B. L'ÉVOLUTION D'AREVA, CHAMPION FRANÇAIS DU NUCLÉAIRE, N'EST PAS ENCORE CLAIREMENT DÉFINIE
1. AREVA, une grande entreprise française de dimension internationale, à la situation florissante
AREVA, société anonyme à directoire et conseil de surveillance créée le 3 septembre 2001, est le numéro 1 mondial de l'énergie nucléaire et numéro 3 mondial de la transmission et distribution d'électricité . Avec la filière étatique russe, c'est le seul acteur présent sur l'ensemble du cycle nucléaire capable d'apporter des solutions globales et intégrées à ses clients. Le groupe compte 66.000 salariés dans le monde, répartis dans 40 pays différents.
Depuis quelques années, on assiste à un renouveau du nucléaire , en raison de la perspective d'une augmentation de la consommation d'électricité et des inquiétudes en matière de sécurité d'approvisionnement, de réchauffement climatique et de renchérissement du coût des énergies fossiles. Dans ce contexte, le nucléaire apparaît en effet intéressant car son coût est peu sensible au prix des matières premières et qu'il n'émet pas de CO 2 . Ainsi, à la fin de l'année 2007, on comptait 35 réacteurs en construction dans le monde, 91 en commande ou en projet et près de 220 envisagés.
En conséquence, la situation du groupe AREVA est aujourd'hui florissante . Son chiffre d'affaires consolidé est de 11,9 milliards d'euros, en croissance de 10 % en 2007. Son résultat net part de 743 millions d'euros, soit 6,2 % du chiffre d'affaires.
L'organisation du groupe AREVA Le groupe comprend un holding (AREVA SA) et, principalement trois grandes filiales de premier rang : AREVA NC (anciennement Cogema), AREVA NP (anciennement Framatome ANP) et AREVA T&D. Les activités du groupe s'articulent autour de 4 pôles : - le pôle « Amont » (26 % du chiffre d'affaires) extrait et enrichit l'uranium, et fabrique le combustible ; - le pôle Réacteurs et Services (23 % du chiffre d'affaires) conçoit, construit, maintient et modernise les centrales nucléaires ; - le pôle « Aval » (15 % du chiffre d'affaires) propose des solutions de gestion des combustibles usés ; - le pôle Transmission et Distribution (36 % du chiffre d'affaires) produit, installe et assure la maintenance des équipements et systèmes pour la transmission et la distribution de l'électricité. |
Les différents pôles du groupe connaissent cependant une évolution différenciée :
* Le pôle « Amont » progresse de 7,6 % notamment du fait de la hausse des prix de l'uranium qui se répercute sur les contrats à long terme et grâce à un carnet de commande très dynamique en 2007, avec une croissance de plus de 85 %. Ces résultats permettent d'ailleurs un programme ambitieux d'investissements pour l'exploration et l'exploitation minières, ou le renouvellement et la diversification des ressources en uranium (acquisition de gisement d'UramMin en Afrique du Sud notamment) ;
* Le pôle « R&S » progresse de 17,5 %, porté par les activités récurrentes (services et équipements) et le développement des grands projets EPR (Olkiluoto, Flamanville), qui contribuent à la croissance du carnet de commande (73 %) ;
* Le pôle « Aval » régresse de 9 %, du fait de la baisse du volume de déchets traités pour EDF, compensée seulement partiellement par les clients japonais ;
* Le pôle « T&D » progresse de 16 %, du fait du développement des activités du groupe, tant sur ses marchés (modernisation des réseaux en Europe et aux Etats-Unis par exemple) que sur de nouveaux segments (extension des réseaux dans les pays émergents).
Autre preuve de la situation florissante du groupe, la marge opérationnelle s'est élevée en 2007 à 6,3 % du chiffre d'affaires (contre 3,7 % en 2006). Les investissements opérationnels ont par ailleurs plus que doublé et s'élèvent à 2,89 milliards d'euros, concentrés sur le pôle Amont (acquisition d'UraMin notamment) et le pôle R&S (développement et conception de l'EPR). AREVA est donc passé d'une situation de trésorerie nette positive à une situation de dette nette importante (1,95 milliard d'euros).
La bonne situation du groupe s'est confirmée sur les 9 premiers mois de 2008 , avec un chiffre d'affaires en progression de 12,9 % par rapport à 2007. L'ensemble des activités du groupe progresse 18 ( * ) . Au cours du troisième trimestre, le groupe a ainsi signé plusieurs contrats importants, notamment des contrats avec des électriciens américains et asiatiques pour un montant cumulé de près de 750 millions d'euros. Par ailleurs le consortium mené par AREVA a remporté début novembre 2008 un contrat de 2,5 milliards de dollars aux Etats-Unis portant sur le premier site américain de stockage de longue durée des déchets nucléaires. Le groupe est également pressenti pour la construction d'un réacteur nucléaire en Jordanie.
Seule ombre au tableau le retard (d'environ deux ans) pris pour l'entrée en service du premier réacteur nucléaire de troisième génération au monde (EPR), dont le groupe est chargé de la construction en Finlande.
Malgré cette situation financière florissante, le groupe doit également faire face à des défis majeurs : la trajectoire de sa dette est inquiétante et il conviendra de financer celle-ci. Par ailleurs sa situation est liée essentiellement à des gros contrats qui placent l'entreprise en situation de risque.
2. La question de l'évolution du groupe se pose aujourd'hui et plusieurs scenarii existent qu'il convient d'examiner.
L'Etat est aujourd'hui l'actionnaire largement majoritaire du groupe AREVA.
Répartition du capital du groupe AREVA au 31 décembre 2007 - CEA : 78,96 % - Etat : 5,19 % - CDC : 3,59 % - ERAP : 3,21 % - EDF : 2,42 % - Framépargne (salariés : 0,69 % - Calyon : 0,89 % - Groupe Total : 1,02 % - Porteurs de certificats d'investissement : 4,03 % |
AREVA doit aujourd'hui conforter sa position de leader dans un secteur en renaissance. Ainsi, le groupe s'est assigné pour 2008 comme objectifs une forte croissance du carnet de commande et du chiffre d'affaires, une progression du résultat opérationnel et la poursuite du programme d'investissements. Dans le cadre du plan d'action stratégique pour 2008-2012, adopté fin 2007, l'Etat actionnaire a réaffirmé et confirmé les objectifs qu'il avait fixés en 2005 :
- assurer un fonctionnement exemplaire des activités industrielles, avec notamment la priorité accordée à la maîtrise des risques et à la sécurisation du financement des obligations de fin de cycle ;
- focaliser le développement du groupe sur les métiers actuels d'AREVA ;
- améliorer les performances économiques et financières du groupe, notamment la marge opérationnelle et l'endettement.
Pour soutenir le développement du groupe, l'Etat a entamé en 2007 une réflexion d'ensemble sur son avenir . Il s'agit « notamment d'examiner les avantages et inconvénients respectifs des différents scénarios capitalistiques et des partenariats industriels qui peuvent avoir un sens du point de vue de l'avenir du groupe, des intérêts patrimoniaux de l'Etat ainsi que de la filière nucléaire française dans son ensemble » 19 ( * ) .
Les informations relayées par la presse laissent entendre que plusieurs scenarii sont à l'étude , notamment l'ouverture du capital (qui serait défendue par la présidente du directoire d'AREVA, Mme Anne Lauvergeon) ou un rapprochement avec le groupe Alstom 20 ( * ) .
Chacun de ces projets présente des avantages et des inconvénients. Ainsi le projet de fusion AREVA-Alstom, évoqué régulièrement au cours des derniers mois par la presse 21 ( * ) , pourrait être confronté à l'opposition allemande, du fait de la présence de Siemens dans le capital d'AREVA NP (à hauteur de 34 %) et des enjeux stratégiques du secteur. De même l'idée d'une fusion n'apparaît pas forcément bienvenue pour le groupe nucléaire : les premières conclusions des conseils mandatés par l'Etat, McKinsey et HSBC, rendues en septembre 2007, étaient, selon la presse, très modérées sur les bienfaits d'un tel mariage. La pertinence d'un rapprochement n'est donc pas évidente.
A l'opposé, l'option de l'ouverture du capital ne paraitrait pas à l'heure actuelle très opportune, du fait de l'extrême volatilité des marchés financiers.
Il semble donc que l'ouverture du capital ne constitue pas une priorité du Gouvernement comme l'a affirmé lui-même le Premier ministre le 30 septembre dernier, même s'il a souligné que « l'industrie nucléaire française a de belles perspectives. AREVA remporte des succès. Il est vrai que ceux-ci peuvent conduire à des besoins de financement. C'est pourquoi nous étudions toutes les possibilités ». Face à ces perspectives, votre rapporteur pour avis souligne qu' une privatisation partielle -ou totale- soulève un certain nombre d'interrogations :
- une dépendance accentuée de l'exploitant nucléaire à une rentabilité financière pourrait présenter des risques en matière de sécurité et donc pour l'environnement et les populations. Certes, le cadre législatif actuel présente un niveau d'exigence élevé en matière de sûreté des installations, renforcé par plusieurs textes récents. Mais, au-delà, la présence de l'Etat en tant que garant d'un haut niveau de sûreté est essentielle. On peut d'ailleurs relever les exemples de groupes nucléaires privés au Japon et aux Etats-Unis, dont le process de production est marqué par de nombreux incidents ou accidents.
- la privatisation remettrait en cause les liens privilégiés entre AREVA et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), qui sont essentiels pour les années à venir.
Au-delà des interrogations liées à une privatisation éventuelle d'AREVA, votre rapporteur pour avis reste sceptique quant aux différents scenarii d'évolution évoqués pour l'entreprise . S'agissant plus précisément du projet de fusion AREVA-Alstom, la synergie qui pourrait en résulter pour les deux entreprises paraît peu évidente et l'effet masse ne paraît guère avoir de sens.
* 18 Ainsi par exemple les activités R&S ont progressé de 21 % et T&D de 14, 3 %.
* 19 Rapport sur l'Etat actionnaire 2008.
* 20 D'autres scenarii seraient à l'étude comme la conclusion de partenariats avec d'autres industriels ou la recapitalisation.
* 21 Ainsi le « Financial Times » évoquait le 19 mai 2008 un projet du Président de la République de constituer un géant du nucléaire français autour d'AREVA.