Question de Mme BORCHIO FONTIMP Alexandra (Alpes-Maritimes - Les Républicains) publiée le 14/07/2022

Mme Alexandra Borchio Fontimp interroge Mme la ministre de la culture quant à la protection culinaire des recettes de cuisine.

La gastronomie française occupe une place importante dans le rayonnement de notre pays à l'international, faisant de cette histoire, de cette créativité et de ce savoir-faire culinaires l'une des plus grandes fiertés des françaises et français. En effet, les recettes de cuisine démontrent la diversité et la richesse françaises et devraient être protégées au même titre que les créations picturales ou encore musicales. Toutefois, les textes juridiques ne semblent pas encadrer la protection des recettes culinaires par un système adéquat et adapté. Les victimes de cette absence de protection sont nombreuses (clients, cuisiniers, restaurateurs, etc.) et les conséquences non négligeables, engendrant notamment un détournement des recettes traditionnelles ou une récupération des recettes créatives au profit de concurrents peu scrupuleux.

Il est ainsi regrettable que certains industriels de l'agro-alimentaire, qui ne représentent certes qu'une petite minorité mais qui s'avère toutefois nuisible, utilisent notamment le nom d'une recette culinaire régionale connue tout en détournant sa composition.

L'appât du gain ne doit pas éteindre la beauté de la cuisine française et l'impérieuse nécessité d'en préserver toutes les singularités.

Bien que le juge accorde que les « recettes de cuisine peuvent être protégées dans leur expression littéraire », il reste fermé à leur protection en précisant qu'elles ne peuvent en aucun cas bénéficier des droits d'auteur car elles ne « constituent pas en elles-mêmes une œuvre de l'esprit ». En d'autres termes, si la rédaction est empreinte d'originalité, son auteur pourra en demander la protection mais le contenu de cette recette lui en sera exclu.

Une telle situation ne peut perdurer et de nombreux représentants des métiers de bouche réclament légitimement qu'une réflexion soit menée dans le domaine et que des avancées législatives soient proposées.

Protéger notre patrimoine culinaire, dans ses spécificités et pour sa qualité reconnue par toutes et tous, est un devoir qui désormais s'impose sans commune mesure. La sauvegarde et la transmission de nos recettes culinaires traditionnelles régionales et innovantes ne peut être résiduelle et diffuse, elle doit aujourd'hui s'ancrer dans un dispositif juridique clair, précis et efficient.

Elle souhaite connaitre les pistes envisagées par le Gouvernement pour garantir une véritable protection aux diverses recettes culinaires présentes et à venir dans chacun de nos territoires.

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Réponse du Ministère de la culture publiée le 15/09/2022

Le droit d'auteur n'a pas vocation à protéger, de manière abstraite, les idées, concepts ou méthodes, mais à s'appliquer à une œuvre caractérisée par une forme originale et concrète. Pour déterminer si une création peut bénéficier de la protection conférée au titre du droit d'auteur, il convient tout d'abord de déterminer si elle peut être considérée comme une œuvre, c'est-à-dire un objet qui est original en ce sens qu'il est une création intellectuelle propre à son auteur. À cet égard, la seule circonstance qu'une création ait requis un travail et un savoir-faire significatifs de son auteur ne saurait, comme tel, justifier sa protection par le droit d'auteur. Pour bénéficier d'une protection par le droit d'auteur, une œuvre doit également pouvoir faire l'objet d'une description précise et objective. La sécurité juridique implique en effet d'écarter tout élément de subjectivité dans le processus d'identification de l'œuvre susceptible de fonder une action en contrefaçon. Considérant que l'identification de la saveur d'un produit alimentaire repose essentiellement sur des sensations et des expériences gustatives subjectives et variables, la Cour de justice de l'Union européenne s'est opposée à sa protection par le droit d'auteur (CJUE, 13 novembre 2018, C-310/17, Levola). Les juridictions françaises ont de même eu l'occasion de juger à plusieurs reprises que si les recettes de cuisine peuvent être protégées dans leur expression littéraire, elles ne constituent pas en elles-mêmes une œuvre de l'esprit. Elles s'analysent comme une succession d'instructions et reposent sur un savoir-faire, lequel n'est pas protégeable par le droit d'auteur (TGI de Paris, 30 septembre 1997). Si au regard de la jurisprudence actuelle les recettes de cuisine n'apparaissent pas en elles-mêmes protégeables par le droit d'auteur, le dispositif législatif français ne leur dénie pas pour autant toute protection. Celle-ci peut notamment s'envisager en considération de leur forme écrite ou visuelle. Sous réserve de satisfaire à la condition d'originalité, les ouvrages de recettes culinaires, la présentation visuelle de recette ou du plat qui en découle sont ainsi éligibles à la protection du droit d'auteur. Au-delà du droit d'auteur, les signes et logos officiels issus de la réglementation en vigueur contribuent également à la protection du savoir-faire culinaire des terroirs français. C'est notamment le cas du label « spécialité traditionnelle garantie » établi dans l'Union européenne pour sauvegarder les méthodes de production et recettes traditionnelles en aidant les producteurs de produits traditionnels à les commercialiser et à communiquer aux consommateurs les propriétés conférant une valeur ajoutée à leurs recettes et produits traditionnels. En France, la spécialité savoyarde à base de fromages, le Berthoud, a ainsi pu accéder à ce label en 2020. D'autres mécanismes de protection, dont celui du secret des affaires, encadré par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, paraissent enfin pouvoir être invoqués.

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