C. L'ACTION DE LA GENDARMERIE OUTRE-MER, NOTAMMENT EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE
Lors de son audition par la mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer, le 7 mai 2009, le général Claude Vicaire, commandant de la gendarmerie outre-mer, a dressé un bilan très éclairant sur la situation actuelle et les enjeux de la gendarmerie outre-mer.
Par comparaison à la métropole, où la zone de compétence de la gendarmerie nationale recouvre 95 % du territoire, 50 % de la population et 30 % des crimes et délits, la gendarmerie dans les départements français d'outre-mer couvre 99 % du territoire, 70 % de la population et 53 % des crimes et délits.
La deuxième caractéristique de l'action de la gendarmerie outre-mer tient à la fréquence et à l'intensité des crises, qu'il s'agisse des conflits sociaux, des catastrophes naturelles ou encore de l'orpaillage illégal en Guyane.
A cet égard, il convient de rappeler que la gendarmerie nationale assure seule le maintien de l'ordre outre-mer, depuis le retrait des Compagnies républicaines de sécurité de la police nationale en 1993. Cela tient notamment aux conditions difficiles de vie et de service outre-mer. On peut citer, à cet égard, l'exemple de la brigade de Camopi, située en plein coeur de la forêt amazonienne, à six heures de pirogue de Saint-Georges, où les gendarmes et leur famille vivent une expérience humaine unique, au contact des amérindiens, dans des conditions très frustes. Cela illustre tout l'intérêt que représente l'appartenance de la gendarmerie à l'armée, avec notamment le régime de disponibilité et le logement par nécessité absolue de service.
Dix-sept escadrons de gendarmerie mobile sont déployés en permanence dans les départements et collectivités d'outre-mer et, au plus fort de la crise récente aux Antilles, vingt-six escadrons de gendarmerie mobile.
La troisième particularité tient à la violence du contexte opérationnel, avec un risque d'agression pour les gendarmes deux fois plus élevé outre-mer qu'en métropole et un usage des armes plus fréquent, notamment en Guyane.
Enfin, alors que les départements d'outre-mer représentent 4 % des effectifs de la gendarmerie, ces territoires doivent faire face à des phénomènes de délinquance plus marqués, puisqu'ils représentent 10 % des atteintes volontaires aux personnes constatées par la gendarmerie sur la totalité du territoire, 17 % des violences crapuleuses et 21 % des interpellations d'étrangers en situation irrégulière.
Les résultats de l'action de la gendarmerie outre-mer sont très positifs, avec un taux de résolution des crimes et délits de 56 %, supérieur à la moyenne nationale (police et gendarmerie) de 38 % et même à la moyenne de la gendarmerie de 42 %.
Avec près de 3 200 gendarmes départementaux et mobiles en 2008, contre 3 400 policiers, les effectifs de la gendarmerie nationale ont connu une progression limitée ces dernières années, de 62 postes entre 2003 et 2008, contre 285 postes pour la police nationale, malgré une augmentation de plus du double de la population en zone de gendarmerie.
La gendarmerie nationale s'efforce de compenser cette progression limitée des effectifs par un recrutement de grande qualité des gendarmes affectés outre-mer, avec un taux de sélection d'un sur trois. A la différence des policiers, les gendarmes sont, en effet, soumis à une obligation de mobilité.
Ces dernières années, on a assisté à un renforcement des outils de gestion de crise, avec la mise en place des centres opérationnels dans les quatre départements d'outre-mer, l'ouverture de sections de recherche en matière de police judiciaire et la création de groupes d'intervention régionaux (GIR), en Guyane en 2006 et en Guadeloupe en 2008, ainsi qu'en Martinique et à La Réunion.
Enfin, on peut mentionner la modernisation des moyens, en particulier aériens, avec deux hélicoptères EC145, l'un en Guyane, l'autre à La Réunion, et un hélicoptère EC135 prévu en Guadeloupe, et des moyens nautiques, avec dix véhicules nautiques à moteur (jet ski) en Guyane et deux intercepteurs, l'un en Guadeloupe, l'autre en Martinique.
Concernant La Réunion , les effectifs de la gendarmerie sont au nombre de 800, dont un escadron de gendarmes mobiles. En raison de la géographie très contrastée de l'île, il a été créé un peloton de gendarmerie de haute montagne.
La Réunion présente la particularité d'avoir une forte exposition aux risques naturels et la délinquance est marquée par l'importance des atteintes volontaires à l'intégrité physique, qui représentent 20 % de la délinquance, contre 12 % en métropole, principalement dans le milieu familial et en liaison avec l'alcoolisme.
S'agissant de la Martinique , les effectifs de la gendarmerie sont de 700, contre 770 policiers. La situation de l'île est marquée par la banalisation de la violence, avec une augmentation de près de 50 % des coups et blessures volontaires entre 2005 et 2008, ainsi que le poids du trafic de stupéfiants, qui représente 12 % de la délinquance générale et qui a connu une progression de 150 % entre 2005 et 2008.
Cela souligne tout l'intérêt de renforcer la coopération régionale, en matière de lutte contre le trafic de drogue ou la criminalité, comme l'illustre l'affaire de l'enlèvement et du meurtre de Marion Genin dans laquelle étaient impliqués des ressortissants de Sainte Lucie. En revanche, l'immigration illégale paraît peu répandue en Martinique.
On peut toutefois être inquiet au sujet du retrait des forces de souveraineté et du 33 ème RIMA, compte tenu du rôle important joué par l'armée lors des événements récents aux Antilles, en matière de soutien logistique à la gendarmerie.
En ce qui concerne la situation de la Guadeloupe , qui compte 860 gendarmes et 1 080 policiers, on peut être préoccupé par la poussée de la délinquance, illustrée par une progression de 32 % des faits constatés entre 2005 et 2008, avec une hausse de 86 % des vols à main armée, de 56 % des coups et blessures volontaires et de 37 % des homicides. On peut également mentionner l'interpellation de 732 étrangers en situation irrégulière en 2008. Enfin, on peut être inquiet, là encore, au sujet du retrait des forces de souveraineté et du 41 ème BIMA.
Enfin, la Guyane est le département d'outre-mer qui pose le plus de difficultés à la gendarmerie, en raison notamment de sa superficie, équivalente à celle du Portugal et recouverte à 96 % de la forêt équatoriale, de la longueur de la frontière avec le Brésil et le Surinam -1 200 km, soit la frontière extérieure la plus longue de France- et une explosion démographique.
La Guyane connait un niveau de délinquance inquiétant, avec un taux de 31 homicides pour 100 000 habitants, contre 2,6 en métropole, un taux de 380 coups et blessures volontaires contre 190 pour la métropole, et un taux de 97 vols à main armée, contre 4,7 en métropole. On peut aussi mentionner le poids de l'immigration clandestine, avec 3 400 interpellations d'immigrés en situation irrégulière en 2008.
Enfin, ce territoire représente un intérêt géostratégique majeur, avec le centre spatial de Kourou.
Actuellement, 840 gendarmes et 575 policiers sont déployés en Guyane.
La lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane mérite un examen particulier.
L'orpaillage illégal en Guyane se traduit par un pillage des ressources naturelles, estimé à 10 tonnes d'or extraites par an de manière illégale sur environ 350 sites, des atteintes graves à l'environnement, notamment par la déforestation, la dégradation des milieux aquatiques et la pollution au mercure, ainsi que par un appel à l'immigration illégale, principalement en provenance du Brésil, et une criminalité induite (prostitution, vols, homicides, etc.). Surtout, il représente une atteinte majeure à la souveraineté de l'Etat.
L'opération « Harpie » lancée en 2008 a eu des résultats très positifs, grâce à une concentration exceptionnelle de moyens, avec un renfort de 150 gendarmes, appuyés par 360 militaires des armées et un hélicoptère, ayant permis, au cours de 200 missions en quatre mois, d'interpeller 780 étrangers en situation irrégulière, de saisir 19 kilos d'or et 193 kilos de mercure.
Toutefois, cette stratégie a vite montré ses limites, les sites illégaux d'orpaillage détruits par la gendarmerie étant reconstruits en général dans les vingt jours, et les clandestins se retrouvant à nouveau sur le territoire guyanais.
Face à ce constat, la gendarmerie a développé une approche plus proactive et globale, axée sur le contrôle du trafic fluvial afin d'empêcher les voies d'approvisionnement des trafiquants, la destruction des sites réputés les plus productifs et le démantèlement des réseaux et des filières par une action de police judiciaire.
Devant le succès de l'opération et face au déplacement de l'orpaillage illégal vers la forêt amazonienne et le Sud de la Guyane, le Président de la République a décidé de la prolonger et de reconduire ce dispositif en 2009.
L'opération « Harpie 2 » a donc été lancée en avril 2009 en portant l'effort prioritairement sur le Haut-Maroni et le parc amazonien.
Toutefois, on peut penser que la réponse à ce problème ne sera pas uniquement policière, mais qu'elle nécessite une approche plus globale.
Cela passe notamment par l'adoption du schéma minier guyanais, afin de permettre le développement économique de cette zone dans le respect de l'environnement, et non pas une « mise sous cloche » de la forêt amazonienne.
Cela passe aussi par le renforcement de la coopération régionale avec les Etats du Nord du Brésil et le Surinam, afin notamment de développer la coopération policière et de soutenir le développement économique de ces régions, dont le niveau de vie est très inférieur à celui de la Guyane.
En définitive, la gendarmerie outre-mer paraît aujourd'hui confrontée à trois défis :
- la montée de la criminalité dans la zone Antilles-Guyane, avec l'apparition d'une criminalité violente de type sud-américain, caractérisée par un nombre élevé d'homicides et d'enlèvements contre rançon ;
- la « départementalisation » de Mayotte au regard de la lutte contre l'immigration illégale ;
- Et, enfin, le retrait des armées et le passage de relais du dispositif de souveraineté outre-mer à la gendarmerie nationale à l'horizon 2012, conformément aux conclusions du Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale.
L'OPERATION « HARPIE »
I. HISTORIQUE Depuis le mois d'avril 2009, l'opération de lutte contre l'orpaillage illégal HARPIE connaît un nouveau développement avec le renforcement du dispositif opérationnel pour une période de 6 mois (mi-avril à mi- octobre). L'objectif de l'opération a été fixé en tenant compte des enseignements de 2008. Il s'agit de réduire durablement l'activité d'orpaillage illégal en portant l'effort prioritairement sur le Haut-Maroni et le parc amazonien, l'opération « Harpie 2008 » ayant conduit à un glissement de l'activité illicite vers le sud du département. Les investigations judiciaires doivent permettre d'identifier les réseaux et de démanteler les circuits financiers. Les orpailleurs en situation irrégulière, contre lesquels aucune poursuite pénale ne peut être envisagée, doivent être reconduits systématiquement à la frontière. A la différence de l'année précédente, l'opération comporte deux phases successives. Pendant la période humide (d'avril à mi-juillet), l'effort a porté sur l'étanchéité du dispositif statique, sur la base de points de contrôle fluviaux (11 PCF) et terrestres (3 PCR), complétés par des postes provisoires à Saül et Saint-Elie, afin de limiter les flux logistiques. A partir du début de la période sèche jusqu'à la fin de l'opération, l'accent est mis sur la destruction des sites d'orpaillage. Depuis le 4 avril, la gendarmerie de Guyane a été renforcée de 120 personnels supplémentaires, en provenance de métropole. Ces personnels ont été relevés au cours de la semaine du 20 au 25 juillet. De leur côté, les FAG ont été renforcées par 331 militaires provenant de la métropole. Les FAG sont présentes sur tous les PCF permanents et le poste provisoire de Saül. Le coût prévisionnel de la mission Harpie « renforcé », correspondant à la projection des renforts sur une période de 6 mois, est estimé à 3.993.308 euros. Comparé au déploiement d'un dispositif équivalent en métropole, le surcoût est évalué à 2.325.297 euros. Pour l'opération « Harpie 2009 », le secrétariat d'Etat à l'outre-mer (SEOM) a délégué à la préfecture 40.000 euros supplémentaires pour l'équipement des PCF. Depuis le 16 avril, le bilan provisoire s'établit comme suit : - 284 opérations ont été menées dont 137 avec le concours des FAG; - les destructions et saisies (cf annexe) s'élèvent à : - près de 137 000 litres de carburant ; - 187 tonnes de nourriture et de matériels divers ; - 2 392 carbets ; - 124 armes à feu ; - plus de 70 kg de mercure et de 5 kg d'or ; - 153 pirogues et 118 quads. - 87 % des 1 432 clandestins appréhendés ont fait l'objet, soit d'une mesure d'éloignement direct par la gendarmerie, soit d'une remise à la PAF ou d'une incarcération (534 ESI éloignés, 456 remis au CRA administré par la PAF, 222 remis aux postes de contrôle de la PAF, 24 incarcérés, 9 COPJ, 104 qui se sont vus délivrer une injonction à quitter le territoire (IQT), 2 condamnés à une peine d'emprisonnement avec sursis assortie d'une interdiction du territoire national (ITN) de 3 ans et 81 laissés libres dont 15 pour raison médicale). II. LES EFFETS OBTENUS Il est observé: - l'entrave de l'approvisionnement des sites majeurs du centre du département (transport de denrées et de matériels par petite quantité, allongement des circuits logistiques) ; - la diminution de l'activité dans les zones où s'exerce la pression des forces de sécurité, gendarmerie et FAG, soit du fait de leur présence permanente (secteurs de Saint-Elie et Saül, notamment là où des postes provisoires ont été implantés), soit en raison du nombre d'opérations menées (Maripasoula, Papaïchton, Grand-Santi, Mana, Saint-Elie, Régina, Saint-Georges de l'Oyapock et Camopi) ; - et corrélativement, l'accroissement et la dispersion des petits chantiers ; - un reflux significatif de garimpeiros vers le Brésil ou le Suriname où l'activité d'orpaillage illégal semble connaître un nouvel essor. |