Question de M. GREMILLET Daniel (Vosges - Les Républicains) publiée le 21/07/2022
M. Daniel Gremillet interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur l'application de la récente évolution législative de la notion de prise illégale d'intérêt.
À la suite de la sévérité de son application par la jurisprudence, l'assouplissement de la notion de délit de prise illégale d'intérêts, prévu et réprimé par l'article 432-12 du code pénal, était espéré au sein des assemblées territoriales.
Déjà initié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance en l'institution judiciaire, il a connu son aboutissement avec l'article 217 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale dite « 3DS », avec la mise en place d'un régime protecteur contre les risques liés au délit pour les représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements au sein des organes d'une personne morale auxquels celles-ci participent en application de la loi.
Aujourd'hui, la présomption simple d'absence d'intérêt délictueux est le principe posé. Ainsi, dorénavant, le simple fait de participer aux instances d'un organisme en qualité de représentants de leur collectivité, ne fait pas des élus des représentants « intéressés à l'affaire », au sens de l'article 432-12 du code pénal. Néanmoins, il n'est pas exclu qu'un représentant puisse se trouver en situation de conflit d'intérêts au regard de l'article 432-12 du fait d'autres éléments que sa seule participation à ces instances, par exemple, en cas de prise d'intérêts personnels pouvant être étrangers, voire contraires à ceux de sa collectivité ou de l'organisme.
Si, désormais, être à la fois représentant d'une collectivité et membre des instances d'un organisme auquel cette collectivité participe ne suffit plus à caractériser le délit de l'article 432-12, il existe, néanmoins, des exceptions à la protection instaurée. En outre, ceci se traduit par l'interdiction pour les représentants de participer à certaines décisions telles que celles attribuant à la personne morale un contrat de la commande publique, une garantie d'emprunt ou encore celle portant sur leur désignation ou leur rémunération au sein de la personne morale concernée ou encore aux commissions d'appel d'offres ou aux commissions de délégations de services publics lorsque la personne morale concernée est candidate.
Si en théorie, l'application de cette évolution législative, à juste titre attendue et saluée, tend vers une simplification et une transparence, dès lors que le représentant n'est plus protégé par la « présomption de non intérêt porté à l'affaire posée », il doit se déporter en s'abstenant de siéger ou de participer aux délibérations, par vote ou présence aux débats, il n'en demeure pas moins que certaines questions quant à l'attitude que l'élu local doit adopter demeurent. En outre, si un élu municipal, investi par exemple dans une association sportive ou culturelle, siège au sein du comité directeur, soit à titre personnel, soit en qualité de représentant d'une commune, l'élu peut-il participer aux délibérations allouant une subvention ? Par ailleurs, dans le cas d'un élu municipal potentiellement concerné par le vote d'une délibération, cet élu doit-il ne pas participer au vote de la subvention, doit-il quitter la séance avant le début de l'examen du point concerné et doit-il s'abstenir de participer aux rapports, études ou travaux préparatoires de la délibération en question ?
Aussi, il demande au Gouvernement de bien vouloir lui indiquer quelle attitude le représentant de la collectivité territoriale concernée doit adopter.
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Transmise au Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité
Réponse du Ministère auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité publiée le 24/08/2023
L'article 217 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi dite « 3DS ») est venu clarifier les situations dans lesquelles les élus locaux doivent se déporter lors des délibérations et des prises de décision des organes dans lesquels ils siègent, afin de prévenir les situations de conflits d'intérêts. Figurent notamment parmi les cas de déport obligatoire les délibérations ou décisions attribuant une aide revêtant la forme d'une subvention. Toutefois, il convient de noter que ces nouvelles dispositions s'appliquent aux seuls élus représentant leur collectivité ou groupement auprès d'une autre personne morale en application de la loi. Ainsi, sauf disposition législative prévoyant une telle désignation, la participation d'un élu municipal aux délibérations de sa collectivité attribuant une subvention à une association ne s'inscrit pas dans ce cadre. En tout état de cause, les élus doivent se déporter dans le cas d'une situation manifeste d'interférence entre intérêts publics ou entre intérêts publics et privés, de nature à compromettre leur impartialité, leur indépendance ou leur objectivité dans leurs fonctions (aux termes de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et de l'article 432-12 du code pénal). Le non-respect de cette obligation est susceptible de fonder, d'une part, la qualification pénale de prise illégale d'intérêts et, d'autre part, l'illégalité de la délibération. S'agissant du délit de prise illégale d'intérêts, celui-ci est constitué, aux termes de l'article 432-12 du code pénal, par « le fait, par une personne [ ] investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». La Cour de cassation a ainsi jugé que des élus municipaux qui avaient participé aux votes ou aux délibérations concernant les subventions allouées par la commune aux associations qu'ils président s'étaient rendus coupables de prise illégale d'intérêts, alors même qu'ils n'en avaient retiré aucun bénéfice et que la collectivité n'avait souffert d'aucun préjudice. Le juge a en effet considéré que les élus municipaux sont soumis à l'obligation de veiller à la parfaite neutralité des décisions d'attribution des subventions à ces associations (Cour de cassation, chambre criminelle, 22 octobre 2008, req. n° 08-82.068). En outre, il a été jugé que la participation, même exclusive de tout vote, d'un conseiller d'une collectivité territoriale à un organe délibérant d'une association, lorsque la délibération porte sur une affaire dans laquelle il a un intérêt, vaut surveillance ou administration de l'opération au sens de l'article 432-12 du code pénal (Cour de cassation, chambre criminelle, 9 février 2011, req. n° 10-82988). Le délit de prise illégale d'intérêts peut être constitué lorsque l'élu participe aux seules étapes du processus de décision (Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2018, req. n° 17-81.912) ou à une réunion informelle (Cour de cassation, chambre criminelle, 20 janvier 2021, req. n° 19-86.702). Au regard de ce risque pénal, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique invite, dans son guide déontologique, les élus à se déporter de toute décision relative aux associations où ils exercent des fonctions, même à titre bénévole, en tant que représentant de la collectivité, « notamment les décisions leur octroyant des subventions et portant sur les contrats susceptibles d'être conclus avec elles » (Guide déontologique II, Contrôle et prévention des conflits d'intérêts). S'agissant par ailleurs du risque d'annulation de la délibération, l'article L. 2131-11 du CGCT dispose que « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ». La jurisprudence administrative retient l'illégalité de la délibération si l'élu intéressé à l'affaire a un intérêt qui ne se confond pas avec ceux de la généralité des habitants (Conseil d'État, 1er juillet 2019, req. n° 410714) et, de manière cumulative, s'il a été en mesure d'exercer une influence sur la délibération (Conseil d'État, 12 octobre 2016, req. n° 387308). Ainsi, le Conseil d'État a jugé que les conseillers municipaux, président et membres du conseil d'administration d'une association gérant une maison de retraite, ont intérêt à l'affaire et que leur participation entache d'illégalité les délibérations accordant des garanties d'emprunt à l'association (Conseil d'État, 9 juillet 2003, req. n° 248344). Par ailleurs, la participation de l'élu intéressé, même exclusive de tout vote, aux travaux préparatoires et aux débats précédant l'adoption d'une délibération est susceptible de vicier sa légalité, si le conseiller municipal intéressé a été en mesure d'exercer une influence sur la délibération (Conseil d'État, 12 octobre 2016, req. n° 388232). À ainsi été jugée illégale une délibération prise par la commune sur le rapport de l'élu intéressé, qui a également présidé la séance et pris part activement aux débats, exerçant ainsi une influence sur cette décision (Cour administrative d'appel de Lyon, 29 avril 2021, req. n° 19LY02640). De manière générale, afin d'éviter tout risque pénal ou d'annulation, et sous réserve de l'appréciation souveraine du juge, il appartient aux élus intéressés à une affaire de s'abstenir d'intervenir dans les travaux préparatoires de la délibération.
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