C. DÉVELOPPER UNE ÉVALUATION QUI RESTE ENCORE PERFECTIBLE

Tous les interlocuteurs qu'il a rencontrés ont signalé à votre rapporteur l'insuffisant développement de l'évaluation au sein du ministère de l'éducation nationale. Sur ce point, le consensus est total.

Votre rapporteur juge donc nécessaire d'engager une action volontaire pour moderniser les systèmes d'évaluation au sein du ministère. Les progrès réalisés grâce à la DEPP ont été considérables, mais ils restent insuffisants, certaines données, pourtant essentielles, étant inaccessibles.

Par ailleurs, le monde éducatif préfère parfois l'autoévaluation à l'évaluation extérieure. Ce choix n'est pas toujours justifié et il conviendrait à tout le moins d'avoir recours à une certification extérieure des procédures d'évaluation.

C'est pourquoi votre rapporteur souhaite saluer sans aucune réserve la volonté du ministre de l'éducation nationale de réformer l'évaluation à l'école primaire, afin de disposer d'instruments sûrs qui permettront d'apprécier l'effet des réformes.

1. Des indicateurs de performances encore trop peu renseignés

L'insuffisance de l'évaluation transparaît au travers des projets annuels de performances (PAP) de la mission « Enseignement scolaire », dont les indicateurs sont souvent lacunaires ou peu fiables , lorsqu'ils ne changent pas d'une année sur l'autre.

Votre rapporteur a eu l'occasion d'exprimer plus haut ses réserves sur l'évaluation du remplacement. Ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres des insuffisances du volet « performance » des PAP.

Sur ce point, votre rapporteur souhaite que des efforts très significatifs soient accomplis au plus vite. Tous les indicateurs doivent à l'avenir être renseignés pour le présent, pour le passé et pour l'avenir. Les écarts entre les prévisions et les réalisations doivent être commentés. De manière générale, il conviendrait de trouver un moyen terme entre les indicateurs sommaires et ceux qui, par excès de raffinement, deviennent totalement incompréhensibles.

A titre d'exemple, votre rapporteur souhaite mentionner l'indicateur 4.3 du programme « Enseignement scolaire public du second degré », qui présente le « rapport de la proportion de jeunes en situation d'emploi 7 mois après leur sortie du lycée (hors ceux qui poursuivent des études) selon le diplôme, et de la proportion des 25-49 ans en situation d'emploi » . Si votre rapporteur ne doute pas que cet indicateur ait un sens statistique, celui-ci n'est jamais explicité. Un commentaire s'impose à tout le moins, voire une refonte.

Par ailleurs, cet indicateur n'est renseigné que pour 2006. Pour une raison que votre rapporteur n'est pas parvenu à saisir, l'absence générale de résultats ou de prévision pour 2008 et 2009 n'empêche pas de faire figurer une cible pour les seuls titulaires d'un brevet de technicien supérieur, cible au demeurant parfaitement égale à la prévision pour 2008, renseignée pour cette seule catégorie.

A cet égard, votre rapporteur tient à exprimer un certain scepticisme sur l'usage qui est fait par le ministère des indicateurs : lorsqu'ils sont renseignés, ils fixent presque tous une cible pour 2011 qui est déjà atteinte ou presque atteinte en 2008 ou en 2009.

Dès lors, il y a lieu de s'interroger sur leur intérêt pratique , cette capacité à se fixer des objectifs déjà atteints ne laissant pas d'intriguer votre rapporteur.

Il souhaite donc que la préparation du projet de loi de finances pour 2010 soit l'occasion de réviser l'ensemble des indicateurs et de prendre les mesures nécessaires pour les renseigner.

2. Des évaluations qui doivent être renforcées et rendues publiques afin de mettre fin aux débats

Ce déficit d'évaluation conduit parfois à fragiliser des réformes ambitieuses qui paraissaient au premier abord particulièrement bien inspirées. Faute de les évaluer de manière précise et de rendre publiques ces évaluations, le ministère de l'éducation nationale alimente quelquefois des polémiques qui n'ont pas lieu d'être :

Deux exemples le démontrent :

- l'assouplissement de la carte scolaire répond à une attente de la part des familles. Une polémique s'est pourtant développée sur ses effets, un rapport d'étape des inspections générales ayant été rendu public alors qu'il devait rester confidentiel. Pour une raison qui échappe à votre rapporteur, le ministère se refuse à commenter ce rapport, y compris lorsqu'il est interrogé par écrit sur ce point par votre commission, au nom du caractère interne d'un document disponible depuis des mois sur le site de l'Agence Éducation Formation, qui se l'est procuré. Le ministère s'expose ainsi à des critiques inutiles, en n'engageant pas le débat alors qu'il dispose de solides arguments en sa faveur ;

- il en va de même s'agissant de la consommation des heures supplémentaires ouvertes par la loi de finances pour 2008. Votre rapporteur s'interroge sur les raisons qui conduisent le ministère à ne lui communiquer que des données très partielles, alors même que Le Monde de l'éducation a publié des informations singulièrement précises sur la question.

Ainsi votre rapporteur n'a-t-il disposé, dans le cadre de ses travaux préparatoires, que d'éléments partiels sur la consommation d'heures supplémentaires sur l'année scolaire 2007-2008.

CONSOMMATION D'HEURES SUPPLÉMENTAIRES (enseignement public)

Heures

Dépenses en euros

Évaluation des contingents

2005-2006

2006-2007

2007-2008

2005-2006

2006-2007

HSA

548 426 750

534 517 763

557 027 315

426 247

409 091

HSE

166 457 521

169 312 911

208 870 931

4 667 906

4 578 237

HI

60 666 227

63 143 314

66 684 937

1 125 951

1 157 531

HTS et autres heures

12 707 615

12 669 239

13 964 489

423 730

416 205

TOTAL

788 258 113

779 643 227

846 547 672

ns

ns

CONSOMMATION D'HEURES SUPPLÉMENTAIRES (enseignement privé)

Heures

Dépenses en euros

Évaluation des contingents

2005-2006

2006-2007

2007-2008

2005-2006

2006-2007

HSA

118 777 184

115 797 882

127 544 181

109 310

104 996

HSE

19 397 511

19 813 931

23 146 764

558 845

562 416

HI

10 031 139

10 928 561

9 728 611

216 188

232 078

autres heures

1 904 944

1 559 705

1 808 370

41 055

33 122

TOTAL

150 110 778

148 100 079

162 227 926

ns

ns

Source : Ministère de l'éducation nationale

Ces éléments suffisent à démontrer que la consommation d'heures supplémentaires a progressé de près de 80 millions d'euros en 2007-2008, ce qui traduit le succès de la politique mise en oeuvre dans le cadre du projet de loi de finances.

De plus, la faible sous-consommation qui pourrait être constatée sur l'enveloppe de 1,115 milliard d'euros ouverte en LFI 2008 a été prise en compte, les efforts d'optimisation des ressources humaines s'étant déplacés vers d'autres dispositifs.

Pour autant, votre rapporteur regrette que le nombre réel d'heures supplémentaires effectuées ne puisse jamais être connu, les chiffres fournis en fin d'année correspondant à une approximation statistique discutable. S'agissant de dispositifs d'un coût global supérieur au milliard d'euros, un suivi précis devrait être engagé. Sur ce point, l'évaluation est donc encore perfectible.

Par ailleurs, votre rapporteur regrette que des évaluations systématiques ne soient pas toujours menées avant de généraliser une réforme expérimentée d'abord au seul niveau local.

Il en va ainsi de l'expérimentation de la « reconquête du mois de juin », qui est généralisée sans qu'un chiffrage précis des coûts supplémentaires que génère l'organisation tardive du baccalauréat ne soit établi. Car il n'est pas possible d'évaluer les gains associés à celle-ci par référence au seul coût moyen d'une semaine de lycée, les nouvelles modalités d'organisation générant à leur tour des dépenses supplémentaires.

Votre rapporteur le regrette : quel que soit son coût, cette opération se justifie par ses effets bénéfiques sur l'organisation de l'année scolaire au lycée.

Au total, votre rapporteur estime que des progrès perfectibles peuvent encore être accomplis en matière d'évaluation.

3. Des données impossibles à comparer d'une composante du service public de l'éducation à une autre

Cette conviction est nourrie par le fait que les évaluations, lorsqu'elles existent, ne prennent que rarement en compte les différences de performance existant entre les différentes composantes du système éducatif.

Aux yeux de votre rapporteur, cela traduit la culture de l'autoévaluation propre au ministère de l'éducation nationale : toute évaluation doit être conduite en interne, en prenant garde de ne jamais prendre en compte l'existence de systèmes d'enseignement alternatifs, qui fourniraient d'utiles points de repères. Il y a sans doute là un effet du « gigantisme » du ministère, qui ne lui permet pas de s'ouvrir à la possibilité de pratiques autres et peut-être plus performantes.

Deux exemples le montrent :

- malgré l'existence d'un programme autonome consacré à l'enseignement privé, les indicateurs de ce programme présentent tous des chiffres agglomérés public-privé. Il est donc impossible de saisir les forces relatives des deux composantes et d'utiliser les résultats de ces comparaisons pour ajuster les politiques scolaires en conséquence. Votre rapporteur souhaite qu'il soit mis fin à cette situation, qui est injustifiable au regard des principes posés par la LOLF ;

- malgré le caractère interministériel de la mission « Enseignement scolaire », aucun indicateur commun à l'enseignement agricole et à l'éducation nationale n'est encore renseigné. De même, leurs PAP respectifs ne sont pas harmonisés, rendant ainsi presque impossible la comparaison de la performance relative des deux systèmes. Là encore, des évolutions sont nécessaires.

Car si votre rapporteur peut concevoir que la comparaison de systèmes nationaux soit délicate, compte tenu des différences existant entre les politiques scolaires nationales, l'absence de données comparatives au sein de la communauté éducative nationale n'a pas de justification sérieuse.

Sans doute cela tient-il à une certaine culture, longtemps propre au ministère de l'éducation nationale, qui préférait ne pas disposer de certaines données plutôt que d'avoir à les rendre publiques et à les commenter. Aux yeux de votre rapporteur, cette culture ne doit plus avoir cours. Les performances d'ensemble de notre système éducatif sont indiscutables : un débat sur certains points précis doit donc pouvoir avoir lieu sans ébranler la confiance que la nation place dans son école.

Plus largement, votre rapporteur regrette que les points de repères fournis au grand public sur les performances de l'éducation nationale relèvent de l'autoévaluation : la référence au taux global de réussite au baccalauréat apparaît ainsi comme peu pertinente, sa médiatisation nourrissant sans doute une certaine pression à la hausse.

Pour que les politiques scolaires ne soient plus évaluées par ceux qui les mettent en oeuvre, votre rapporteur souhaite également que les évaluations régulières menées sur les générations d'élèves à chaque niveau scolaire soient certifiées par un comité d'experts internationaux.

Étant extérieurs à certains débats récurrents dans la communauté éducative scolaire, ils pourront définir des modalités d'évaluation indépendantes, ce qui est gage sinon d'objectivité, du moins de crédibilité.

Cela serait au demeurant conforme à la logique d'investissement que votre rapporteur appelle de ses voeux et qui guide l'action résolue et ambitieuse de l'actuel ministre de l'éducation nationale.

* *

*

Au vu de l'ensemble de ces observations, votre rapporteur a invité votre commission à donner un avis favorable à l'adoption des crédits pour 2009 de la mission « Enseignement scolaire », sous réserve d'un rééquilibrage des crédits destinés au programme 143 « Enseignement technique agricole », manifestement insuffisants.

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