Question de M. VALLET Mickaël (Charente-Maritime - SER) publiée le 03/10/2024
M. Mickaël Vallet interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au sujet du détournement des impôts opéré par l'Irlande au détriment du reste des États-membres de l'Union européenne.
Le gouvernement irlandais présente pour la troisième année d'affilée un budget en excédent, de l'ordre de 9 milliards d'euros, soit 3 % du produit intérieur brut (PIB). À l'heure où le Gouvernement français anticipe un déficit public de 6%, ce paradoxal succès paradoxal a de quoi interroger.
Cet excédent n'est pas dû à une bonne gestion du budget public, mais provient des impôts sur les sociétés, essentiellement ceux des multinationales américaines. Les recettes issues de ces impôts ont triplé entre 2019 et 2024, la moitié étant payée par seulement dix entreprises.
Si les multinationales installent leur siège européen en Irlande, c'est en raison de la fiscalité particulière de ce pays qui a fait de son imposition légère le coeur de sa stratégie économique dès les années 1980. L'association Tax Justice Network, une association de lutte contre l'évasion fiscale, estime que les multinationales ont transféré artificiellement vers l'Irlande 130 milliards d'euros en 2021. « De quoi faire perdre 32 milliards de dollars de recettes fiscales aux autres pays de l'Union européenne (UE), dont 3,3 milliards à la France ».
M. le sénateur se demande si le Gouvernement compte agir, à l'heure où nos comptes publics vivent une grave crise, pour entamer des négociations visant à récupérer une partie au moins de ces pertes considérables.
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Transmise au Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique publiée le 03/04/2025
Dans un contexte d'internationalisation et de dématérialisation de l'économie, le Gouvernement est soucieux de garantir le juste niveau d'imposition des grands groupes internationaux en France et met en oeuvre l'ensemble des moyens à sa disposition pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscale internationale. La France est particulièrement impliquée en matière de coopération internationale visant à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. D'une part, le Gouvernement mène depuis plusieurs années une action résolue en participant activement à l'élaboration du projet sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting - BEPS), engagé par le G20 en 2012, et mis en oeuvre par le Cadre inclusif de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Certaines de ces actions visent en particulier à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en prévoyant un cadre de transparence (Action 5), à empêcher l'utilisation abusive des conventions fiscales internationales (Action 6) ou encore à favoriser l'alignement des prix de transfert avec le lieu de création de valeur (Actions 8, 9 et 10). D'autre part, dans la continuité du projet BEPS et dans un souci de répondre aux défis fiscaux soulevés par l'économie numérique, la France prend part aux différents travaux organisés par l'OCDE pour mener à bien la solution à deux piliers qui a fait l'objet le 8 octobre 2021 d'un accord historique soutenu par 137 États et juridictions représentant plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. La France est en effet engagée en particulier dans la mise en place du Pilier 2 de l'OCDE (ou règles « GloBE »), harmonisé à l'échelle européenne par la directive (UE) 2022/2523, adoptée grâce à l'impulsion de la France lors de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier trimestre 2022, qui vise à assurer une imposition minimale des grandes entreprises multinationales réalisant un chiffre d'affaires consolidé égal ou supérieur à 750 Meuros dans les États et territoires où ils exercent leur activité. Ce dispositif permettra de neutraliser une part significative des avantages tirés du transfert de bénéfices vers des États à imposition faible y compris à l'intérieur des frontières européennes et protégera les bases d'imposition des États qui les appliqueront. Dans l'Union européenne, l'application de ces règles est obligatoire. La France a transposé ces règles dans le cadre de la loi de finances pour 2024, et certaines précisions apportées par l'OCDE font l'objet de nouvelles dispositions soumises au Parlement dans le cadre des discussions budgétaires du projet de loi de finances pour 2025. L'Irlande, en tant qu'État membre de l'Union, a également transposé les règles GloBE dans sa législation interne, ce qui conduit à neutraliser une partie de la concurrence fiscale que vous dénoncez pour les grands groupes multinationaux depuis le début de l'année 2024. Pour exemple, outre des règles d'assiette désormais unifiées, son taux d'impôt sur les sociétés est passé de 12,5 % à 15 % pour répondre au nouveau cadre commun international. Enfin, la mise en oeuvre effective de ces nouvelles règles sera contrôlée tant au niveau de l'Union européenne qu'au sein de l'OCDE par les États et ce, qu'il s'agisse de l'existence du cadre légal ou de l'effectivité des règles. De la même manière, la France participe activement aux travaux sur le pilier 1, qui vise à réallouer les droits d'imposer les multinationales les plus profitables, notamment les entreprises du numérique, au profit des États de consommation. La publication le 11 octobre 2023 d'une convention multilatérale sur ce pilier récompense à cet égard les travaux soutenus par la France dans ce domaine. La France reste pleinement engagée auprès du Cadre inclusif OCDE/G20 pour résoudre les derniers points de désaccord, de façon à permettre l'entrée en application de cette solution multilatérale le plus tôt possible. Au demeurant, la France a été la première nation au monde à introduire en 2019 une taxe sur les services numériques dont l'objectif consiste également à taxer les entreprises dans les différents pays de consommation. Il n'en demeure pas moins que des progrès peuvent encore être faits afin de mettre fin à la planification fiscale agressive et de s'assurer d'une saine concurrence fiscale en Europe. L'administration fiscale met par ailleurs en oeuvre une stratégie offensive de contrôle contre la fraude fiscale grave et complexe en faisant usage des dispositifs juridiques à sa disposition. Elle utilise en particulier la procédure d'abus de droit (article L. 64 du livre des procédures fiscales), les dispositifs anti-abus spécifiques (tels que ceux prévus aux articles 209 B, 212, 238 A du code général des impôts), ou le contrôle des prix de transfert (article 57 du code général des impôts). La part des opérations de contrôle en fiscalité internationale est en augmentation constante depuis plusieurs années, ce qui atteste de l'implication des services de contrôle dans ce domaine. L'administration fiscale met également à profit les instruments internationaux à sa disposition, comme les contrôles multilatéraux menés en étroite collaboration avec les administrations fiscales d'autres États membres de l'Union européenne. Elle s'appuie également sur des demandes d'assistance administrative internationale, facilitées par un réseau conventionnel dense et rénové, et par le déploiement de la convention multilatérale de l'OCDE concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale.
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