Question de Mme APOURCEAU-POLY Cathy (Pas-de-Calais - CRCE) publiée le 06/01/2022
Mme Cathy Apourceau-Poly interroge M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics sur les conséquences de l'article 41 du projet de loi de finances pour 2022. En effet, l'annonce de la réorganisation des finances publiques faisait peser une menace sur le principe de séparation ordonnateur-comptable dans les collectivités territoriales, faute d'interlocuteur compétent en termes de conseil et de contrôle a priori. Pourtant, face à ce risque, le Gouvernement a choisi dans son article 42 de demander l'habilitation à légiférer par ordonnance pour protéger les comptables publics.
L'objectif est de créer un nouveau régime unifié de responsabilité financière applicable à l'ensemble des agents publics, à partir du 1er janvier 2023. Mais ce changement de principe transfère la responsabilité pénale et pécuniaire sur les directeurs généraux des services (DGS) et responsables des administrations, créant de fait une situation de blocage de toutes les initiatives des collectivités, voire une augmentation des contentieux au niveau des tribunaux administratifs, et de façon certaine une crise des vocations quand ces mêmes responsables risqueront des amendes pouvant aller jusqu'à six mois de leurs traitements.
Elle souhaiterait donc savoir quels moyens d'accompagnement l'État entend mettre en place pour éviter que cela ne se produise. Elle souhaite également savoir si l'État mettra à disposition des collectivités un système d'assurance des responsabilités pour les agents concernés.
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Réponse du Ministère auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance - Industrie publiée le 16/02/2022
Réponse apportée en séance publique le 15/02/2022
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la question n° 2033, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L'article 41 du projet de loi de finances pour 2022 autorise le Gouvernement à prendre une ordonnance pour réformer la responsabilité pécuniaire et personnelle (RPP) des comptables publics.
L'objectif visé est de transférer une partie de la responsabilité des actes administratifs des comptables aux ordonnateurs, afin d'adapter le régime de la RPP.
Certes nécessaire, cette réforme aurait nécessité un débat, en particulier avec le Sénat, représentant des collectivités territoriales. Ces dernières vont en effet se retrouver financièrement responsables, aux côtés des directeurs généraux des services (DGS) et des trésoriers, alors même que la réorganisation et la baisse du nombre de centres de finances publiques ont réduit à peu de choses l'appui du réseau des comptables publics.
Sur la base des échanges à l'Assemblée nationale, il semble que les DGS seront soumis à une sanction potentielle, sans que leur rôle ne soit véritablement défini dans le contrôle qu'ils auront eux-mêmes à effectuer pour se prémunir contre l'engagement de leur responsabilité On marche sur la tête !
Il s'agit aussi, et surtout, d'un danger pour le principe de séparation de l'ordonnateur et du comptable.
Madame la ministre, quel accompagnement prévoyez-vous pour les ordonnateurs ? L'État mettra-t-il en place un régime assurantiel qu'il financera ou tout cela restera-t-il, comme d'habitude, à la charge des collectivités ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'industrie.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie. Je pense, madame la sénatrice Cathy Apourceau-Poly, que votre lecture n'est pas la bonne.
Conformément aux orientations fixées dans le programme Action publique 2022, la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics portée par la loi de finances pour 2022 vise à instituer un régime unifié de responsabilité financière pour tous les gestionnaires, qu'ils soient comptables ou ordonnateurs.
Il ne s'agit en aucun cas vos affirmations en la matière sont fausses de transférer la responsabilité du comptable public vers l'ordonnateur, mais de responsabiliser chaque acteur de la chaîne financière sur les actes et décisions dont il est l'auteur.
À l'opposé de vos inquiétudes, cette réforme permettra de donner plus de liberté d'action aux gestionnaires publics. L'intervention du juge financier n'est requise que pour les cas les plus graves ayant causé un préjudice financier significatif à l'organisme concerné. Ainsi, l'introduction de deux critères cumulatifs de « faute grave » et de « préjudice financier significatif » doit conduire à ne soumettre à la Cour des comptes qu'un nombre limité d'affaires.
De plus, ce nouveau régime ne remet absolument pas en cause la séparation entre ordonnateur et comptable, principe fondamental de notre système et gage important non seulement de sécurité pour les ordonnateurs, mais aussi de fiabilité et de qualité comptable.
Il permettra, en revanche, d'adapter les modalités de réalisation des contrôles, notamment d'assouplir les contrôles les plus formels afin d'accroître les marges de manuvre des gestionnaires. L'objectif du Gouvernement est de fluidifier l'action publique en instaurant des contrôles plus sélectifs, déterminés dans le cadre d'une approche par les enjeux et les risques.
Enfin, dès lors qu'il s'agit d'un régime de responsabilité individuelle sanctionné par une amende, et non par l'obligation de rembourser un préjudice, le texte n'institue pas de régime d'assurance particulière. L'agent public bénéficie en effet, à l'occasion ou en raison de l'exercice de ses fonctions, de la protection fonctionnelle par laquelle l'administration doit notamment lui apporter une assistance juridique.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour la réplique.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Il y a tout de même un problème, madame la ministre : à vous entendre, notre lecture de vos réformes n'est jamais la bonne.
Pourtant, j'ai été saisie par les directeurs généraux des services (DGS) du Pas-de-Calais, qui s'inquiètent de leur exposition future à d'éventuelles poursuites judiciaires et financières, mais également des mesures managériales ou disciplinaires qui pourraient être prises dans le cadre des prérogatives de direction des responsables publics. J'ai également été alertée de la crise des vocations que risque de susciter ce nouveau régime de responsabilité.
Sur le fond, enfin, la philosophie de cette réforme ne peut qu'inquiéter : on aligne le fonctionnement de notre administration sur le droit des entreprises, les comptables étant réduits au rôle de simples exécutants et le contrôle incombant aux DGS. En d'autres termes, on procède à un glissement d'une logique juridictionnelle à une logique managériale.
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