III. VERS UNE NOUVELLE ÉTAPE DE LA DÉCENTRALISATION
Au cours des derniers exercices, votre commission des Lois a appelé l'attention du Gouvernement sur les obstacles trop nombreux s'opposant à l'approfondissement du processus de décentralisation, en particulier en ce qui concerne l'absence d'adaptation de l'Etat aux conséquences de cette grande réforme, les difficultés rencontrées par les élus locaux dans l'exercice de leurs mandats et les menaces pesant sur les finances locales du fait d'un mouvement de recentralisation des ressources, incompatible avec les principes qui doivent guider le processus de décentralisation.
Le rapport établi par notre collègue Michel Mercier au nom de la mission d'information présidée par M. Jean-Paul Delevoye, a dressé un bilan complet et clairement mis en évidence les pistes qui devraient être poursuivies pour permettre l'émergence d'une " République territoriale ".
A la suite des conclusions du rapport de la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par notre collègue Pierre Mauroy, le Gouvernement a, pour sa part, annoncé la mise en chantier d'un certain nombre de réformes par la voie législative ou réglementaire. Un débat d'orientation devrait avoir lieu devant le Parlement au mois de janvier 2001 autour de trois lignes directrices : le renforcement de la démocratie citoyenne, la clarification des compétences et la refonte des finances locales.
Dans le cadre du présent avis, votre commission des Lois examinera plus particulièrement trois questions essentielles pour la décentralisation et la démocratie locale : les conditions d'exercice des mandats locaux pour lesquelles certains progrès, enregistrés sous l'impulsion du Sénat, doivent être amplifiés, le renforcement en cours de la coopération intercommunale qui doit être poursuivi et l'avenir du système de financement local, qui suscite de légitimes inquiétudes.
A. LES CONDITIONS D'EXERCICE DES MANDATS LOCAUX : DES PROGRÈS A AMPLIFIER
Depuis plusieurs années, le Sénat a fait de la sécurité juridique des mandats un thème prioritaire de ses réflexions et a pris dans ce domaine des intiatives. Mettre en place un environnement juridique sûr apparaît, en effet, indispensable pour éviter un découragement de beaucoup d'élus locaux, périlleux pour notre démocratie locale.
Votre commission des Lois avait ainsi mené des travaux sur la responsabilité pénale des élus locaux qui ont conduit à l'adoption de la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, laquelle avait précisé que cette responsabilité ne pourrait être engagée que s'il est établi que l'élu " n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie ".
En outre, toujours à l'initiative de votre commission des Lois en collaboration avec la commission des finances, une réflexion approfondie a été menée par le groupe de travail sur les chambres régionales des comptes, présidé par M. Jean-Paul Amoudry et dont le rapporteur était M. Jacques Oudin 1 ( * ) . Ces travaux ont abouti à l'adoption par le Sénat, le 11 mai dernier, sur le rapport de M. Jean-Paul Amoudry, de la proposition de loi tendant à réformer les conditions d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les chambres régionales des comptes.
La mission commune d'information sur la décentralisation a par la suite fait de la sécurité juridique de l'action publique locale et des conditions d'exercice des mandats, deux thèmes prioritaires de ses réflexions.
Son rapport d'étape 2 ( * ) a fait le constat de la dégradation préoccupante des conditions d'exercice des responsabilités locales sous l'effet d'une insécurité juridique croissante . Cette insécurité résulte d'un environnement juridique complexe et incertain , d'une réglementation qui oscille entre l'excès et le flou, d'une clarification insuffisante des responsabilités et d'une superposition des contrôles qui aboutit à des solutions contradictoires pour un même acte. Elle procède également d'une montée en puissance du risque pénal qui, sous l'effet d'une perte de spécificité de la sanction pénale, a conduit à des mises en causes trop fréquentes de la responsabilité personnelle des élus locaux pour des faits inhérents à la gestion locale.
Afin de remédier à cette situation périlleuse pour la démocratie locale, la mission d'information a formulé des propositions pour favoriser l'émergence de règles du jeu claires pour l'exercice des responsabilités locales. Elle a ainsi préconisé que soit achevée la codification des textes applicables aux collectivités locales et codifié les incriminations relevant du droit pénal spécial. Elle a également demandé une nouvelle approche des normes techniques , par une meilleure évaluation de leur coût financier dans le cadre d'études d'impact, par une association plus fréquente des collectivités locales à leur élaboration, par une plus grande stabilité de ces normes et par le renforcement de l'information des élus locaux sur les normes applicables.
Votre commission des Lois relève que, quatre ans après la partie législative, la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales a été publiée au journal officiel du 9 avril 2000, en annexe du décret n° 2000-318 du 7 avril 2000 .
Les dispositions ainsi codifiées sont issues, d'une part, des livres I, II et III du code des communes (partie réglementaire) et, d'autre part, de 176 décrets simples et en Conseil d'Etat, identifiés respectivement par les lettres R (décrets en Conseil d'Etat) et D (décrets simples) soit un ensemble de 1850 articles.
La partie réglementaire comprend des dispositions relatives aux institutions, à l'organisation et aux finances des collectivités locales et de leurs groupements. Les textes, portant notamment sur la fiscalité ou les compétences, ont vocation à être insérés ou à demeurer dans d'autres codes tels que le code général des impôts, le code rural, le code de l'urbanisme, le code de la voirie routière ou le code des juridictions financières.
Comme la partie législative, la partie réglementaire s'applique aux collectivités territoriales de métropole, des départements et des régions d'outre-mer. S'agissant de la Nouvelle Calédonie, la Polynésie française, les Iles Wallis et Futuna, Mayotte et Saint Pierre et Miquelon, les dispositions abrogées demeurent applicables lorsqu'elles les concernent.
On observera néanmoins que la codification ne garantit pas une plus grande stabilité juridique. Depuis sa publication en 1996, la partie législative du code général des collectivités territoriales a été modifiée par 42 lois qui ont eu un impact sur 390 articles . On recense au total 450 modifications, soit 139 créations d'articles, 30 déplacements avec renumérotations, 50 abrogations et 231 modifications rédactionnelles.
La mission d'information a, par ailleurs, plaidé pour une clarification des responsabilités , qui passe par une meilleure définition du rôle des différents acteurs dans la conduite des actions publiques locales, par un approfondissement de la réforme de l'Etat afin de clarifier les missions et l'organisation des services déconcentrés, par une nouvelle conception du contrôle de légalité qui le fasse participer à la sécurisation juridique et par une modernisation du contrôle financier dont le Sénat a fixé les lignes directrices. Cet objectif d'une sécurité juridique renforcée exige aussi que les modalités de répartition des responsabilités soient mieux définies au sein même des collectivités et que ces dernières renforcent leurs moyens de contrôle propres.
Tout en écartant le rétablissement d'un régime spécifique et dérogatoire au profit des élus locaux, la mission d'information a formulé plusieurs propositions afin de concilier les exigences du mandat local avec la pénalisation accrue de la société.
Elle a ainsi jugé nécessaire de revaloriser la voie civile comme mode normal de réparation des préjudices et de rendre à la sanction pénale sa finalité qui est de réprimer une faute morale.
Conformément à l'engagement pris devant le 82 è Congrès des maires de France par le président Christian Poncelet, le Sénat a inscrit à son ordre du jour, dès le 27 janvier 2000, la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Surmontant ses réticences initiales, le Gouvernement a bien voulu admettre le bien fondé de la démarche, ce qui a permis l'adoption définitive, le 29 juin dernier, de la proposition de loi qui est devenue la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 .
La loi du 10 juillet 2000 permet d'opérer une distinction entre les auteurs directs d'infractions involontaires et les auteurs indirects . En cas de lien indirect entre la faute et le dommage, elle subordonne la mise en cause de la responsabilité pénale à l'existence d'une faute caractérisée . En conséquence, la moindre imprudence ou négligence n'entraînera plus nécessairement la responsabilité pénale des personnes physiques mais elle impliquera toujours un droit à réparation pour la victime . La loi distingue ainsi clairement la faute pénale et la faute civile d'imprudence, ce qui devrait mettre fin à une jurisprudence assimilant ces deux fautes, établie en 1912. Les premières applications de ce nouveau dispositif par les tribunaux sont conformes à l'intention ainsi exprimée par le législateur.
La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes a, par ailleurs, permis, comme l'avait souhaité le Sénat, de clarifier certains aspects de la procédure pénale, notamment en renforçant le recours à la formule du témoin assisté et en subordonnant la faculté de mettre une personne en examen à l'existence d'indices graves et concordants .
Ces progrès incontestables, qui portent sur la sécurité juridique des mandats, doivent être amplifiés par des mesures destinées à améliorer le " statut " des élus locaux dans un contexte marqué par une diversification de plus en plus grande de leurs tâches.
Le Livre blanc élaboré au sein de l'Association des Maires de France, qui a été présenté lors du 82 è congrès de l'Association, a formulé de manière très pertinente divers éléments de réflexion.
La mission sénatoriale d'information a fait de cette question du " statut " de l'élu un autre thème prioritaire de ses réflexions. Son rapport d'étape précité souligne l'inadaptation du cadre juridique en vigueur -très largement issu de la loi du 3 février 1992 -lequel ne garantit plus l' égal accès de tous les citoyens à un mandat local , comme en témoigne la forte progression de la représentation des retraités et des agents de la fonction publique parmi les maires, à l'issue des élections municipales de 1995.
La mission d'information a formulé un ensemble de propositions pour favoriser l'accès des citoyens aux fonctions électives et rééquilibrer la représentation sociologique des élus. Ces propositions tendent à concilier plus aisément une activité professionnelle et l'exercice d'un mandat local et à faciliter l'exercice à plein temps du mandat local. Tout en exprimant son attachement au principe de gratuité du mandat, la mission d'information a néanmoins préconisé une revalorisation des indemnités de fonction . Enfin, elle a souhaité que l'exigence de formation de l'élu soit mieux reconnue et généralisée.
La loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice a prévu une revalorisation des indemnités de fonction des maires et étendu les crédits d'heures aux conseillers municipaux de toutes les communes de plus de 3 500 habitants. Elle a par ailleurs, rendu applicables à tous les maires et aux adjoints aux maires des communes de 20 000 habitants au moins (contre 30 000 habitants auparavant) les dispositions permettant une suspension du contrat de travail jusqu'à l'expiration du mandat.
Le Gouvernement a annoncé le dépôt, en 2001, d'un projet de loi sur la démocratie locale dont l'ambition serait de renforcer le lien entre élus et citoyens, notamment par l'introduction de conseils de quartiers dans les villes de plus de 20 000 habitants. Ce projet de loi aurait également pour but de faciliter l'égal accès des citoyens aux mandats locaux et la conciliation de la vie professionnelle et personnelle avec l'exercice d'un mandat.
Soulignant l'urgence d'une réforme dans ce domaine, le président Christian Poncelet a indiqué, devant le 83 è Congrès des maires de France, qu'il demanderait au Sénat d'inscrire à son ordre du jour du 18 janvier prochain la proposition de loi (n° 59, 2000-2001) relative au statut de l'élu local, présentée par notre collègue Alain Vasselle, qui s'inscrit dans le droit fil des propositions de la mission sénatoriale d'information.
* 1 " Chambres régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de la démocratie locale " (n° 520, 1997-1998).
* 2 " Sécurité juridique, conditions d'exercice des mandats locaux : des enjeux majeurs pour la démocratie locale " (n° 166, 1999-2000).