Question de M. CANÉVET Michel (Finistère - UC) publiée le 13/03/2025

M. Michel Canévet attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur l'utilisation des données personnelles dont les collectivités territoriales disposent et leur transmission à des tiers afin de participer à la mise en oeuvre de politiques publiques ou d'actions d'intérêt général.

À titre d'exemple, la communication des listes électorales à un tiers, en sa qualité d'électeur, est possible si celui-ci s'engage, au titre de l'article L. 37 du code électoral, à ne pas en faire un « usage commercial ». Ces termes sont vagues et suscite de nombreuses incertitudes. De surcroît, ce sont aux collectivités sollicitées, souvent mal outillées en la matière, de l'apprécier.

Aujourd'hui, cet état de fait est particulièrement préjudiciable pour l'action publique et l'intérêt général. De nombreuses collectivités territoriales n'ont pas accès à ces listes électorales, ne pouvant ainsi assurer de manière optimale la prévention et la protection de leurs concitoyens, en particulier les plus fragiles. Ce flou juridique nuit particulièrement aux politiques de prévention assurées par nos collectivités, alors même qu'il leur est demandé de participer aux démarches d' « aller-vers ».

Le numérique, l'intelligence artificielle et l'analyse des données permettent des gains de temps, de ressources et de moyens. Ces nouvelles technologies permettent de disposer d'informations qualifiées en temps réel, d'anticiper les dynamiques et de prioriser les actions à mettre en oeuvre à l'échelle d'une population ou d'une partie du territoire. Il apparaît donc indispensable que les règles d'usage de ces nouvelles technologies au service de l'intérêt général soient claires et précises. Cela permettrait leur utilisation au service de tous et des économies tant de temps que de moyens, sans pour autant nuire aux droits de chacun et à la protection des données personnelles.

Par exemple, le cadre juridique de la transmission des données par les collectivités pourrait être précisé et simplifié lorsqu'est faite la preuve qu'elle se fait à des fins d'intérêt général ou participent à la mise en oeuvre de politiques publiques.

À cet égard, la qualité de « société à mission » reconnue aux entreprises garantissant le respect d'engagements sociaux et environnementaux, et se donnant pour objectif de contribuer positivement à la société et à l'environnement, pourrait servir de critère pour faciliter cette transmission des données.

Nous pourrions ainsi imaginer un système dans lequel la collectivité publierait la décision de son assemblée délibérante de transmettre ces données, et dans lequel le tiers bénéficiaire fournirait un rapport sur l'utilisation de ces données. Cela garantirait une transparence et un suivi, parfaits grâce aux contrôles du juge administratif et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

Les nouvelles technologies et l'innovation numérique peuvent permettre une meilleure réalisation de l'action publique et l'atteinte de l'intérêt général, sans nuire aux droits de tous ni à la protection de leurs données. Pour cela, il faut un régime juridique clair, qui pourrait être précisé par un décret.

Il lui demande de préciser le régime dans lequel des collectivités peuvent transmettre à des tiers les données dont elles disposent à des fins d'intérêt général.

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Transmise au Ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation


Réponse du Ministère délégué auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé de la ville publiée le 19/03/2025

Réponse apportée en séance publique le 18/03/2025

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, auteur de la question n° 367, transmise à M. le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.

M. Michel Canévet. Je souhaite interroger le Gouvernement sur les conditions d'utilisation des données dont disposent les collectivités territoriales, et notamment des fichiers de population.

À l'époque de la pandémie de covid-19, il avait été demandé aux collectivités de mettre en oeuvre des actions au plus près de la population, afin d'identifier les personnes les plus fragiles. La situation de ces personnes mérite une attention permanente, car des événements divers surviennent assez régulièrement depuis lors.

La question se pose donc, s'agissant de la mise en oeuvre de politiques publiques, de la capacité des collectivités à y contribuer en sollicitant, le cas échéant, des opérateurs extérieurs. Dans quelles conditions de tels opérateurs pourraient-ils avoir accès à un certain nombre de fichiers dont disposent les communes ?

Je pense en particulier aux listes électorales, qui permettent d'identifier l'essentiel de la population résidant sur un territoire donné : la transmission de telles données pourrait faciliter, à l'avenir, la conduite d'actions de prévention efficaces.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Canévet, vous posez la question de la transmission des données des collectivités à des fins d'intérêt général. Vous demandez quelle garantie nous pouvons avoir que l'usage qui serait fait de telles données serait conforme à cette notion d'intérêt général.

C'est l'un des enjeux, vous le savez, du règlement européen sur la gouvernance des données, applicable depuis septembre 2023. Ce texte vise à créer un cadre juridique facilitant la disponibilité et le partage des données au sein de l'Union européenne.

Le principe de l'altruisme en matière des données est un des piliers du texte : il s'agit de créer des outils fiables et robustes pour faciliter le partage des données, via des organisations de confiance, dans l'intérêt de la société.

La mise en oeuvre de ce principe permettra la création d'espaces de données d'une taille suffisamment importante pour des travaux de recherche scientifique ou d'apprentissage automatique dans des domaines essentiels comme la santé ou la lutte contre le changement climatique.

La communication de listes électorales à des tiers aux fins d'assurer la prévention et la protection des citoyens, sur laquelle vous m'interrogez, relève bien de l'intérêt général, donc de la notion d'altruisme des données.

Nous partageons le principe suivant : les listes électorales n'ont pas vocation à être communiquées pour être valorisées et utilisées à d'autres fins que leur vocation première.

C'est pourquoi l'article L. 37 du code électoral prévoit que les listes soient communiquées seulement si le demandeur s'engage « à ne pas en faire un usage commercial ».

La jurisprudence est très claire à cet égard ; elle a été précisée tant par le juge administratif que par la Commission d'accès aux documents administratifs. Ainsi doivent être considérées comme activités commerciales non seulement la commercialisation des données elles-mêmes, mais aussi leur utilisation dans le cadre d'une activité à but lucratif.

Par conséquent, les collectivités territoriales, saisies d'une demande de communication, disposent de moyens de droit pour s'opposer à une demande qui leur paraît illégitime. Bien plus, en cas de doute, elles peuvent s'appuyer sur les préfectures, qui pourront les éclairer sur le sens de la réponse à apporter à la demande reçue.

Concernant le règlement sur la gouvernance des données, il est d'application directe et donc aujourd'hui en vigueur. La loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique a précisé quelle était l'autorité compétente en matière d'altruisme des données, désignant la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) à cet effet. Cette institution, garante du règlement général sur la protection des données, dispose d'une expérience précieuse en la matière.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.

Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. Dans les prochains mois, le Gouvernement présentera un projet de loi visant à adapter en droit national les dispositions du règlement européen. Soyez assuré, monsieur le sénateur, de notre engagement à poursuivre la construction d'un écosystème national et européen de la donnée.

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.

M. Michel Canévet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.

En ce domaine, il faut que nous avancions, et je suis heureux d'apprendre qu'un projet de loi est en préparation. Il faudra bien intégrer, parmi les dispositions de ce texte, la possibilité pour les acteurs locaux de mener des politiques de prévention dans les territoires.

Il est bien évident qu'une telle faculté de transmission des données doit être encadrée. Le conseil municipal, par exemple, pourrait tout à fait y pourvoir, par le biais d'une délibération portant sur la fourniture à un tiers, en lien avec la conduite d'une politique publique bien identifiée à l'échelle du territoire, de données permettant audit tiers de mener les investigations nécessaires.

Ainsi doterions-nous les collectivités d'un outil permettant d'agir au plus près de nos concitoyens et de leur apporter, à l'échelle locale, des réponses adaptées et cohérentes.

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