Professions de santé libérales et assurance-maladie

PROPOSITION DE LOI

rejetée

le 7 février 2002

 

N° 56
SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

PROPOSITION DE LOI

REJETÉE PAR LE SÉNAT

portant rénovation des rapports conventionnels
entre les
professions de santé libérales
et les organismes d'assurance maladie .

(Urgence déclarée)

Le Sénat a adopté, en première lecture, la motion opposant la question préalable à la délibération de la proposition de loi, dont la teneur suit :

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 3520 , 3524 et T.A. 758 .

Sénat : 171 (2001-2002).

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat,

Considérant que la présente proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 janvier dernier, est la reprise quasiment à l'identique de l'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, annulé par le Conseil constitutionnel le 18 décembre 2001 ;

Considérant que le Sénat est pour beaucoup dans le dépôt et l'examen de ce texte puisque le Conseil constitutionnel, pour annuler cette disposition, s'est appuyé sur l'argumentation des sénateurs auteurs de la saisine ; que ceux-ci avaient en effet estimé que l'article 18 avait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, qui n'avait tendu qu'à contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l'introduction de dispositions nouvelles après la réunion de la commission mixte paritaire ;

Considérant que MM. Jean Le Garrec, Jean-Marc Ayrault et Claude Evin ont alors déposé, deux jours à peine après la décision du Conseil constitutionnel, la présente proposition de loi, de sorte que ni sous la forme d'amendement, ni sous la forme de proposition de loi, le texte présenté n'a été délibéré en Conseil des ministres et soumis à l'examen du Conseil d'Etat ;

Considérant qu'examiné par la commission le 9 janvier, le texte a été inscrit par le Gouvernement à l'ordre du jour prioritaire du 10 janvier et adopté par l'Assemblée nationale ; que cette célérité et cette sollicitude de la part du Gouvernement pour une simple « proposition de loi » sont pour le moins exceptionnelles ;

Considérant qu'au Sénat, le Gouvernement a d'ailleurs déployé toutes les prérogatives que lui confère l'article 48 de la Constitution pour inscrire à l'ordre du jour un texte qu'il n'a cependant pas souhaité signer ;

Considérant que le texte témoigne ainsi d'un curieux acharnement du Gouvernement et d'une conception pour le moins autoritaire des relations avec les professionnels de santé ;

Considérant en effet que l'organisation médiatique de « Grenelle de la santé » a permis au Gouvernement de faire l'économie d'une véritable concertation sur ce texte soumis au Parlement dans l'improvisation ;

Considérant que l'annulation de l'article 18 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 aurait pu donner au Gouvernement le temps nécessaire pour procéder à une réelle concertation avec les professionnels de santé ;

Considérant qu'il n'en a rien été et qu'il s'agit à l'évidence, pour le Gouvernement, de passer en force au mépris de toute concertation ;

Considérant en outre que ce texte présente des faiblesses évidentes ; que s'il retient l'idée d'une architecture conventionnelle à trois niveaux, il ne tranche cependant ni la question du mode de régulation des dépenses ni celle des responsabilités respectives de l'Etat et de l'assurance maladie dans cette régulation ;

Considérant ainsi - et c'est le principal reproche que l'on puisse formuler à son égard - qu'il laisse subsister, pour les professions non signataires d'une convention, le mécanisme pervers des lettres-clés flottantes, institué par le Gouvernement dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et auquel le Sénat s'est déjà opposé à de nombreuses reprises ;

Considérant qu'il n'est guère surprenant, dans ces conditions, que la plupart des syndicats représentatifs de médecins se soient déclarés hostiles à cette réforme ;

Considérant que la suppression du dispositif de régulation par les lettres-clés flottantes constitue pourtant un préalable indispensable à la reprise du dialogue avec les professionnels de santé et à l'ouverture d'une véritable négociation sur une nouvelle architecture conventionnelle et un nouveau dispositif de régulation des dépenses ;

Considérant en outre que la réforme proposée ne résout pas le problème récurrent des relations entre l'Etat et l'assurance maladie ; que l'Etat conserve en effet la haute main sur le dispositif ; que c'est le Gouvernement qui devra approuver les conventions ; que c'est encore lui qui pourra, dans certains cas, refuser les éventuelles revalorisations de tarifs proposées par les caisses, c'est-à-dire les partenaires sociaux ; que c'est toujours lui qui, en l'absence de convention, définira la règle du jeu et les sanctions collectives ;

Considérant que, dans un avis adopté à l'unanimité le 20 novembre 2001, le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a d'ailleurs fait part des fortes réserves que lui inspirait ce texte ; que ces réserves constituent autant de critiques sévères de la politique menée depuis cinq ans par le Gouvernement ;

Considérant par ailleurs que le dispositif proposé ne modifie en rien le fait que la fixation annuelle de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) ne repose sur aucune priorité sanitaire clairement affichée et ne se fonde sur aucune véritable évaluation des besoins en matière de soins ;

Considérant dès lors qu'il convient de s'interroger sur la signification que peut revêtir un texte qui, s'il est adopté, sera vraisemblablement le dernier de la législature et qui semble ne pas recueillir l'adhésion des acteurs concernés ;

Considérant qu'à l'évidence la réforme proposée n'a pas vocation à être effectivement mise en oeuvre ; que l'obstination du Gouvernement à faire adopter cette proposition de loi ne peut se comprendre que si l'on tient compte du contexte particulier dans lequel s'inscrit son examen ;

Considérant que notre système de santé traverse aujourd'hui une crise grave ; que le monde de la santé est dans un état de profond désarroi ; que les grèves et mouvements revendicatifs se multiplient et touchent à la fois les soins de ville et les établissements de santé ;

Considérant, s'agissant des soins de ville, que sont mis en évidence les effets pernicieux du mécanisme des lettres-clés flottantes, qui a fait disparaître toute véritable possibilité de régulation et de négociation conventionnelle ;

Considérant, s'agissant des établissements de santé, que ceux-ci subissent de plein fouet le choc d'un passage aux « trente-cinq heures » qui n'a été ni préparé, ni véritablement financé ;

Considérant que notre système de santé est en outre menacé par la persistance de lourds déficits de l'assurance maladie : 14,7 milliards de francs en 1998, 4,8 milliards en 1999, 17,2 milliards en 2000 et 11,5 milliards en 2001 ; que le simple prolongement des tendances enregistrées ces deux dernières années en matière de dépenses de soins de ville amènerait le déficit du régime général à près de 30 milliards de francs à la fin de l'année 2002, soit un déficit cumulé sur cinq ans approchant les 80 milliards de francs ;

Considérant qu'il apparaît dès lors assez paradoxal de constater que l'assurance maladie, qui constitue la branche déficitaire par excellence, se voit néanmoins ponctionnée à un double titre pour assurer le financement des « trente-cinq heures » : d'une part, pour contribuer au financement du Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), d'autre part, pour assumer la charge des emplois créés au titre de la réduction du temps de travail dans les hôpitaux ;

Considérant que cette politique consistant à creuser les déficits de la branche maladie et à alourdir son endettement demeure incompréhensible et rend illusoire toute action tendant à demander un quelconque effort de maîtrise des équilibres aux différents acteurs de notre système de santé, gestionnaires des caisses, établissements et professionnels de santé ou assurés sociaux ;

Considérant que la politique menée par le Gouvernement depuis cinq ans a gravement affaibli le principe même de la gestion paritaire des caisses et a accru la confusion des responsabilités dans le domaine de l'assurance maladie ;

Considérant que le bilan de cette législature apparaît en définitive désastreux ; que le monde de la santé est en ébullition permanente ; que, privée de pilote, l'assurance maladie est devenue parallèlement une sorte de bateau ivre, livré à lui-même ;

Considérant que, dans ce contexte, la proposition de loi apparaît en complet décalage avec les attentes des professionnels de santé et avec les défis auxquels notre système de santé est confronté ; qu'elle ne peut contribuer en rien à dissiper les inquiétudes légitimes qui se font jour chez les professionnels et chez les patients eux-mêmes ;

Considérant qu'elle n'a au fond pour objet que de répondre au souhait du Gouvernement de pouvoir « afficher » une réforme des relations conventionnelles dont il sait pertinemment qu'elle ne sera pas appliquée avant les prochaines échéances électorales ;

Considérant qu'à l'évidence cette proposition de loi relève de la gesticulation politique et vise avant tout à masquer les échecs et l'impuissance du Gouvernement en matière d'assurance maladie et de politique de la santé ;

Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales et les organismes d'assurance maladie (n° 171, 2001-2002).

En conséquence, conformément à l'article 44, alinéa 3, du Règlement, la proposition de loi a été rejetée par le Sénat.

Délibéré en séance publique, à Paris, le 7 février 2002.

Le Président,

Signé :
Christian PONCELET.

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