II. LA SITUATION DES JURIDICTIONS : DES BESOINS QUI DEMEURENT IMPORTANTS
Devant l'asphyxie persistante des juridictions, qui avait notamment été soulignée, en 1996, par la mission d'information constituée par votre commission des Lois pour évaluer les moyens de la justice 10 ( * ) , un effort substantiel de renforcement des moyens qui leur sont affectés a été réalisé au cours des dernières années.
Cependant, les dernières statistiques connues sur l'activité des juridictions confirment que les besoins nécessaires au traitement quotidien des flux de contentieux demeurent importants.
A. L'ACTIVITÉ CIVILE : DES DÉLAIS TOUJOURS EXCESSIFS
En matière civile, on constate une poursuite de la tendance à la stabilisation des flux d'affaires nouvelles amorcée ces dernières années.
Ainsi, le nombre d'affaires nouvelles a baissé en 1999 11 ( * ) par rapport à l'année précédente devant toutes les catégories de juridictions 12 ( * ) , sauf les tribunaux d'instance :
• - 4,6 % devant les tribunaux de grande instance ;
• + 0,3 % devant les tribunaux d'instance ;
• - 14,1 % devant les conseils de prud'hommes ;
• - 5,1 % devant les cours d'appel ;
• - 8,4 % devant les chambres civiles de la Cour de cassation.
Cette évolution peut en partie s'expliquer par l'amélioration de la situation économique et sociale générale, qui a entraîné notamment une baisse du nombre des litiges en matière de licenciement devant les prud'hommes et des ouvertures de redressement judiciaire concernant les juridictions commerciales, ainsi qu'une régression d'un certain nombre d'autres contentieux civils (référés-expulsion, affaires de baux d'habitation et de copropriété, saisies sur les rémunérations).
Nonobstant cette diminution des flux d'affaires nouvelles, la durée moyenne de traitement des affaires reste fort éloignée des objectifs qui avaient été fixés par la loi de programme de 1995.
Elle continue de s'accroître de manière particulièrement préoccupante devant les cours d'appel , même si elle tend à se stabiliser devant les tribunaux de grande instance et tribunaux d'instance, comme le montre le graphique ci-après.
En 1999, la durée moyenne de traitement des affaires s'est établie à :
- 9,1 mois pour les tribunaux de grande instance , soit une légère diminution par rapport à 1998 (9,3 mois), mais une durée largement supérieure à l'objectif de six mois fixé par la loi de programme de 1995 ;
- 5,2 mois pour les tribunaux d'instance , soit une stabilisation par rapport à 1998 (5,1 mois), mais une durée encore très éloignée des trois mois envisagés par la loi de programme ;
- 10,3 mois pour les conseils de prud'hommes, en augmentation par rapport à 1998 (9,7 mois) ;
- 6 mois pour les juridictions commerciales , durée moyenne quasi-identique à celle de 1998 (6,1 mois) ;
- 18,1 mois pour les cours d'appel , durée moyenne encore en accroissement par rapport à 1998 (17,4 mois), alors que l'objectif fixé par la loi de programme était de 12 mois 13 ( * ) .
Ces délais moyens cachent néanmoins d'importantes distorsions selon les juridictions. Ainsi, en ce qui concerne les cours d'appel, si certaines cours parviennent à réduire leurs délais moyens (par exemple, Agen, Bastia, Bourges, Colmar, Montpellier, Nîmes, Orléans, Toulouse), en revanche, d'autres apparaissent de plus en plus " sinistrées " : en effet, de 1997 à 1999, le délai moyen est passé de 21,7 à 28,1 mois à Aix-en-Provence, de 21,4 à 23 mois à Chambéry, de 19,6 à 21,1 mois à Douai, de 19 à 22,8 mois à Bordeaux, ou encore de 18,4 à 22,1 mois à Reims. Afin de remédier à cette situation, les créations d'emplois de conseillers de cour d'appel sont localisées en tenant compte des charges de travail respectives des cours : ainsi, les cours précitées ont toutes bénéficié du renfort d'un ou deux nouveaux conseillers en 2000 (notamment 2 à Douai et 2 à Bordeaux), alors que d'autres, comme par exemple Paris, ont conservé leurs effectifs inchangés.
Quant aux stocks d'affaires en cours , ils ont enregistré en 1999 une légère diminution devant les cours d'appel (- 3,07 %) mais stagnent devant les tribunaux de grande instance (- 0,44 %) et sont en augmentation devant les tribunaux d'instance (+ 4,25 %). L'évolution des délais qui seraient nécessaires à la résorption de ces stocks est illustrée par le graphique ci-après.
Compte tenu de la capacité actuelle de traitement des juridictions évaluée à partir du nombre d'affaires terminées dans l'année, ces stocks, exprimés en nombre de mois nécessaires à leur traitement, atteignent en 1999 :
- 17,73 mois pour les cours d'appel ;
- 11,35 mois pour les tribunaux de grande instance ;
- 9,69 mois pour les tribunaux d'instance ;
- 11,60 mois pour les conseils de prud'hommes 14 ( * ) .
Le volume des stocks accumulés apparaît d'autant plus préoccupant que la productivité des juridictions ne connaît pas d'amélioration sensible. En effet, selon une intéressante évaluation figurant dans le " compte-rendu de gestion budgétaire justice 1999 ", le nombre d'affaires civiles terminées par magistrat du siège tend même à diminuer devant les cours d'appel et les tribunaux de grande instance, comme le montre le tableau suivant :
Nombre d'affaires civiles terminées
|
1996 |
1997 |
1998 |
Evolution 1998/1996 |
Cours d'appel |
230 |
229 |
217 |
- 5,65 |
Tribunaux de grande instance |
419 |
408 |
385 |
- 8,11 |
Tribunaux d'instance |
536 |
528 |
531 |
- 0,93 |
* 10 Cf. rapport Sénat n° 49 (1996-1997) : Quels moyens pour quelle justice ? - M. Charles Jolibois, président - M. Pierre Fauchon, rapporteur.
* 11 Dernières statistiques complètes connues.
* 12 S'agissant des juridictions commerciales, le suivi statistique des affaires nouvelles a été interrompu en 1992 " pour des raisons budgétaires " selon la Chancellerie, et ne sera repris qu'en 2001.
* 13 Par ailleurs, la durée moyenne des procédures atteignait en 1997, sur la base des affaires terminées par un arrêt, près de deux ans devant les chambres civiles de la Cour de cassation (cette durée moyenne culminant à plus de 2 ans et demi devant la chambre sociale).
* 14 Les données relatives aux stocks d'affaires en cours ne sont pas disponibles pour les tribunaux de commerce.
* 15 Calculé par rapport à l'effectif budgétaire des juridictions (hors magistrats spécialisés).