Lutte contre les abus sexuels sur enfants (PPRE) - Tableau de montage - Sénat

N° 136

SÉNAT

                  

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

27 mai 2024

                                                                                                                                             

RÉSOLUTION EUROPÉENNE PORTANT AVIS MOTIVÉ

sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que contre les matériels relatifs à des abus sexuels sur enfants, et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (refonte) - COM(2024) 60 final







Est devenue résolution du Sénat, conformément à l'article 73 octies, alinéas 4 et 5, du Règlement du Sénat, la résolution adoptée par la commission des lois dont la teneur suit :

                                                                                                                                             

Voir les numéros :

Sénat : 625 (2023-2024).




Résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que contre les matériels relatifs à des abus sexuels sur enfants, et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (refonte) – COM(2024) 60 final

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil COM(2024) 60 final tend à adapter la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil afin de conforter la coopération européenne relative à la lutte contre les abus sexuels et à l’exploitation sexuelle des enfants.

En pratique, cette proposition demande aux États membres d’adopter des mesures appropriées de prévention des abus sexuels sur les enfants, actualise les infractions pénales liées à ces abus et relève le quantum de peines applicables, renforce les procédures de signalement et étend les délais de prescription.

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat émet les observations suivantes :

– l’article 5 du traité sur l’Union européenne prévoit que l’Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, au niveau de l’Union », ce qui implique d’examiner non seulement si l’objectif de l’action envisagée peut être mieux réalisé au niveau communautaire, mais également si l’intensité de l’action entreprise n’excède pas la mesure nécessaire pour atteindre l’objectif que cette action vise à réaliser ;

1° Sur la nécessaire association des parlements nationaux des États membres aux réformes pénales européennes :

Depuis 2019, la Commission européenne, avec l’aval du Conseil et du Parlement européen, a présenté de nombreuses réformes pénales pour lutter contre la criminalité environnementale, les violences faites aux femmes, la corruption, ou encore les trafics de migrants, qui aboutissent de facto à une « européanisation » accélérée du droit pénal. En outre, des réflexions sont actuellement en cours dans les institutions européennes sur la consolidation d’un « droit pénal européen ». Afin d’assurer la conformité au principe de subsidiarité de telles initiatives, la Commission européenne devrait associer les parlements nationaux des États membres à l’élaboration de toute proposition de réforme législative ayant un volet pénal, en prévoyant un processus de consultation spécifique, systématique et institutionnalisé ;

2° Sur les bases juridiques et la nécessité de certaines dispositions :

– La lutte contre les abus sexuels sur les enfants relève en premier lieu de la compétence des États membres de l’Union européenne, en particulier de leurs parlements nationaux, et doit être pour eux une priorité constante. En complément, conformément aux articles 4 (j), 82 et 83 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), le Conseil et le Parlement européen peuvent, par voie de directives, fixer des règles minimales en matière pénale au niveau européen, d’une part, pour faciliter la coopération policière et judiciaire et la reconnaissance mutuelle des jugements, et d’autre part, pour définir les infractions pénales et leur sanction dans des domaines de criminalité particulièrement graves ayant une dimension transfrontière ;



– Adoptée dans ce cadre, la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 précitée est un outil de coordination européenne des actions de lutte contre les abus sexuels sur les enfants à la fois pertinent et pleinement conforme aux traités. Il en va de même pour la proposition de directive COM(2024) 60 final en ce qu’elle actualise cette directive pour prendre en considération les nouveaux agissements en ligne des auteurs d’infractions(1) ;



3° Sur les dispositions de la proposition non conformes au principe de subsidiarité parce qu’elles privent les États membres de leurs prérogatives :



– certaines dispositions de la présente proposition ne respectent pas le principe de subsidiarité en ce qu’elles suppriment, par leur exhaustivité et leur précision, toute marge d’appréciation des États membres dans le choix de politiques dont ils ont pourtant la responsabilité ;



– ainsi, et en premier lieu, le remplacement, à l’article 5, de l’infraction actuelle de « pédopornographie » par la notion « d’infractions liées au matériel relatif à des abus sexuels sur enfants », étendrait de manière indéterminée le champ des infractions pénales visées par la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 précitée au détriment du droit pénal des États membres ;



– en deuxième lieu, en prévoyant la possibilité d’autoriser des « organisations » au statut indéfini à rechercher, détecter et analyser les abus sexuels en ligne, et de les exempter de poursuites pénales pour ces actions, ce même article 5 mettrait en concurrence de telles « organisations » – qui pourraient être des associations reconnues d’utilité publique mais également des organisations non gouvernementales (ONG) ou des fondations privées – avec les services et autorités compétents des États membres, alors même que ces derniers sont les seuls à pouvoir assumer ces missions régaliennes ou à posséder un pouvoir d’injonction pour les ordonner.



De facto, l’absence de définition suffisante des « organisations » concernées pourrait conduire à d’éventuels conflits d’intérêts. Et le risque serait élevé qu’elles tirent profit illégalement de la dérogation, prévue pour elles, à l’interdiction de détention de « tout matériel relatif à des abus sexuels sur enfants » ;



– en troisième lieu, en substituant une obligation de signalement à la possibilité de signalement des soupçons d’abus sexuels prévue pour les professionnels de santé travaillant au contact des mineurs, l’article 17 de la proposition supprimerait, dans les situations visées, le secret médical qui s’impose pourtant à eux. Il ne laisserait aucune marge d’appréciation aux États membres dans l’application de cette obligation, et romprait avec l’équilibre du droit national, inscrit à l’article R. 4127-44 du code de la santé publique, qui affirme que tout praticien appelé auprès d’un mineur « victime de sévices ou de privations » « alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience » ;



– en quatrième lieu, l’article 28, relatif à la prévention des abus sexuels sur les enfants, devrait affirmer le principe de mesures appropriées de prévention à prendre par les États membres dans certains secteurs et leur laisser définir ces derniers, plutôt que d’énumérer un à un ces secteurs(2) puis de définir ce que doivent être ces « mesures appropriées »(3), niant par là-même la liberté du législateur national de déterminer les priorités de la politique nationale de prévention ;



4° Sur les dispositions de la proposition compatibles avec le principe de subsidiarité sous réserve de demeurer des « règles minimales » afin de préserver les dispositions du droit pénal français plus favorables aux mineurs :



– l’article 3 complète la liste des infractions liées aux abus sexuels en y ajoutant tout acte de pénétration sur un enfant n’ayant pas atteint la majorité sexuelle ou sur un enfant ayant atteint cette majorité mais n’ayant pas consenti à cet acte. Il punit la première infraction d’une peine de douze ans d’emprisonnement et la seconde, d’une peine de dix ans d’emprisonnement. Ces dispositions ne sauraient remettre en cause les dispositions de l’article 222-23-1 du code pénal français qui considèrent ces actes comme des viols et les sanctionnent d’une peine plus élevée (quinze ans de réclusion criminelle pour les viols et vingt ans si la victime est mineure), ni à conduire à une « décrimininalisation » de faits constitutifs de viols en droit interne(4) ;



– de même, l’article 3 précité et l’article 10, qui prévoit la possibilité de reconnaître des relations sexuelles consenties entre « pairs », ne doivent pas empêcher la France de reconnaître la possibilité d’une relation consentie entre un mineur et un majeur ayant avec lui une différence d’âge de moins de cinq ans(5) ;



– de même, les dispositions de l’article 16, relatives aux délais de prescription, ne doivent pas revenir sur une protection substantielle du droit français : le caractère « glissant » de la prescription en cas de récidive, au terme duquel, si l’auteur d’une infraction sexuelle en commet une seconde sur un autre mineur avant l’expiration du délai de prescription, ce dernier est prolongé jusqu’à la date de prescription de cette seconde infraction ;



5° Sur les dispositions non conformes au principe de subsidiarité parce qu’elles créent des charges excessives et inutiles pour les États membres :



– dans sa résolution européenne  77 (2022-2023) du 20 mars 2023, le Sénat a déjà démontré l’inutilité et le coût trop important, pour les États membres, de la création d’un centre de l’Union européenne pour la prévention des abus sexuels sur les enfants, déjà promu par la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2022 établissant des règles en vue de prévenir et de combattre les abus sexuels sur enfants, COM (2022) 209 final, toujours en cours de négociation. L’article 20 du présent texte qui confierait aussi à un tel centre une mission de collecte d’informations relatives aux actions de prévention et d’échange de bonnes pratiques dans les États membres ne modifie pas ce constat. La création de ce centre constituerait une charge excessive pour les États membres. Le budget prévu pour son fonctionnement gagnerait plutôt à être consacré au financement d’actions de protection de l’enfance ;



– l’article 31 exige des États membres une collecte excessive d’informations à des fins statistiques, ce qui constitue pour eux une charge disproportionnée. En outre, le 2.c) de cet article vise des statistiques relatives aux initiatives de prévention concernant les « délinquants potentiels », notion juridiquement et éthiquement inacceptable car elle suppose que certains individus seraient présumés enclins à commettre des infractions.


*



Pour ces raisons, le Sénat estime que :



– les articles 3, 10 et 16 de la proposition de directive COM(2024) 60 final sont conformes à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole  2 annexé à ce traité, sous les réserves précitées ;



– les articles 5, 17, 20, 25, 28 et 31 de la proposition de directive COM(2024) 60 final ne sont pas conformes à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole  2 annexé à ce traité.

Devenue résolution du Sénat le 27 mai 2024.

Le Président,

Signé : Gérard LARCHER

                                         

(1) Sont visées la sollicitation d’abus sexuels et l’exploitation d’un service en ligne à des fins d’abus sexuels ou d’exploitation sexuelle d’enfants.

(2) « collectivités, notamment les écoles », « services d’aide sociale », « clubs sportifs », « communautés religieuses ».

(3) Actions de formation et de sensibilisation des personnels compétents, « orientations, des protocoles internes et des normes spécifiques définissant des bonnes pratiques, telles que la mise en place de mécanismes de surveillance et de responsabilité pour le personnel travaillant en contact avec les enfants », ou encore, création d’espaces sûrs » pour les enfants.

(4) Si la proposition était adoptée en l’état et que la marge d’appréciation du législateur national n’était pas préservée au cours des négociations, son application conduirait en effet à ramener dans le champ délictuel, certains faits constitutifs de viol en droit interne.

(5) Cette disposition, surnommée « clause Romeo et Juliette », n’est cependant pas applicable si les faits sont commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

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