Professions de santé libérales et assurance-maladie
PROPOSITION DE LOI
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N° 56
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PROPOSITION DE LOI
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Le Sénat a adopté, en première lecture, la motion opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, dont la teneur suit : |
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En
application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le
Sénat,
Considérant que la présente proposition de loi, adoptée
par l'Assemblée nationale le 10 janvier dernier, est la reprise
quasiment à l'identique de l'article 18 de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2002, annulé par le Conseil
constitutionnel le 18 décembre 2001 ;
Considérant que le Sénat est pour beaucoup dans le
dépôt et l'examen de ce texte puisque le Conseil constitutionnel,
pour annuler cette disposition, s'est appuyé sur l'argumentation des
sénateurs auteurs de la saisine ; que ceux-ci avaient en effet
estimé que l'article 18 avait été adopté à
l'issue d'une procédure irrégulière, qui n'avait tendu
qu'à contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative
à l'introduction de dispositions nouvelles après la
réunion de la commission mixte paritaire ;
Considérant que MM. Jean Le Garrec, Jean-Marc Ayrault et Claude Evin ont
alors déposé, deux jours à peine après la
décision du Conseil constitutionnel, la présente proposition de
loi, de sorte que ni sous la forme d'amendement, ni sous la forme de
proposition de loi, le texte présenté n'a été
délibéré en Conseil des ministres et soumis à
l'examen du Conseil d'Etat ;
Considérant qu'examiné par la commission le 9 janvier, le texte a
été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour
prioritaire du 10 janvier et adopté par l'Assemblée
nationale ; que cette célérité et cette sollicitude
de la part du Gouvernement pour une simple « proposition de
loi » sont pour le moins exceptionnelles ;
Considérant qu'au Sénat, le Gouvernement a d'ailleurs
déployé toutes les prérogatives que lui confère
l'article 48 de la Constitution pour inscrire à l'ordre du jour un texte
qu'il n'a cependant pas souhaité signer ;
Considérant que le texte témoigne ainsi d'un curieux acharnement
du Gouvernement et d'une conception pour le moins autoritaire des relations
avec les professionnels de santé ;
Considérant en effet que l'organisation médiatique de
« Grenelle de la santé » a permis au Gouvernement de
faire l'économie d'une véritable concertation sur ce texte soumis
au Parlement dans l'improvisation ;
Considérant que l'annulation de l'article 18 du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002 aurait pu donner au
Gouvernement le temps nécessaire pour procéder à une
réelle concertation avec les professionnels de santé ;
Considérant qu'il n'en a rien été et qu'il s'agit à
l'évidence, pour le Gouvernement, de passer en force au mépris de
toute concertation ;
Considérant en outre que ce texte présente des faiblesses
évidentes ; que s'il retient l'idée d'une architecture
conventionnelle à trois niveaux, il ne tranche cependant ni la question
du mode de régulation des dépenses ni celle des
responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie dans
cette régulation ;
Considérant ainsi - et c'est le principal reproche que l'on puisse
formuler à son égard - qu'il laisse subsister, pour les
professions non signataires d'une convention, le mécanisme pervers des
lettres-clés flottantes, institué par le Gouvernement dans la loi
de financement de la sécurité sociale pour 2000 et auquel le
Sénat s'est déjà opposé à de nombreuses
reprises ;
Considérant qu'il n'est guère surprenant, dans ces conditions,
que la plupart des syndicats représentatifs de médecins se soient
déclarés hostiles à cette réforme ;
Considérant que la suppression du dispositif de régulation par
les lettres-clés flottantes constitue pourtant un préalable
indispensable à la reprise du dialogue avec les professionnels de
santé et à l'ouverture d'une véritable négociation
sur une nouvelle architecture conventionnelle et un nouveau dispositif de
régulation des dépenses ;
Considérant en outre que la réforme proposée ne
résout pas le problème récurrent des relations entre
l'Etat et l'assurance maladie ; que l'Etat conserve en effet la haute main
sur le dispositif ; que c'est le Gouvernement qui devra approuver les
conventions ; que c'est encore lui qui pourra, dans certains cas, refuser
les éventuelles revalorisations de tarifs proposées par les
caisses, c'est-à-dire les partenaires sociaux ; que c'est toujours
lui qui, en l'absence de convention, définira la règle du jeu et
les sanctions collectives ;
Considérant que, dans un avis adopté à l'unanimité
le 20 novembre 2001, le conseil d'administration de la Caisse nationale
d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a d'ailleurs
fait part des fortes réserves que lui inspirait ce texte ; que ces
réserves constituent autant de critiques sévères de la
politique menée depuis cinq ans par le Gouvernement ;
Considérant par ailleurs que le dispositif proposé ne modifie en
rien le fait que la fixation annuelle de l'Objectif national de dépenses
d'assurance maladie (ONDAM) ne repose sur aucune priorité sanitaire
clairement affichée et ne se fonde sur aucune véritable
évaluation des besoins en matière de soins ;
Considérant dès lors qu'il convient de s'interroger sur la
signification que peut revêtir un texte qui, s'il est adopté, sera
vraisemblablement le dernier de la législature et qui semble ne pas
recueillir l'adhésion des acteurs concernés ;
Considérant qu'à l'évidence la réforme
proposée n'a pas vocation à être effectivement mise en
oeuvre ; que l'obstination du Gouvernement à faire adopter cette
proposition de loi ne peut se comprendre que si l'on tient compte du contexte
particulier dans lequel s'inscrit son examen ;
Considérant que notre système de santé traverse
aujourd'hui une crise grave ; que le monde de la santé est dans un
état de profond désarroi ; que les grèves et
mouvements revendicatifs se multiplient et touchent à la fois les soins
de ville et les établissements de santé ;
Considérant, s'agissant des soins de ville, que sont mis en
évidence les effets pernicieux du mécanisme des
lettres-clés flottantes, qui a fait disparaître toute
véritable possibilité de régulation et de
négociation conventionnelle ;
Considérant, s'agissant des établissements de santé, que
ceux-ci subissent de plein fouet le choc d'un passage aux
« trente-cinq heures » qui n'a été ni
préparé, ni véritablement financé ;
Considérant que notre système de santé est en outre
menacé par la persistance de lourds déficits de l'assurance
maladie : 14,7 milliards de francs en 1998, 4,8 milliards en 1999,
17,2 milliards en 2000 et 11,5 milliards en 2001 ; que le simple
prolongement des tendances enregistrées ces deux dernières
années en matière de dépenses de soins de ville
amènerait le déficit du régime général
à près de 30 milliards de francs à la fin de
l'année 2002, soit un déficit cumulé sur cinq ans
approchant les 80 milliards de francs ;
Considérant qu'il apparaît dès lors assez paradoxal de
constater que l'assurance maladie, qui constitue la branche déficitaire
par excellence, se voit néanmoins ponctionnée à un double
titre pour assurer le financement des « trente-cinq
heures » : d'une part, pour contribuer au financement du Fonds
de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale (FOREC), d'autre part, pour assumer la charge
des emplois créés au titre de la réduction du temps de
travail dans les hôpitaux ;
Considérant que cette politique consistant à creuser les
déficits de la branche maladie et à alourdir son endettement
demeure incompréhensible et rend illusoire toute action tendant à
demander un quelconque effort de maîtrise des équilibres aux
différents acteurs de notre système de santé,
gestionnaires des caisses, établissements et professionnels de
santé ou assurés sociaux ;
Considérant que la politique menée par le Gouvernement depuis
cinq ans a gravement affaibli le principe même de la gestion paritaire
des caisses et a accru la confusion des responsabilités dans le domaine
de l'assurance maladie ;
Considérant que le bilan de cette législature apparaît en
définitive désastreux ; que le monde de la santé est
en ébullition permanente ; que, privée de pilote, l'assurance
maladie est devenue parallèlement une sorte de bateau ivre, livré
à lui-même ;
Considérant que, dans ce contexte, la proposition de loi apparaît
en complet décalage avec les attentes des professionnels de santé
et avec les défis auxquels notre système de santé est
confronté ; qu'elle ne peut contribuer en rien à dissiper
les inquiétudes légitimes qui se font jour chez les
professionnels et chez les patients eux-mêmes ;
Considérant qu'elle n'a au fond pour objet que de répondre au
souhait du Gouvernement de pouvoir « afficher » une
réforme des relations conventionnelles dont il sait pertinemment qu'elle
ne sera pas appliquée avant les prochaines échéances
électorales ;
Considérant qu'à l'évidence cette proposition de loi
relève de la gesticulation politique et vise avant tout à masquer
les échecs et l'impuissance du Gouvernement en matière
d'assurance maladie et de politique de la santé ;
Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération
sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale
après déclaration d'urgence, portant rénovation des
rapports conventionnels entre les professions de santé libérales
et les organismes d'assurance maladie (n° 171, 2001-2002).
En conséquence, conformément à l'article 44,
alinéa 3, du Règlement, la proposition de loi a été
rejetée par le Sénat.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 7
février 2002.
Le Président,
Signé :
Christian PONCELET.