Question de M. GILLÉ Hervé (Gironde - SER) publiée le 21/07/2022

M. Hervé Gillé attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur la question de la prise illégale d'intérêt.

Les associations d'élus (association des maires de France, régions de France, départements de France, France urbaine et intercommunalités de France) s'inquiètent d'une législation qui complexifie et insécurise les élus.
La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dite 3DS) et la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire modifient toutes deux les règles encadrant les délits concernant la prise illégale d'intérêt. Pour autant, selon les associations représentatives, ces modifications à la marge ne résolvent rien des situations complexes que vivent les élus locaux qui exercent leurs mandats dans des conditions de plus en plus difficiles.
En cause, la redéfinition de la notion d'intérêt donnée par la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire est jugée encore trop large. La loi 3DS, quant à elle, tente de limiter les situations de déport de vote. Pour autant, les exceptions restent encore trop nombreuses. Cette ambiguïté ouvre le fait de créer par oubli des conséquences lourdes juridiques.

Durant leurs mandats, les élus se font régulièrement confier des délégations en fonction de leurs relations et leurs investissements avec des organismes extérieurs. L'inverse est vrai. En raison des délégations dont ils sont en charge, les élus peuvent être désignés dans des organismes extérieurs. Leur légitimité et leurs expertises s'appuient d'ailleurs sur leurs différents engagements qui s'établissent dans le cadre des collectivités et intercommunalités, mais également en dehors.

Or, ces élus, au risque de se retrouver dans des situations de prise illégale d'intérêt, ne peuvent alors plus participer aux délibérations liées à leurs délégations en raison de leur implication dans ces organismes extérieurs.

L'ambiguïté autour de cette notion et les risques pénaux encourus contraignent les élus à se déporter des votes. En conséquence, le fonctionnement des assemblées est altéré et le risque de ne pas obtenir le quorum est plus important.

Les élus attendent une évolution de la loi allant vers une clarification qui permettra de les sécuriser en leur permettant d'exercer au mieux leurs responsabilités.
Ainsi, il lui demande s'il prévoit de recevoir en audience les présidents des associations d'élus comme ils le lui ont demandé, mais également si une clarification de la notion de prise illégale d'intérêt est prévue, via les décrets d'application de l'article 73 de la loi 3DS ou via un autre procédé législatif.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/09/2023

Le délit de prise illégale d'intérêts est défini à l'article 432-12 du code pénal. Cet article punit de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction, « le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». La définition du délit de prise illégale d'intérêts a fait l'objet de deux modifications législatives récentes. D'une part, l'article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire a précisé la notion d'intérêt. L'intérêt n'est plus défini comme « quelconque » mais comme un intérêt « de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité » du décideur public. Sous réserve de l'interprétation qu'en feront les juridictions, cette modification n'a pas pour effet d'étendre le champ du délit de prise illégale d'intérêts. Elle permet en revanche de mieux rendre compte des objectifs poursuivis par le délit de prise illégale d'intérêt, en particulier d'éviter de jeter la suspicion sur l'impartialité des décideurs publics dans l'exercice de leurs prérogatives. D'autre part, la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique, a prévu expressément que les élus ne sont pas considérés, du seul fait de leur désignation au sein de l'organe décisionnel d'une autre personne morale en application de la loi, comme ayant un intérêt au sens de l'article 432-12 du code pénal lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant cette personne morale. Le législateur a maintenu certaines exceptions à ces dérogations lorsque le conflit d'intérêt apparaît trop fort, en particulier lorsqu'il s'agit de décisions de nature financière. C'est le cas de la participation aux commissions d'appel d'offre, aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, une garantie d'emprunt ou une subvention, ou encore aux délibérations portant sur la désignation ou la rémunération des élus. Afin de prévenir d'éventuels blocages des organes délibérants, le législateur a également adapté les règles de quorum applicables pour les conseils municipaux en cas de déport obligatoire (article L. 2131-11 du code général des collectivités territoriales). Le Gouvernement n'ignore pas les inquiétudes exprimées par les associations d'élus sur l'application du délit de prise illégale d'intérêt. Il a mis en place plusieurs actions afin d'y répondre. En premier lieu, un groupe de travail comprenant les associations d'élus, le ministère de la justice et le ministère délégué chargé des collectivités territoriales a été initié en septembre 2022. Il s'est déjà réuni à trois reprises. Ces réunions ont permis d'instaurer un cadre d'échanges entre les associations d'élus, le Gouvernement et l'administration afin de comprendre les difficultés rencontrées par les élus et d'y répondre de manière adaptée. En second lieu, le Gouvernement développe actuellement des outils (fiches pratiques, circulaires) destinées à préciser le champ et la portée du délit de prise illégale d'intérêts afin de sécuriser les élus dans leur travail quotidien et de leur permettre de mieux appréhender les risques pénaux.

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