Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SER) publiée le 14/07/2022
M. Jean-Pierre Sueur appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les termes de la législation française sur la « compétence universelle » qui limitent les poursuites par les magistrats français des criminels de guerre. Il lui demande à nouveau quelles dispositions il compte prendre à cet égard. Il lui rappelle, en outre, que dans l'état actuel des choses, il ne peut pas y avoir de procès en l'absence des accusés. Or, le tribunal spécial pour le Liban (TSL) a fait un premier pas en ajoutant dans son statut le procès par défaut, c'est-à-dire la possibilité de juger les accusés en leur absence. Eu égard à l'actualité internationale et aux drames qui se déroulent présentement, il lui demande quelle est sa position à cet égard et quelles initiatives la France compte prendre, le cas échéant, afin de faire avancer une réforme de la Cour pénale internationale qui permettrait la tenue de procès par défaut.
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Réponse du Ministère de la justice publiée le 29/12/2022
La France dispose d'une compétence quasi-universelle en matière de crimes de guerre, instaurée par l'article 689-11 du code de procédure pénale. Les juridictions françaises peuvent ainsi poursuivre et juger une personne soupçonnée de tels crimes, dès lors, notamment, qu'elle réside habituellement sur le territoire de la République française, et que ces faits sont punis par l'Etat du lieu de commission des faits, sauf si cet Etat ou l'Etat de nationalité du mis en cause est partie au statut de la Cour pénale internationale (condition de double incrimination). Ces conditions visent à assurer un équilibre entre d'une part, la nécessaire répression d'infractions particulièrement graves affectant la communauté internationale, et d'autre part, la sauvegarde des intérêts nationaux et le respect de grands principes du droit international. Par arrêt du 24 novembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a fait une interprétation stricte de l'exigence de double incrimination, laquelle est requise pour les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. En présence de décisions postérieures prises, en sens contraire, par plusieurs juridictions de fond sur la même problématique et dans des affaires distinctes, une stabilisation de la jurisprudence s'impose. Dans l'hypothèse où la position prise dans l'arrêt dit Chabanse confirmerait, le ministère de la Justice, conjointement avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, serait prêt à envisager rapidement des évolutions, y compris législatives, afin de permettre à la France de continuer à uvrer en faveur de la lutte contre l'impunité des auteurs de crimes internationaux. S'agissant ensuite d'une éventuelle réforme de la Cour pénale internationale en vue de permettre la tenue de procès par défaut, il sera rappelé que ce type de jugement n'existe pas en droit anglo-saxon. C'est l'une des raisons pour lesquelles le statut de la Cour pénale internationale ne prévoit pas cette modalité, à l'instar des statuts des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. Afin d'éviter la paralysie des poursuites, le statut de Rome prévoit néanmoins, en son article 58, que la Chambre préliminaire peut délivrer un mandat d'arrêt à l'encontre d'une personne soupçonnée d'avoir commis un crime relevant de la compétence de la Cour. En vertu de l'article 61.2, la Chambre préliminaire dispose également de la possibilité de tenir une audience en l'absence de l'intéressé pour confirmer les charges sur lesquelles le Procureur entend se fonder, afin de requérir le renvoi en jugement lorsque la personne, entre autres, a pris la fuite ou est introuvable. La coopération avec la Cour pénale internationale en vue du rassemblement et du partage d'informations et d'éléments de preuve, de l'audition des victimes et témoins, ainsi qu'en vue de l'arrestation et de la remise des accusés à la Cour est indispensable et constitue la pierre angulaire de la lutte contre l'impunité. Le contexte actuel de la guerre en Ukraine et les violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire qui y sont dénoncées le rappellent une fois de plus. La coopération entre la France et la Cour pénale internationale est dense, fluide et de qualité. A titre d'exemple, sur les dix dernières années, la Cour pénale internationale a adressé un peu plus de 230 demandes d'entraide judiciaire à la France, laquelle, réciproquement, a sollicité la coopération de la Cour près de 60 fois. Les autorités françaises mènent également plusieurs actions ayant pour objet de renforcer encore davantage l'action de la Cour pénale internationale, que cela soit via la signature d'outils de coopération, tel l'accord de coopération en matière d'exécution des peines signé le 11 octobre 2021, que par la mise à disposition de personnel et notamment d'un magistrat et d'enquêteurs français afin de soutenir les enquêtes du Bureau du Procureur de la Cour. Enfin, lors de sa présidence du Conseil de l'Union Européenne, la France a uvré à la révision du mandat d'Eurojust, afin de lui permettre de récolter, stocker et analyser des preuves de crimes de guerre. A l'issue d'intenses discussions, la modification du règlement d'Eurojust (2018/1727), adoptée le 25 mai 2022, permet désormais à l'agence Eurojust d'étendre ses missions et de constituer un maillon essentiel au niveau européen dans le recueil et le traitement des preuves de crimes de guerre. Les éléments de preuve récoltés pourront ainsi utilement venir nourrir les enquêtes nationales mais aussi celles de la Cour pénale internationale.
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