Question de Mme DUMAS Catherine (Paris - Les Républicains) publiée le 14/07/2022
Mme Catherine Dumas attire l'attention de M. le Garde des sceaux, ministre de la justice sur l'absence de disposition législative autorisant les adhérents d'une association à protéger celle-ci des agissements parfois fautifs de leurs dirigeants, par la voie de l'action ut singuli. Dans les sociétés, l'action sociale ut singuli désigne la possibilité, pour tout associé, d'agir en justice pour demander, au nom du groupement et en faveur du groupement, la réparation du préjudice qui aurait été causé à ce dernier par les fautes de gestion de ses dirigeants. Le principe de l'action ut singuli a été consacré par le législateur (en 1966 pour les sociétés commerciales et en 1988 pour les sociétés civiles et l'ensemble des sociétés), bien après leur consécration jurisprudentielle (2e moitié du XIXe siècle). Toutefois aucune disposition de cette nature n'existe en matière associative. En conséquence les tribunaux, en l'absence de texte spécifique, déclarent systématiquement l'irrecevabilité d'une telle action. Il existe en France près de 1,2 million d'associations. Un dixième d'entre elles emploient 2,2 millions de salariés. Parmi celles-ci, certaines ont en charge des missions de service public, ont en gestion des centaines de millions d'euros ou encore disposent de monopoles sur certaines activités économiques. En cela elles s'apparentent manifestement à de véritables sociétés. Pourtant, en cas de préjudices subis par l'association du fait de fautes commises par leurs dirigeants, rien n'est prévu pour permettre leur mise en cause. Il est en effet peu envisageable que le dirigeant, seul à même statutairement d'ester en justice au nom de l'association, n'engage des poursuites contre lui-même. La possibilité d'obtenir la révocation de ces derniers en assemblée ne permettant pas de réparer le préjudice causé par des gestions défaillantes n'est même pas effectivement garantie, tant il est éprouvé que de mauvaises gouvernances peuvent être soutenues par des majoritaires au détriment de l'intérêt et de la finalité du groupement. Ainsi, en raison de la carence législative existante en matière d'action ut singuli, les adhérents et sociétaires se trouvent dans l'impossibilité de défendre l'intérêt social. Il en ressort une véritable impunité des dirigeants d'association qui paraît peu compatible avec notre état de droit. Une réforme législative paraît donc indispensable pour permettre aux adhérents d'une association de pallier les carences des dirigeants et transposer les dispositions existantes en matière de sociétés aux associations les plus importantes.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 02/03/2023
Les dirigeants d'association peuvent engager leur responsabilité civile en cas de préjudice subi par l'association du fait de fautes commises par ceux-ci. A l'égard de l'association, cette responsabilité est de nature contractuelle en raison de la qualité de mandataire du dirigeant et est donc fondée sur les articles 1991 et suivants du code civil. Ainsi, elle est susceptible d'être recherchée lorsque les dirigeants ont commis une faute de gestion dans l'exercice de leurs attributions, à l'origine d'un préjudice pour l'association. L'article 1992 alinéa 1er du code civil dispose d'ailleurs que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu'il commet dans sa gestion ». Toutefois, cette responsabilité est atténuée en application de l'article 1992 alinéa 2 du même code qui indique que « la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu'à celui qui reçoit un salaire ». Les juridictions prennent en compte l'exercice à titre gratuit du mandat par le mandataire (Civ. 1ère, 14 juin 2000, n° 98-17.752). Par ailleurs, le fait que l'action en responsabilité ne puisse être exercée que par une personne habilitée à agir au nom de la personne morale, c'est-à-dire, soit le dirigeant fautif lui-même, soit un autre dirigeant, restreint la possibilité de voir engagée la responsabilité de ce dirigeant. De plus, le quitus voté en assemblée générale empêche ultérieurement toute action en responsabilité contre le dirigeant de l'association, ce qui constitue une nouvelle limite. En droit des sociétés, une telle situation peut être évitée par l'action ut singuli prévue à l'article 1843-5 du code civil. Il s'agit d'une action sociale exercée à titre individuel par les associés d'une société, au nom et pour le compte de la société, en réparation d'un préjudice causé à la seule société par un agissement fautif des dirigeants. Cette action n'existe pas dans le droit associatif. La Cour de cassation a d'ailleurs affirmé que les sociétaires n'avaient pas qualité pour agir au nom de l'association dont ils sont membres (Civ 1ère, 13 févr.1979, n° 77-15.851 ; cass. com., 3 mars 2004, n° 02-10.484). En outre, dans un arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de cassation a considéré que l'article 1843-5 alinéa 1er du code civil, qui réserve la possibilité d'exercer l'action ut singuli aux seuls membres de sociétés, ne porte pas atteinte au principe d'égalité, dès lors que société et association revêtent des réalités différentes. Ainsi, si une société est instituée en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter, l'association, quant à elle, poursuit un autre but que celui de partager des bénéfices ou de réaliser une économie. Par ailleurs, la Cour de cassation affirme que l'absence d'action ut singuli au bénéficie des associations ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, dès lors qu'elle ne les prive pas de la possibilité d'agir en justice contre ses anciens dirigeants par l'intermédiaire de ses nouveaux représentants, pouvant alors exercer l'action ut universi. De plus, en cas de carence des dirigeants de l'association, les membres de celle-ci peuvent obtenir la désignation d'un administrateur ad hoc chargé de la représenter. Cet administrateur ad hoc pourra dès lors agir en responsabilité à l'encontre des dirigeants fautifs et obtenir réparation du préjudice subi par l'association. Les membres de celle-ci peuvent également agir en réparation de leur préjudice individuel distinct de celui de l'association (rejet QPC, Civ. 3ème, 7 juillet 2022, n° 22-10.447). Enfin, en vertu du principe de la liberté contractuelle, les statuts de l'association peuvent déterminer librement les personnes habilitées à représenter l'association en justice. Les statuts peuvent ainsi permettre à d'autres personnes que les dirigeants d'agir au nom de l'association, ce qui ouvre la voie à une action en responsabilité à l'encontre du dirigeant fautif à l'initiative de ces derniers.
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