III. ASPECTS DE LA MISE EN oeUVRE DE LA LOI DU 1ER AOÛT 2000
L'élaboration et l'adoption de la loi du 1 er août 2000 ont été la grande affaire de la politique de la communication audiovisuelle du gouvernement ces trois dernière années. Le résultat ne semble pas à la hauteur des promesses d'une aussi longue gestation, et la mise en oeuvre pourrait ne pas réserver moins de surprises que la préparation. Aussi votre commission a-t-elle estimé utile de rappeler quelques éléments de ce texte avant d'évoquer rapidement quatre domaines d'application qui lui paraissent importants à divers égards.
A. UN TEXTE PEU ÉQUILIBRÉ
1. La réglementation des diffuseurs privés
La réglementation des diffuseurs privés n'a pas été présentée comme une priorité de la réforme de la loi de 1986, elle n'en figure pas moins en bonne place dans le dispositif adopté sous la forme de dispositions trop souvent idéologiques, inutiles, dangereuses pour l'essor des opérateurs français.
Particulièrement révélateur à cet égard est l'exemple du système de reconduction automatique des autorisations d'utiliser les fréquences, auquel l'Assemblée a souhaité donner le caractère le plus aléatoire possible. Pourtant, nul n'imagine que les autorisations de TF1, de Canal Plus ou de M6 ne soient pas reconduites sans motif grave. Le climat d'incertitude créé par la nouvelle rédaction de la loi présentera alors simplement l'inconvénient de fragiliser l'actionnariat des opérateurs français à l'approche de chaque renouvellement, et de faciliter l'intrusion d'opérateurs étrangers dans leur capital.
Il est bien d'autres exemples des sacrifices que la nouvelle loi consent au goût de manifester une défiance à l'égard des opérateurs des télévisions nationales privées. En ce qui concerne l'actionnariat et la structure des grands groupes, les projets maximalistes agités un temps ont été abandonnés au profit d'une obligation d'informer le CSA des opérations commerciales des actionnaires des chaînes privées, quand ces opérations consistent en des candidatures à des marchés publics ou à des délégations de service public. Cette mesure, qui systématise et spécifie un pouvoir général d'information que le CSA possédait déjà, aura pour effet essentiel de noyer le régulateur sous une documentation qu'il aura quelque peine à exploiter.
La nouvelle loi a par ailleurs imposé aux câblo-opérateurs un contrôle étroit du CSA sur la composition de leur offre au prétexte juridique d'un monopole de la distribution filaire des images animées qui n'a plus aucune réalité économique et qui va bientôt disparaître avec les progrès de la technologie du téléphone, et au prétexte politique de garantir la conformité des plans de service à l'intérêt du publique, garantie que la concurrence entre le câble et le satellite est bien mieux à même d'apporter.
2. Le régime juridique du numérique de terre
Il convient de rappeler que le développement de la télévision numérique de terre devrait permettre :
- d'ouvrir un nouvel espace de développement à l'audiovisuel public. Confronté à la perspective d'un tassement progressif de son audience globale au fur et à mesure du développement des services thématiques diffusés sur les divers supports numériques, le secteur public court le risque d'une perte d'efficacité dans l'exercice de sa mission généraliste. Si par ailleurs la participation de France Télévision à TPS lui a permis d'acquérir une expérience des métiers de la communication numérique, cette expérience ne saurait à elle seule apparaître comme un véritable axe de développement pour le secteur public ;
- d'utiliser plus efficacement la ressource rare que constituent les fréquences hertziennes terrestres, en rendant à terme disponible pour d'autres usages une partie au moins des fréquences mobilisées actuellement pour la diffusion analogique ;
- d'offrir au public non désireux de s'équiper pour la réception des services du satellite ou ne disposant pas du câble, ainsi qu'au public qui restera à l'écart de l'internet rapide, un grand choix de programmes et de services innovants sur son support habituel ;
- d'offrir de nouvelles marges de développement à l'industrie de l'électronique grand public, qui fournira aux ménages les équipements de réception numériques nécessaires pour recevoir l'offre nouvelle ;
- de favoriser le développement de la communication locale et de proximité ;
- de permettre aux opérateurs d'accroître à terme, grâce à la réduction de leurs coûts de diffusion, leur rentabilité et par suite leur capacité investissement dans les programmes;
- de retarder les conséquences sur le dispositif français d'aide à l'industrie des programmes des progrès de la diffusion par satellite et de la mondialisation, en maintenant l'audience d'un mode de diffusion essentiellement national.
La réalisation de ces objectifs d'incontestable intérêt public se heurte à de sérieuses incertitudes.
Incertitude, tout d'abord, sur les coûts et les perspectives financières de la diffusion numérique de terre. Une seule étude économique, tardivement réalisée et plus tardivement encore rendue publique, a été lancée par le Gouvernement pour éclairer cette question.
Incertitude, aussi, sur la place disponible pour le numérique de terre entre le câble, qui progresse lentement et auquel le marché des télécommunications et celui de l'internet ouvrent de nouvelles perspectives ; le satellite, qui a conquis en quelques années plus de 2,5 millions d'abonnés ; l'internet rapide, qui offrira bientôt au public un nouveau mode d'accès aux programmes de télévision.
Face à ces incertitudes, la réussite du lancement du numérique de terre se présente comme un pari industriel dont la réussite est assujettie à deux conditions essentielles.
Il convient d'une part de favoriser l'élaboration d'une offre de services attractive et financièrement équilibrée, il convient d'autre part de favoriser l'équipement rapide du public en terminaux numériques.
Le choix du mode d'attribution de la ressource de diffusion sera déterminant à cet égard.
Or le système d'attribution d'autorisations service par service mis en place par la loi conduit à la mise en place d'une économie administrée par le CSA, véritable ordonnateur de l'offre numérique.
Ce système fera nécessairement émerger à l'occasion des appels à candidatures une offre éclatée qu'il appartiendra au CSA d'organiser de son propre chef, en s'inspirant éventuellement des souhaits exprimés par les éditeurs, afin de composer fréquence par fréquence des multiplexes supposés cohérents, attractifs et susceptibles de provoquer à terme la constitution d'une économie viable de la diffusion hertzienne numérique de terre.
En d'autres termes, le dispositif adopté confie au CSA le rôle d'ensemblier global de la diffusion numérique de terre, rôle crucial pour le lancement de ce marché comme il a été déterminant pour la réussite de la diffusion satellitaire (l'absence d'ensemblier a été en revanche largement responsable des pannes de l'économie du câble).
Il convient de rappeler quelques-unes des autres critiques émises par le Sénat à l'encontre de la nouvelle loi :
- une priorité est accordée aux chaînes gratuites alors que rien n'indique que le marché publicitaire pourra financer la création de plusieurs dizaines de chaînes nouvelles, nationales ou locales, et en dépit de l'essor que la constitution d'une offre payante significative donnerait à l'équipement des ménages en moyens de réception numériques (la présence d'une offre payante inciterait les distributeurs de multiplexes à subventionner largement l'équipement des ménages, comme ce fut le cas pour assurer le succès d'abord du Minitel puis du satellite) ;
- l'attribution pour 10 ans des autorisations service par service va figer le paysage numérique de terre alors d'une part que l'adaptabilité de l'offre est essentielle à son caractère attractif, alors d'autre part que l'évolution technologique va modifier en permanence les conditions d'une gestion optimale de la ressource disponible sur chaque fréquence, incitant à adapter de façon continue la composition optimale de l'offre de chaque multiplexe.
La loi a en définitive institué un système contraire à la rationalité économique, dont le succès risque de dépendre d'un engagement massif de l'Etat dans le financement du numérique de terre.
3. Le secteur public
Les dispositions de la loi concernant le secteur public sont plus équilibrées que les autres. La discussion du projet a montré l'existence d'un large accord sur la nécessité de renforcer le secteur public et de lui donner les moyens de remplir convenablement sa mission de service public. La constitution du groupe France Télévision, avec le regret que les maladresses diplomatiques du Gouvernement aient conduit à l'exclusion d'Arte, est exemplaire à cet égard.
Si par ailleurs la définition adoptée des missions du secteur public est critiquable, comme on l'a vu ci-dessus, le Sénat a en revanche approuvé dans l'ensemble les dispositions de nature financières, sans grande illusion sur l'ampleur des moyens dont la télévision publique disposera pour financer sa diversification dans le numérique en poursuivant parallèlement l'amélioration des programmes de France 2 et de France 3. Mais il s'agit ici plus de l'application que du contenu de la loi du 1 er août 2000.