Question de M. KERROUCHE Éric (Landes - SER) publiée le 26/12/2024

M. Éric Kerrouche interroge M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice au sujet de l'absence de disposition concernant la situation des personnes étrangères mariées contre leur gré sur le sol français.

Si le législateur français a pris des dispositions qui ont été progressivement durcies, il visait surtout les déplacements à l'étranger pour des mariages non consenties. Plus spécifiquement, l'article 222-14-4 du code pénal prévoit que « le fait, dans le but de contraindre une personne à contracter un mariage ou à conclure une union à l'étranger, d'user à son égard de manoeuvres dolosives afin de la déterminer à quitter le territoire de la République est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ».

Cependant, le cas inverse de mineures étrangères déplacées vers la France a été négligé. Il n'existe en effet pas de disposition similaire pour sanctionner le fait de contraindre des personnes étrangères à venir en France pour y être mariées ou unies. Le législateur a certainement pensé que l'arsenal civil était suffisant en vue de sanctionner à des degrés divers les relations sexuelles avec des mineurs.

Pourtant, cette situation a été récemment illustrée par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 11 mai 2023, n°22-85.425), mettant en cause des transferts de cette nature, organisés depuis la Serbie, pour conclure des unions en France. La qualification de traite des êtres humains ne peut pas toujours être retenue et elle ne l'a pas été en l'espèce. La seule condamnation prononcée l'a été pour détention frauduleuse de faux documents administratifs.

Il souhaite donc savoir si le Gouvernement entend modifier le code pénal en vue de combler cette lacune.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 10/04/2025

La lutte contre les mariages forcés constitue une priorité du ministère de la Justice. Différentes réformes ont, au cours de ces dernières années, contribué à instaurer un dispositif pénal et civil efficace dans la lutte contre les mariages forcés célébrés en France comme à l'étranger, non seulement à titre préventif, avant la célébration, mais également après que le mariage a été contracté. Du point de vue pénal, bien que le fait de contraindre une personne à se marier contre sa volonté sur le territoire national français ne constitue pas une infraction autonome en droit pénal, cet agissement peut toutefois être sanctionné sous la qualification de l'extorsion ou de l'abus de faiblesse suivant la matérialité de la contrainte. De surcroit, si cette contrainte s'exerce sous forme de violences, le mariage forcé peut alors être sanctionné par le biais d'une circonstance aggravante spécifique. En effet, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a érigé en circonstance aggravante des infractions de meurtre, actes de torture ou de barbarie, coups mortels, empoisonnement ou administration de substances nuisibles, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, violences ayant entrainé une mutilation ou une infirmité permanente, violences ayant entrainé des incapacités totales de travail (quelles que soient leur durée : supérieure ou n'excédant pas 8 jours) ou de violences sans incapacité, de commettre les faits : « contre une personne, en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union ou afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union », ou par représailles. Il convient par ailleurs de souligner que si l'existence d'un mariage forcé est établie, les infractions générales de viol et d'agressions sexuelles aggravées par la qualité de conjoint de la victime peuvent trouver à s'appliquer (article 222-22 du code pénal). En outre, la traite des êtres humains dans le cadre des mariages forcés pourra être, in fine, retenue si les conditions prévues par l'article 225-4-1 du code pénal sont réunies. L'arrêt évoqué (Cass. crim., 11 mai 2023, n° 22-85.425) a écarté la qualification de traite des êtres humains en rappelant que celle-ci requiert de démontrer que son auteur doit avoir poursuivi un but particulier, consistant dans la commission contre la victime de l'une des infractions visées par l'article 225- 4- 1 du code pénal, parmi lesquelles ne figure pas le mariage forcé, et que les seules infractions de cette liste susceptible d'être retenues dans cette affaire, à savoir les atteintes ou agressions sexuelles, ne pouvaient être démontrées en l'espèce. Cependant, les mariages forcés devraient être prochainement intégrés à cette liste d'infractions prévues par l'article 225-4-1 du code pénal et qui permettent de caractériser la traite des êtres humains. En effet, cette modification est prévue par la révision de la directive de l'Union européenne relative à la traite des êtres humains (directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes), adoptée le 13 juin 2024, et dont les Etats membres doivent procéder à la transposition avant le 15 juillet 2026. En application de cette modification, l'exploitation requise pour caractériser l'infraction de traite pourra donc désormais consister dans la soumission de la victime à un mariage forcé. Enfin, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a également permis de renforcer l'arsenal législatif existant par la création de trois délits permettant de combattre les examens en vue d'attester de la virginité d'une personne ou d'un mineur. Pour l'ensemble de ces infractions, la loi pénale française s'applique dès lors que l'infraction a été commise sur le territoire français, peu importe la nationalité de l'auteur ou de la victime. Elle trouvera également à s'appliquer pour les faits commis à l'étranger, dès lors que l'auteur est de nationalité française ou que la victime est de nationalité française ou réside habituellement en France pour les infractions de violences prévues par le 6° bis des articles 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal. Les poursuites pourront être engagées par le ministère public contre de tels faits en l'absence de plainte préalable de la victime ou de ses ayants-droits ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où le fait a été commis.

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