Question de M. GAY Fabien (Seine-Saint-Denis - CRCE) publiée le 27/10/2022
M. Fabien Gay attire l'attention de Mme la ministre de la transition énergétique sur le risque d'une revente sur le marché des quotas d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) dont bénéficie la société MINT Énergie.
La société MINT Énergie a publié récemment son bilan semestriel ; celle-ci affiche un chiffre d'affaires en hausse de 63 % au 1er semestre 2022. La reprise du portefeuille de clients de Planète OUI est présentée comme un facteur explicatif de cette hausse, au même titre que les « revalorisations tarifaires indispensables pour faire face à la hausse des prix d'achat de l'énergie ».
Or, il semblerait, à la lecture de ce même bilan semestriel, que MINT Energie a revendu 6,2 millions d'euros d'ARENH à EDF. En outre, la société aurait procédé à des « revalorisations tarifaires indispensables » et, dans le même temps, acheté des quotas d'ARENH à 46,5 euros/MWh pour les revendre à 257 euros/MWh sur le marché libre. Le tout, en les revendant directement à EDF elle-même.
Les faits reprochés, s'ils étaient avérés, seraient d'autant plus graves au regard des 12 millions d'euros d'aides publiques reçus par MINT Energie pour compenser la mise en place du gel tarifaire des tarifs réglementés de vente. La société a par ailleurs bénéficié de deux prêts garantis par l'État, l'un à hauteur de 8,7 millions d'euros, l'autre de 5,1 millions d'euros.
La situation paraît particulièrement éloquente sur les dérives issues du mécanisme de l'ARENH. Elle décrit un circuit d'abus, dans lequel des quotas d'ARENH censés protéger les consommateurs et consommatrices de l'inflation deviennent un outil spéculatif au service d'opérations de trading.
Par ailleurs, des soupçons pèsent également sur un potentiel abus de MINT Energie lié à la méthodologie de calcul qui prévaut lors de l'attribution de quotas annuels d'ARENH, qui repose sur la base du nombre de clients en heures creuses, les week-ends et jours fériés, et ce, particulièrement sur les mois de juillet et août.
Ce système encourage certains fournisseurs alternatifs à faire en sorte d'avoir le plus de clients possibles durant l'été, pour obtenir un quota d'ARENH avantageux ; puis, une fois l'automne arrivé, à dissuader ces clients de rester pour ne pas écouler l'intégralité du quota. Cette technique peu scrupuleuse leur permet alors de revendre au prix du marché la part du quota qu'ils n'ont pas écoulée et qu'ils ont obtenue à 46e/MWh.
Au regard de cette méthode malheureusement répandue parmi les fournisseurs alternatifs, il apparaît étonnamment opportun que MINT Energie ait adressé un courrier à ses clients les informant d'une hausse des tarifs en vigueur dès le 1er octobre 2022, et les incitant vivement à plutôt souscrire un contrat chez EDF.
Il souhaite ainsi savoir si, dans le cas où les faits seraient avérés, la société MINT Energie sera tenue de restituer toutes les aides publiques qu'elle a perçues. Il se demande également si la société pourra toujours bénéficier de quotas d'ARENH et quels moyens de prévention et de sanctions seront mis en oeuvre pour empêcher tout abus de la méthodologie de calcul d'attribution de ces quotas.
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Réponse du Ministère de la transition énergétique publiée le 03/08/2023
S'agissant de l'ARENH octroyé aux fournisseurs alternatifs, le dispositif est construit de manière à ce que les quantités d'ARENH servent à l'approvisionnement du portefeuille de consommateurs des fournisseurs qui en bénéficient : à cet effet, un complément de prix permet de capter a posteriori les bénéfices qu'un fournisseur aurait pu réaliser en revendant sur les marchés ses quantités d'ARENH excédentaires par rapport aux besoins de ses clients et de pénaliser les fournisseurs effectuant une demande excessive. Dans sa délibération du 29 juin dernier, la CRE a ainsi observé que le niveau de demande d'ARENH excédentaire s'élevait à 5,6% de la demande totale, soit 9 TWh et représentait un montant total à reverser de 1,6 Md. Ce montant financier s'explique tant par le volume plus important que par les niveaux de prix plus élevés que les années précédentes. D'une certaine manière les fournisseurs n'ont donc pas prédit correctement l'ampleur de la baisse de la consommation d'électricité constatée en 2022 et cela a été neutralisé par le complément de prix. Par ailleurs, pour éviter que certains fournisseurs fassent des demandes d'ARENH qui ne correspondraient pas à des besoins pour l'approvisionnement de leurs clients, les pouvoirs de la CRE ont été renforcés récemment à l'initiative de la ministre de la Transition énergétique. D'une part, le décret n° 2022-1380 du 29 octobre 2022 modifiant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique vise à donner à la Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans le cadre de son contrôle ex-ante sur le niveau de demande des fournisseurs, la capacité de le corriger s'il s'avère que celui-ci est manifestement excessif par rapport au portefeuille du fournisseur ou à ses possibilités de croissance de portefeuille. En effet, depuis 2019, la somme des volumes d'ARENH demandés dépasse le volume d'ARENH maximal pouvant être cédé par EDF, occasionnant un phénomène de rationnement des droits à l'ARENH des consommateurs français. Ce phénomène s'est accentué depuis, et est de nature à rendre le prix des offres de fourniture d'électricité de plus en plus dépendant des fluctuations du marché de gros de l'électricité. Dans ces conditions, ce décret a pour objectif de s'assurer que les volumes d'ARENH bénéficient au mieux aux consommateurs, et d'éviter au maximum que des volumes d'ARENH soient alloués à des fournisseurs dont la demande d'ARENH ne serait pas motivée par l'approvisionnement d'un portefeuille de consommateurs, mais par la perspective de revente sur les marchés de volumes achetés à prix règlementé bien inférieur. Utilisant les nouveaux pouvoirs conférés par ce décret du 29 octobre 2022, la CRE a corrigé les demandes de 14 fournisseurs lors du guichet pour l'année 2023 arrivant à un retraitement de 0,56 TWh (pour 148,9 TWh demandés initialement). D'autre part, l'article 181 de la loi de finances pour 2023 a étendu les pouvoirs de la CRE en lui permettant de suspendre tout ou partie des livraisons des volumes d'ARENH si ces volumes sont manifestement trop éloignés des volumes en portefeuille du fournisseur ou si le maintien de l'activité de ce dernier devient trop incertain. Précisément, la loi dispose désormais que « lorsqu'un fournisseur connaît des difficultés de nature à compromettre la poursuite de son activité ou lorsque les volumes d'électricité effectivement fournis par ce fournisseur sont manifestement inférieurs aux hypothèses de consommation communiquées dans sa demande, y compris pendant les heures ne servant pas à la détermination des droits théoriques, sans que cette circonstance soit justifiée par des motifs extérieurs au comportement de ce fournisseur, le président de la Commission de régulation de l'énergie peut, à tout moment, saisir en urgence le comité de règlement des différends et des sanctions d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'interruption de tout ou partie de la livraison des volumes d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique à ce fournisseur, pour une durée qui ne peut excéder celle de la période de livraison en cours ». Enfin, en cas d'abus avéré dans l'utilisation de l'ARENH, les fournisseurs indélicats s'exposent à des sanctions prononcées par le Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS), organe indépendant de la CRE, qui a le pouvoir de sanctionner notamment tout abus de droit d'ARENH ou d'entrave à l'exercice de ce droit. Le CoRDiS peut prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 8 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos du fournisseur. Le CoRDiS peut également prononcer une interdiction temporaire, pour une durée n'excédant pas un an, de l'accès aux réseaux. A l'été 2023, la ministre de la Transition énergétique a interpellé la CRE pour lui demander d'avoir une vigilance particulière du risque d'abus d'Arenh. La Commission de régulation de l'énergie a indiqué fin 2022 que certains fournisseurs faisaient l'objet d'investigations, en particulier s'agissant d'agissements susceptibles de constituer un abus d'ARENH (cf. communiqué de presse du 9 septembre 2022). De même la CRE a relevé dans sa délibération du 29 juin dernier qu'une fraction du volume de sur-demande d'Arenh en 2022 résultait de certains comportements individuels susceptibles de constituer un manquement d'abus d'ARENH au sens de l'article L.134-26 du code de l'énergie, qui fait le cas échéant l'objet d'une enquête de la CRE.
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