Question de M. DÉTRAIGNE Yves (Marne - UC) publiée le 18/02/2021
M. Yves Détraigne souhaite appeler l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur l'article R138-3 du code de la construction et de l'habitation, créé par le décret n° 2012-1342 du 3 décembre 2012.
Cet article dispose que « lorsque des travaux d'économie d'énergie sont votés par l'assemblée générale, les copropriétaires concernés sont tenus de les réaliser dans un délai raisonnable en fonction de la nature et du coût des travaux ».
En premier lieu, il lui demande de préciser la formulation « tenus de les réaliser » qui laisse penser que les copropriétaires sont maîtres d'ouvrage des travaux concernés alors que cette mission incombe au syndicat (cf article 9 de la loi du 10 juillet 1965 : « pour la réalisation des travaux d'intérêt collectif réalisés sur les parties privatives, le syndicat exerce les pouvoirs du maître d'ouvrage jusqu'à réception des travaux»).
En deuxième lieu, il lui demande si des décisions de justice ont précisé les contours de la notion de « délai raisonnable » dans lequel les travaux d'économies d'énergie doivent être réalisés après le vote de l'assemblée générale.
En troisième lieu, il lui demande si un bilan a été tiré de ce dispositif. Sait-on combien de copropriétés ont voté des travaux d'intérêt collectif portant sur les parties privatives afin de réaliser des économies d'énergie, en particulier des travaux d'isolation thermique des parois vitrées donnant sur l'extérieur, comprenant, le cas échéant l'installation des systèmes d'occultation extérieures.
Il lui demande enfin si ce dispositif a donné naissance à des actions contentieuses, en particulier lorsque les copropriétaires estiment que les travaux votés par la collectivité sont disproportionnés au regard de leur durée d'amortissement. Ainsi la cour d'appel de Chambéry a jugé en 2018 qu' « il importe peu que le projet réalise une économie d'énergie, ce qui découle de toute modification structurelle d'ensemble, économie sans rapport avec l'importance du coût des travaux de restructuration, et ainsi sous couvert d'une amélioration des conditions thermiques dont l'intérêt ne sera amorti qu'en 50 ans, c'est l'amélioration des parties privatives qui est au moins concurremment atteint alors qu'il n'incombe pas à la collectivité majoritaire d'imposer à des copropriétaires minoritaires des dépenses essentiellement privatives qu'ils sont libres d'exposer ou non et d'en apprécier l'intérêt relevant de leur droit individuel de propriété. » (CA Chambéry, 1ère chambre, 30 janvier 2018, n° 16/01368).
Cet arrêt souligne que le dispositif de l'article 25 f de la loi de 1965 est susceptible de mettre à mal le droit individuel de propriété et, d'une manière générale, constitue une immixtion de la collectivité dans la sphère privée. En effet, elle offre la possibilité au syndicat d'imposer aux copropriétaires des travaux privatifs, réalisés à leurs frais, par une entreprise qu'ils n'ont pas choisie et sous la supervision du syndic, lequel devra pénétrer chez lui pour la réception des travaux, voire pour le suivi d'éventuelles réserves portant sur lesdits travaux.
Or, le droit de propriété bénéficie en France d'un haut niveau de protection auquel il ne peut être porté atteinte que de manière proportionnée (décision n° 2014-691 DC du Conseil constitutionnel du 20 mars 2014). Par conséquent, il lui demande si l'article 25 f de la loi du 10 juillet 1965 n'encourt pas, selon elle, un risque d'inconstitutionnalité dans le cadre d'une QPC, étant rappelé que la loi « Grenelle II » n'avait pas été, après son adoption par le Parlement en 2010, déférée au Conseil constitutionnel.
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Transmise au Ministère de la justice
Réponse du Ministère de la justice publiée le 13/01/2022
En premier lieu, l'article 7 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, a introduit à l'article 25 g) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, la possibilité pour l'assemblée générale des copropriétaires de voter la réalisation des travaux d'économie d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre sur les parties privatives d'une copropriété. Il a précisé que, pour la réalisation des travaux d'intérêt collectif réalisés sur les parties privatives, le syndicat exerce les pouvoirs du maître d'ouvrage jusqu'à réception des travaux. L'article 59 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové a déplacé au f) de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965 la question du vote des travaux d'économie d'énergie et à l'article 9 de cette même loi, la précision selon laquelle le syndicat exerce les pouvoirs du maître de l'ouvrage pour la réalisation des travaux d'intérêt collectif. Le décret n° 2012-1342 du 3 décembre 2012 relatif aux diagnostics de performance énergétique pour les bâtiments équipés d'une installation collective de chauffage ou de refroidissement et aux travaux d'économies d'énergie dans les immeubles en copropriété, pris notamment au visa de l'article 25 de la loi du 10 juillet 1965, a créé les articles R. 138-2, R. 138-2 et R. 138-3 au code de la construction et de l'habitation, devenus respectivement les articles R. 173-9, R. 173-10 et R. 173-11 de ce même code à la suite du décret n° 2021-872 du 30 juin 2021 recodifiant la partie réglementaire du livre I du code de la construction et de l'habitation et fixant les conditions de mise en uvre des solutions d'effet équivalent. S'agissant plus précisément de la réalisation des travaux d'économie d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'intérêt collectif réalisés sur les parties privatives, le deuxième alinéa de l'article R. 138-3, devenu R. 173-11 du code de la construction et de l'habitation, dispose que « Dès lors que de tels travaux sont votés, les copropriétaires concernés sont tenus de les réaliser dans un délai raisonnable en fonction de la nature et du coût des travaux, sauf s'ils sont en mesure de prouver la réalisation de travaux équivalents ». Si la formulation de cet alinéa se révèle ambiguë, elle ne peut en toute hypothèse remettre en cause la lettre de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965, disposition de nature législative qui confère au syndicat des copropriétaires les pouvoirs du maître de l'ouvrage pour la réalisation des travaux. Cette formulation nécessiterait dès lors d'être révisée à l'initiative du ministère chargé de la construction. En second lieu, la notion de délai raisonnable au sens du deuxième alinéa de l'article R. 138-3 devenu R. 173-11 du code de la construction et de l'habitation ne semble pas poser de difficulté particulière, aucune jurisprudence n'étant intervenue jusqu'à présent pour en fixer plus précisément les contours. En troisième lieu, aucun retour d'expérience n'a malheureusement pu être tiré de cette disposition, en l'absence de collecte des données statistiques nécessaires. En outre, la question de la disproportion du coût des travaux d'économie d'énergie au regard de la durée d'amortissement ne semble pas avoir suscité un abondant contentieux, étant précisé que ce critère de la durée d'amortissement a été supprimé par la loi du 12 juillet 2010 précitée. Enfin et s'agissant du dispositif de l'article 25 f) de la loi du 10 juillet 1965 précité, celui-ci soumet au vote à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions relatives aux travaux d'économie d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ces travaux pouvant comprendre des travaux d'intérêt collectif réalisés sur les parties privatives et aux frais du copropriétaire du lot concerné. Dès lors que l'unanimité n'est pas requise par la loi, la décision votée en assemblée générale des copropriétaires de réaliser de tels travaux ne suppose pas nécessairement l'accord du copropriétaire concerné. Le juge constitutionnel admet, de manière constante, que le législateur puisse apporter aux conditions d'exercice du droit de propriété des personnes privées, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi (Cons. Constit. Décision n° 2010-60 QPC, 12 novembre 2010, cons. 3, Journal officiel du 13 novembre 2010, page 20237, texte n° 92, Rec. p. 321). En l'espèce, le dispositif tend à favoriser la rénovation énergétique des bâtiments qui a été reconnu comme constituant un motif d'intérêt général par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015, loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Le dispositif participe également de la protection de l'environnement, auquel le Conseil constitutionnel a conféré un caractère d'objectif de valeur constitutionnelle dans sa récente décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020. Par ailleurs, ce dispositif est strictement encadré, dès lors que les travaux d'économie d'énergie ou de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'intérêt collectif pouvant être réalisés sur les parties privatives sont circonscrits à ceux listés au 2° du I de l'article R. 173-10 du code de la construction et de l'habitation, à savoir les travaux d'isolation thermique des parois vitrées donnant sur l'extérieur comprenant, le cas échéant, l'installation de systèmes d'occultations extérieurs ; la pose ou le remplacement d'organes de régulation ou d'équilibrage sur les émetteurs de chaleur ou de froid ; l'équilibrage des émetteurs de chaleur ou de froid ; la mise en place d'équipements de comptage des quantités d'énergies consommées. En outre, le copropriétaire concerné peut, au visa de l'article 25 f) de la loi du 10 juillet 1965 précité s'exonérer desdits travaux s'il produit la preuve de la réalisation de travaux équivalents dans les dix années précédentes. Enfin, le copropriétaire concerné bénéficie en toute hypothèse des garanties prévues à l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 qui précise l'ensemble du régime des travaux d'intérêt collectif. Ainsi, un copropriétaire peut faire obstacle à l'exécution de travaux d'intérêt collectif régulièrement décidés par l'assemblée générale des copropriétaires, dès lors que l'affectation, la consistance ou la jouissance des parties privatives en sont altérées de manière durable. De même, la réalisation de tels travaux sur une partie privative, lorsqu'il existe une autre solution n'affectant pas cette partie, ne peut être imposée au copropriétaire concerné que si les circonstances le justifient. En outre, le copropriétaire qui subit un préjudice à la suite de l'exécution des travaux, en raison soit d'une diminution définitive de la valeur de son lot, soit d'un trouble de jouissance grave, même s'il est temporaire, soit de dégradations, a droit à une indemnité. Dès lors, l'atteinte portée au droit de propriété, à savoir la possibilité d'intervenir sur les parties privatives d'un copropriétaire pour permettre la réalisation de travaux d'intérêt collectif décidés en assemblée générale, ne parait pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi et compte tenu de l'encadrement légal du dispositif et des garanties offertes au copropriétaire concerné.
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