III. PRÉPARER « L'APRÈS-CRISE » EN ENGAGEANT UNE RÉFLEXION SUR LE MODE DE FINANCEMENT DE NOTRE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE
La reprise partielle de dette en 2010 que votre rapporteur pour avis vous propose n'est cependant qu'une partie de la réponse posée par la question de la dette :
- d'une part, il conviendra de poursuivre son retraitement dans le cadre des prochains PLFSS ( cf. supra ) ;
- d'autre part, il sera impératif de prendre les décisions permettant d'enrayer la dynamique structurelle de la dette. Le préalable nécessaire à toute réflexion en la matière consiste à affirmer le modèle de sécurité sociale que nous souhaitons : le système de 1945 doit sans aucun doute évoluer, mais dans quelle mesure ?
A. RÉFLÉCHIR À UN NOUVEAU MODE DE FINANCEMENT QUI ASSURE LA COMPÉTITIVITÉ DE NOTRE PAYS ET L'ÉQUITÉ
1. Recentrer progressivement les allègements généraux de cotisations sociales
S'agissant des recettes, la sécurisation de ces dernières représente un enjeu majeur qui doit être concilié avec les impératifs de compétitivité économique de notre pays, mais aussi d'équité. Celle-ci conditionne, en effet, en partie l'acceptabilité du système.
La crise a mis en évidence les limites d'un système majoritairement assis sur les revenus d'activité qui, par définition, sont extrêmement sensibles à la conjoncture . La place des revenus d'activité dans le financement de la sécurité sociale soulève aujourd'hui deux débats:
- d'une part, la problématique des allègements généraux de charges dont l'impact économique est difficile à cerner ;
- d'autre part, la question de l'universalisation de l'assiette des prélèvements sociaux, qui permettraient de rendre plus équitables ces derniers et de mobiliser davantage de revenus non fondés sur le travail.
a) Le poids des allègements généraux de cotisations sociales sur le financement de la sécurité sociale
Les principales mesures d'exonérations en faveur de l'emploi devraient s'élever à 29,8 milliards d'euros en 2010 contre 30,8 milliards d'euros en 2009 et 31 milliards d'euros en 2008, soit une diminution de 4 % entre 2008 et 2010.
Cette évolution traduit la dégradation du contexte économique et notamment : la baisse de l'emploi dans les secteurs employant une proportion élevée de travailleurs à bas salaires ainsi que la réduction du nombre d'heures supplémentaires effectuées.
Ces mesures prises dans le cadre de la politique de l'emploi recouvrent essentiellement deux dispositifs :
- d'une part, les mesures à vocation générale qui comprennent, à hauteur de 21,4 milliards d'euros en 2009 , les allègements généraux de cotisations sociales sur les bas salaires et à hauteur de 2,8 milliards d'euros les dispositifs mis en oeuvre dans le cadre de la loi sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat (TEPA). Entre 2006 et 2010, le montant des mesures à vocation générale a augmenté de 28,8 %, les allègements généraux connaissant une progression de 14,1 % sur la même période.
- d'autre part, les mesures ciblées , pour un montant de 6,1 milliards d'euros en 2009, qui peuvent être compensées par le budget de l'Etat (56 % d'entre elles) ou ne pas l'être (44 %) . La proportion de mesures d'exonérations non compensées augmenterait sensiblement entre 2008 et 2010 (+ 7,5 %) compte tenu de l'augmentation des dispositifs non compensés en faveur de l'emploi à domicile. Le montant de mesures ciblées compensées à partir du budget de l'Etat représenterait en 2009, selon l'article 20 du PLFSS, 3,5 milliards d'euros. Le détail de ces exonérations, réductions ou abattements d'assiette de cotisations ou de contributions de sécurité sociale est présenté dans le tableau suivant :
Montant des principales mesures d'exonération ciblées entre 2006 et 2010
(en millions d'euros courants, champ régime général)
Sources: ACOSS, données en droits constatés issues de la base RACINE (pour les mesures compensées) et ORME (pour les mesures non compensées), y compris produits à recevoir (PAR). Prévisions Ministère du Budget, des comptes publics et de la fonction publique.
b) L'efficacité de la politique de l'emploi remise en question
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a été saisi, en application de l'article L. 351-3 du code des juridictions financières, d'une demande d'étude formulée par le Président de la commission des finances du Sénat, par lettre en date du 7 juillet 2008, sur « Les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée ». Le rapport présenté devant votre commission en octobre 2009 inclut des développements sur les effets de la politique d'allègements généraux.
Le rapport souligne en premier lieu l'évolution des allègements généraux qui, d'abord offensifs , auraient permis en 1997 la création cumulée de 300.000 emplois selon les estimations moyennes. Cette politique est devenue ensuite « défensive » afin de compenser la hausse du coût du travail au niveau du SMIC. Elle a prioritairement concerné les secteurs abrités, comprenant des emplois peu qualifiés, conduisant à mettre en place une progressivité des cotisations sociales croissante avec le revenu des salaires
Le rapport précise ainsi qu'il importe de choisir entre une politique fiscale orientée vers la compétitivité des entreprises et une politique de soutien à l'emploi , d'une part, parce que la situation des finances publiques ne permet plus de poursuivre les deux objectifs simultanément et, d'autre part, parce que les mesures à mettre en oeuvre peuvent parfois s'avérer contradictoires. Ainsi, les allègements de cotisations sociales sur les bas salaires sont un instrument efficace de politique de l'emploi, là où une politique de compétitivité commanderait d'alléger le coût du travail qualifié.
Dans ces conditions, il pourrait être tentant de fortement réduire, voire de supprimer, ces exonérations, qui élargiraient à nouveau l'assiette de la sécurité sociale. Cette piste soulève cependant de réelles contradictions.
La fonction des exonérations de charges sur les bas salaires n'est pas d'améliorer la compétitivité de l'économie française, mais de créer des emplois, en réduisant le coût du travail peu qualifié. Si l'objectif est bien de créer des emplois, il est normal que ces exonérations concernent essentiellement des secteurs protégés de la concurrence internationale.
Si le taux de chômage est pourtant élevé en France, c'est parce que, parallèlement aux réductions de cotisations sociales, dans un premier temps les Gouvernements successifs ont mené une politique de « coups de pouce » au SMIC, et qu'ensuite le renforcement des exonérations de cotisations sociales, dans le cadre du passage aux 35 heures, a eu pour objet de limiter l'impact sur l'emploi de l'augmentation du SMIC horaire résultant de la réduction de le durée du travail.
Il est vrai qu'une politique massive de réduction du coût du travail peu qualifié est a priori contraire à une politique de compétitivité de l'économie française. Cependant, cet enjeu ne doit pas être confondu avec celui de la politique de l'emploi. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le chômage en France ne résulte pas essentiellement de la concurrence des pays à bas salaire. L'économie française est très majoritairement une économie de services. L'intérêt d'avoir une économie compétitive est que cela permet une croissance plus élevée, ce qui ne crée pas nécessairement davantage d'emplois parce qu'elle résulte d'une croissance de la productivité apparente du travail plus élevée, et que la spécialisation dans des secteurs technologiques nuit à l'emploi peu qualifié.
Par ailleurs, si la réduction du coût du travail est à ce jour le principal instrument de la politique de l'emploi qui a prouvé son efficacité dans les pays développés, il n'est pas évident que le fait d'alourdir le coût du travail peu qualifié soit le meilleur moyen d'améliorer la compétitivité de l'économie française. D'autres outils, fiscaux - comme le crédit impôt-recherche - ou non fiscaux - comme la réforme de l'université - peuvent sembler mieux adaptés, sans avoir le lourd coût social d'une augmentation massive du chômage.
Dans ces conditions, les économies à attendre d'une réduction des exonérations de cotisations sociales patronales sont nécessairement limitées.
Tout d'abord, on voit mal comment un Gouvernement pourrait décider, au nom de la réduction des déficits publics, d'une politique qui aurait pour effet d'entraîner une forte augmentation du taux de chômage. Selon le consensus des conjoncturistes 44 ( * ) , le taux de chômage sera en France de 9,4 % fin 2009 et 10,3 % en 2010. Par ailleurs, comme il faut habituellement une croissance de l'ordre de 2 % pour que le taux de chômage soit stable, il est vraisemblable qu'à moyen terme le taux de chômage demeure élevé. Le contexte est donc particulièrement peu propice.
On ne pourrait donc en pratique envisager que des ajustements à la marge, qui ne permettraient d'économiser qu'une faible partie des 25 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales patronales.
Par ailleurs, pour prendre un cas d'école, la suppression totale des 25 milliards d'euros d'exonérations de cotisations sociales patronales n'améliorerait pas la situation des finances publiques de 25 milliards d'euros, mais de seulement la moitié de cette somme environ. En effet, il faudrait indemniser les nouveaux chômeurs. Pour fixer un ordre de grandeur, une règle de proportionnalité suggère que si, en 2008, l'UNEDIC a dû dépenser 30 milliards d'euros avec un taux de chômage de 7,5 %, l'augmentation de 3 points du taux de chômage résultant de la suppression des exonérations de cotisations sociales patronales entraînerait un accroissement de ces indemnisations d'environ 12 milliards d'euros.
Il serait donc préférable de se borner à réduire chaque année le coût global des exonérations de 2 milliards d'euros, pendant 3 ans, en ajustant à due concurrence leur champ d'application.
c) Annualiser le calcul des allègements généraux de cotisations sociales
En attendant une étude plus large sur l'appréciation de l'impact des allègements généraux, votre rapporteur pour avis a noté avec un grand intérêt la proposition du Conseil des prélèvements obligatoires concernant l'annualisation du calcul des allègements généraux. En effet, actuellement, les allègements généraux sont calculés chaque mois sur la base de la rémunération mensuelle : cette organisation permet une optimisation importante du dispositif puisque l'employeur peut renoncer à augmenter le salaire moyen de base afin de bénéficier du taux maximal d'allègements et en contrepartie verser un 12 è ou 13 è mois. Selon le Conseil, un meilleur lissage du calcul et par conséquent un meilleur contrôle du dispositif permettrait des gains de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros. Votre rapporteur pour avis vous propose un amendement en ce sens.
2. Accélérer l'universalisation de l'assiette des prélèvements sociaux
Votre rapporteur pour avis estime primordiale la réduction des niches sociales : en effet, cette politique permet à la fois de concilier un objectif d'équité du prélèvement social, un objectif de rendement et un objectif de diversification des sources de financement de la sécurité sociale en mettant à contribution des revenus non nécessairement fondés sur le travail.
L'universalisation de l'assiette des prélèvements sociaux passe par une application homogène des règles suivantes énoncées dans l'annexe 5 du PLFSS :
- un assujettissement des sommes versées aux actifs en lien avec une activité professionnelle aux cotisations à la CSG ainsi qu'à la CRDS ;
- un assujettissement des revenus de remplacement ayant cessé toute activité professionnelle uniquement à la CSG et CRDS , ;
- un assujettissement des revenus du capital à la CSG, CRDS et aux prélèvements complémentaires qui y sont associés ;
- un assujettissement des ventes de produit dont la consommation excessive est néfaste pour la santé publique ;
- un assujettissement des allocations familiales et logement à la CRDS uniquement, pas de prélèvement sur les minimas sociaux.
Si votre rapporteur pour avis se félicite des quelques mesures présentes régulièrement dans les projets de loi de financement, il lui semble que la crédibilité de cet exercice serait renforcée si un réexamen global était réalisé . Non seulement, cela permettrait de s'assurer de la cohérence des décisions prises, mais cela permettrait également d'éviter la stigmatisation de certaines catégories de contribuables. Cela garantirait également un rendement financier plus important car globalisé.
3. La question des restes à charge et de l'accès aux soins
Réfléchir à un nouveau mode de financement de la sécurité sociale doit également nous conduire à nous interroger sur la question des restes à charge des assurés . Le débat sur des modifications structurelles de notre système de prise en charge a déjà été abordé, notamment au moment de la présentation du « bouclier sanitaire », mais n'a pas été poursuivi. Or, l'impact que les restes à charge, notamment hospitaliers, peuvent entraîner sur l'accès aux soins doit nous amener à reposer le débat.
a) Une diminution des taux de prise en charge
La France se caractérise encore aujourd'hui par un taux de prise en charge des dépenses de santé par la solidarité nationale élevé . Ainsi, dans son rapport sur les charges et les produits de l'assurance maladie pour 2010, ce taux s'élève en 2007 à 66,5 % des dépenses de soins ambulatoires et de produits de santé, et à 92,4 % des dépenses de soins hospitaliers.
Dans son rapport de septembre 2009, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie (HCAAM) indiquait néanmoins que le taux de prise en charge par les administrations publiques - régime de base, Etat, fonds CMU, collectivités territoriales - avaient connu sur la période 2004-2008 un recul de l'ordre d'un point et demi, passant de 78,5 % à 76,9 %.
Cette diminution tient à plusieurs éléments, en premier lieu, l'accroissement de la participation financière des assurés . Depuis 2004, diverses mesures ont en effet été prises tendant à augmenter la participation des assurés : l'augmentation du ticket modérateur, l'augmentation du forfait journalier hospitalier et la mise en place de participations forfaitaires (le forfait à un euro pour chaque consultation, la participation forfaitaire de 18 euros sur les actes techniques en établissement de santé et les franchises sur les boîtes de médicaments (0,50 euros), les actes infirmiers (0,50 euros) et les transports sanitaires (2 euros)).
A cela s'ajoute également la croissance des dépenses n'entrant pas dans le champ de la dépense remboursable : les déclassements de médicaments, les dépassements d'honoraires ou la croissance des dépenses non présentées au remboursement.
Enfin, il convient de noter que le maintien de taux de prise en charge globaux assez élevés masque en réalité des différences importantes entre assurés . Ainsi, la forte croissance des dépenses relatives à la prise en charge des personnes atteintes d'une affection de longue durée (ALD) tire mécaniquement vers le haut les taux de prise en charge globaux, alors que ces dépenses se concentrent sur moins de 10 millions d'assurés.
b) Des difficultés qui commencent à se poser en termes d'accès au soin
Des mesures ont, certes, été prises tendant à cantonner ces risques liés à la croissance des restes à charge . L'instauration de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) ou encore le plafonnement des franchises participent de ce mouvement.
Néanmoins, dans son rapport de septembre 2009, le HCAAM indiquait que « les restes à charge, notamment hospitaliers, peuvent peser lourdement sur le budget de certains ménages, voire entraver l'accès aux soins lorsque que l'effort financier à fournir est trop important par rapport au revenu ». Cela s'expliquerait par les défauts du système de prise en charge des dépenses hospitalières : l'application d'un ticket modérateur de 20 % pour les séjours inférieurs à 30 jours et la limitation de la prise en charge du forfait hospitalier par les organismes complémentaires.
c) Vers un mode de prise en charge plus solidaire
C'est pourquoi, pour votre rapporteur pour avis, il est nécessaire de réfléchir à un mode de prise en charge plus solidaire.
Le débat a été amorcé au moment de la présentation des conclusions de la mission présidée par MM. Raoul Briet et Bertrand Fragonard sur le bouclier sanitaire. Le principe du bouclier sanitaire consiste en effet à plafonner le reste à charge des dépenses remboursables des assurés en fonction des revenus et à garantir le remboursement intégral par l'assurance maladie au-delà de ce seuil.
Votre rapporteur pour avis avait également abordé cette question lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 instaurant les franchises, en proposant de moduler leur plafond en fonction des revenus des assurés .
Une telle solution ne reviendrait pas sur le « pacte de 1945 » sur lequel notre régime de protection sociale est fondé. Au contraire, le principe d'une participation de chacun en fonction de ses moyens était un élément majeur des réflexions des fondateurs de notre système de santé.
* 44 Consensus Forecasts, septembre 2009.