanies connaît d'importants succès dans notre pays, qui viennent contredire les assertions des partisans d'une légalisation des drogues. Cependant, elle rencontre des limites : certaines consommations progressent, et elles suscitent une aggravation des risques de contamination ou de décès.
A. UNE ÉVOLUTION CONTRASTÉE DE LA CONSOMMATION
D'après les chiffres fournis par l'OFDT en juin 2010, le nombre de consommateurs de substances psychoactives en France métropolitaine est de :
- 12,4 millions de personnes pour le cannabis ;
- 1,1 million pour la cocaïne ;
- 900 000 pour l'ecstasy ;
- 360 000 pour l'héroïne.
Les consommateurs de produits licites sont considérablement plus nombreux : 42,5 millions pour l'alcool et 34,8 millions pour le tabac.
L'ensemble de ces données sont évidemment inquiétantes, au vu des chiffres qu'elles présentent. Toutefois, elles concernent en fait non l'usage régulier ou dans l'année, mais l'expérimentation, qui peut être unique dans une vie. Seule une petite fraction de la population développera un usage dit problématique, qui correspond à des pratiques variables selon les substances : plus de dix consommations par mois pour le cannabis ; usage régulier (au moins une fois par mois) ou intraveineux pour les opiacés, la cocaïne ou les amphétamines ; ivresse répétée (au moins trois fois dans les douze derniers mois) pour l'alcool ; usage quotidien pour le tabac. On estime à 230 000 le nombre de personnes concernées par au moins un de ces usages problématiques.
1. La consommation de la plupart des drogues baisse...
A l'âge de dix-sept ans, 42,2 % des jeunes interrogés lors des journées défense et citoyenneté (anciennement journées d'appel de préparation à la défense) déclarent avoir expérimenté le cannabis, et 7,3 % en font un usage régulier. Bien qu'élevés, ces taux marquent une régression nette de la consommation depuis le sommet atteint en 2002 qui plaçait la France en tête des pays consommateurs en Europe. L'expérimentation recule ainsi de huit points et l'usage régulier de cinq. Même si les dernières données disponibles datent de 2008 et ne seront actualisées que fin 2011, la tendance semble se confirmer. Elle est à mettre en lien avec une prise de conscience accrue du danger lié à la première expérimentation au sein de l'opinion publique. En 2008, 60 % des personnes interrogées l'estimaient dangereuse, contre 52 % en 1999. Il convient cependant d'insister sur le fait que la France demeure parmi les pays les plus touchés par la consommation de cannabis en Europe, après la République tchèque, l'Espagne et le Royaume-Uni.
La consommation d'ecstasy est également en baisse chez les jeunes, de même que la consommation régulière de tabac et d'alcool. Sur ce dernier point, l'évolution paraît cependant contrastée puisque si le nombre d'ivresses répétées est stable (25,6 % des jeunes de dix-sept ans), les ivresses dites « occasionnelles » (moins de trois fois par an) sont en augmentation continue. Près de 60 % des jeunes de dix-sept ans sont touchés en 2008 contre 56 % en 2002.
* 1 Enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (Eropp), conduite en 1999, 2002 et 2008. Les résultats de l'enquête 2008 ont été publiés dans le n° 71, août 2010, de Tendances, publication de l'OFDT.
* 2 Loi n° 70-1320 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et la répression du trafic et l'usage de substances vénéneuses.
* 3 Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.