B. LES ENSEIGNEMENTS DES ACCORDS DE RÉDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL SIGNÉS DEPUIS JUIN 1998

1. Les petites entreprises restent dans l'expectative

Au 13 septembre 2000, on comptabilisait 10.618 accords de réduction du temps de travail signés depuis le 1 er janvier 2000. Ces accords qui concernent 986.416 salariés font référence à la création ou à la préservation de 43.450 emplois.

Depuis juin 1998, 1,4 million de salariés sont passés aux trente-cinq heures dans le cadre du dispositif " Aubry I " dans 23.000 entreprises.

La DARES vient de publier une étude 9 ( * ) très complète qui dresse un bilan qualitatif des accords signés depuis 1998. Ce bilan est intéressant à plus d'un titre puisqu'il permet de mieux comprendre l'état d'esprit des entreprises signataires comme les préoccupations des salariés.

Cette étude nous apprend tout d'abord que les entreprises signataires sont plutôt grandes puisque 60 salariés sont concernés en moyenne par une convention d'aide à la réduction du temps de travail " Aubry ".

Les salariés concernés par la réduction du temps de travail
par taille d'unité signataire

En pourcentage des salariés

(*) - Champ UNEDIC, effectif des établissements au 31 décembre 1998.

Sources : MES-DARES (suivi des conventions), UNEDIC

Alors que les entreprises de moins de vingt salariés regroupent 37 % des effectifs du secteur privé, elles ne représentent que 5 % des effectifs dont la durée du travail a été réduite. A contrario , avec seulement 2 % des conventions, les entreprises de 500 salariés ou plus qui emploient un peu plus de 11 % des salariés du secteur privé représentent 32 % des salariés dont le temps de travail a été réduit.

Le décalage s'explique par le délai supplémentaire dont les petites entreprises bénéficient pour se voir appliquer la nouvelle durée légale du travail. Il illustre parfaitement le fait que les entreprises sont réticentes à adopter les trente-cinq heures tant qu'elles ont la possibilité d'y échapper.

L'aide incitative au passage aux trente-cinq heures

La loi n° 98-461 du 13 juin 1998 fixe la durée légale à trente-cinq heures hebdomadaires au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et au 1 er janvier 2002 pour les autres. Elle institue un système d'aide aux entreprises qui négocient une réduction collective du temps de travail, pour favoriser l'emploi avant le passage à la durée légale à trente-cinq heures. Cette aide s'appuie sur une convention entre l'Etat et l'entreprise ou l'établissement, qui doit obligatoirement être précédée d'un accord entre les partenaires sociaux, conclu au niveau de l'établissement, de l'entreprise ou, dans certains cas, de la branche.

Le dispositif comprend deux volets : l'offensif, destiné à créer des emplois, et le défensif, qui vise à éviter des licenciements économiques. Dans les deux cas, l'entreprise qui réduit d'au moins 10 % la durée de travail de tout ou partie de ses salariés bénéficie pendant cinq ans d'un allégement des cotisations patronales de sécurité sociale, qui était initialement de 9.000 francs par salarié la première année, puis diminuait de 1.000 francs par an : 8.000 francs la deuxième année, 7.000 la troisième, etc. Les accords signés après le 30 juin 1999 bénéficient d'un allégement moindre. Dans certains cas, l'allégement est majoré : si la réduction atteint ou dépasse 15 %, si les embauches se font sur contrat à durée indéterminée ou si elles concernent des publics prioritaires (jeunes, handicapés, chômeurs de longue durée...) ou encore s'il s'agit d'une entreprise de main-d'oeuvre. 84 % des conventions étudiées ici bénéficient d'une telle majoration.

Dans le volet offensif, l'allégement des cotisations sociales est subordonné à une augmentation des effectifs de 6 % en cas d'une réduction du temps de travail de 10 %, de 9 % en cas d'une réduction de 15 % ou plus. Le nouveau niveau d'emploi doit être maintenu pendant au moins deux ans. Dans le volet défensif, l'allégement bénéficie aux entreprises ou établissements qui réduisent le temps de travail pour éviter des licenciements prévus dans le cadre d'une procédure collective de licenciements économiques, et qui s'engagent, dans les mêmes proportions que pour le volet offensif, à maintenir le niveau d'emploi pour une durée minimale de deux ans.

La loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, dite loi " Aubry 2 ", complète la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail en précisant les modalité de passage de la durée légale aux trente-cinq heures pour les entreprises de plus de 20 salariés. Le dispositif incitatif est supprimé pour ces dernières. Y succède un allégement de cotisations sociales pérenne pour toutes les entreprises passant aux trente-cinq heures.

Concernant les secteurs les plus en pointe dans la mise en oeuvre des trente-cinq heures, on remarque que les conventions sont d'abord signées dans les services (60 % des salariés ayant réduit leur durée du travail), les activités les plus représentées étant le commerce, l'éducation-santé-action sociale et les services aux entreprises.

Par rapport à son poids dans l'économie, l'industrie est toutefois surreprésentée, notamment dans les secteurs de l'agro-alimentaire et des biens de consommation. Ceci tendrait à confirmer les observations de votre commission des Affaires sociales qui considérait lors des discussions des lois " Aubry " que la réduction du temps de travail, telle qu'elle était proposée par le Gouvernement, prenait pour modèle une organisation taylorienne de l'entreprise. Ce constat laisse entière la question de l'application des trente-cinq heures dans les petites structures non industrielles après 2002.

Les salariés concernés par la réduction du temps de travail
par secteur d'activité

En pourcentage de salariés

(*) - Champ UNEDIC, effectif des établissements au 31 décembre 1998.

Sources : MES-DARES (suivi des commission), UNEDIC.

Dans la plupart des cas, la réduction du temps de travail s'applique à l'ensemble des salariés de l'entreprise. Lorsque certains sont exclus, il s'agit plus souvent d'une catégorie spécifique (commerciaux, cadres...). Les ouvriers et les employés sont légèrement surreprésentés par rapport à leur poids dans l'économie aux dépens des professions intermédiaires et des cadres. Dans les entreprises qui en emploient, ces derniers ne sont concernés que dans sept cas sur dix.

Les salariés concernés par la réduction du temps de travail
par catégorie socioprofessionnelle

En pourcentage de salariés

(*) Champ : salariés du privé et des entreprises nationales ou publiques (tous statuts) en mars 2000.

Sources : MES-DARES (suivi des conventions), INSEE (enquête Emploi).

Pour pouvoir signer une convention, il faut au préalable un accord entre les partenaires sociaux. Cet accord peut être conclu au niveau de l'établissement, de l'entreprise ou, pour les entreprises de moins de cinquante salariés dépourvues de délégués syndicaux, de la branche.

Près de 19 % des signataires de conventions ont recouru à cette dernière solution. Les accords de branche les plus appliqués sont ceux de la CAPEB (bâtiment), des services automobiles, de la propreté et des experts comptables.

Lorsque l'entreprise ne dispose pas de délégué syndical, ce qui est fréquent dans les petites unités, la loi offre la possibilité de négocier l'accord avec un salarié mandaté par une organisation syndicale. Ce sont 64 % des accords conventionnés qui sont signés dans ce cadre. La CFDT est alors le premier syndicat signataire, devant la CFTC et la CGT. Lorsqu'en revanche, les délégués syndicaux sont signataires, les taux de signature sont sensiblement plus importants pour la CGT et FO.

Il est rare qu'un syndicat présent ne signe pas : la propension à signer est comprise entre 85 % et 96 %, plus élevée pour la CFDT et la CFTC. On remarque que 89 % des accords ont été signés par l'ensemble des syndicats présents.

La signature des accords conventionnés par syndicat

En pourcentage des accords conventionnés

Champ : accords conventionnés uniquement. Un accord pouvant être signé par plusieurs syndicats, le total est supérieur à 100.

Source : MES-DARES (suivi des conventions).

L'ensemble des accords de réduction du temps de travail signés depuis juin 1998, prévoit au total de créer ou préserver 218.000 emplois dont 115.000 dans le cadre de conventions bénéficiant d'aides de l'Etat. Les créations d'emplois y sont nettement majoritaires (104.000) par rapport aux licenciements économiques évités (11.000).

Il apparaît par ailleurs que les embauches prévues dans le cadre offensif privilégient le recrutement d'ouvriers et d'employés par rapport à ceux de professions intermédiaires et de cadres.

La très grande majorité des entreprises conventionnées ont prévu de réduire leur temps de travail de 10 %. La moitié des salariés concernés par une réduction du temps de travail ont un horaire annuel compris entre 1.550 et 1.600 heures qui correspondent à une fourchette de trente-quatre à trente-cinq heures hebdomadaires.

Comme le reconnaît la DARES, il convient de souligner que les créations ou maintiens d'emplois ne peuvent être interprétés comme des créations nettes. Il faut en effet tenir compte de l'évolution des effectifs qui se serait produite en l'absence de réduction du temps de travail. Par ailleurs, des emplois créés peuvent s'avérer non pérennes si l'équilibre économique des entreprises n'est pas assuré. Enfin, la concurrence et la redistribution des activités entre les entreprises signataires et les autres peuvent conduire à des résultats nets globalement différents de ceux observés dans le seul champ des entreprises conventionnées.

Ces quelques éléments amènent votre commission saisie pour avis à formuler la conclusion suivante : si l'on connaît à peu près le coût des trente-cinq heures, le plus grand flou demeure quant aux résultats de cette mesure en termes de créations d'emplois. Tout laisse à penser que le Gouvernement entretient la confusion en attribuant aux trente-cinq heures des créations d'emplois qui relèvent davantage du retour de la croissance générale en Europe et des allégements de charges sociales mis en place depuis 1993.

* 9 DARES, Premières informations et premières synthèses, " Les conventions de réduction du temps de travail de 1998 à 2000 ", Novembre 2000 - n° 45.2

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