N°411
SENAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal de la séance du 9 juin 1999.
PROPOSITION DE RESOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, SUR :
- la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement de chemins de fer communautaires ;
- la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 95/18/CE concernant les licences des entreprises ferroviaires et la proposition de directive du Conseil concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (n° E 1163),
PRÉSENTÉE
Par M. Pierre LEFEBVRE, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BECART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Nicole BORVO, MM. Robert BRET, Michel DUFFOUR, Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Gérard LE CAM, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR et Mme Odette TERRADE,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
La proposition d'acte communautaire n° E 1163 marque une étape supplémentaire dans le processus, engagé par la directive 91/440 relative au développement des chemins de fer communautaires, de libéralisation du secteur ferroviaire alors qu'aucun bilan n'a été réalisé sur l'efficacité de l'ouverture à la concurrence sur le développement du rail.
Les trois propositions de directives présentées par la Commission européenne tendent essentiellement à harmoniser certaines règles de répartition des capacités d'infrastructures ferroviaires, de tarification, ou de contrôle de sécurité avec l'objectif, à terme, de favoriser le développement du transport ferroviaire de marchandises.
Si l'on ne peut que souscrire à l'objectif d'accroître la part du rail dans le transport de marchandises, il semble cependant restrictif de l'envisager sous l'angle exclusif du coût d'utilisation de l'infrastructure, ignorant par ailleurs les nombreux atouts dont dispose potentiellement le fret ferroviaire : la densité du maillage du territoire, la fluidité du trafic, la sécurité du transport, le respect des horaires...
En outre, les exigences nouvelles qui émanent de la société en terme d'environnement, d'aménagement du territoire, de sécurité, les besoins qui s'expriment à l'égard du service public ferroviaire de la part des usagers, obligent chaque Etat de l'Union européenne à reconsidérer fondamentalement sa politique des transports.
La catastrophe du tunnel du Mont-Blanc intervenue le 24 mars dernier ou, plus récemment, celle du tunnel de Tauern en Autriche ont mis en lumière l'impérieuse nécessité de rompre avec une politique du «tout routier» et de développer l'intermodalité et le transport combiné.
Une véritable politique communautaire des transports doit se fixer pour objectif de favoriser les complémentarités et la coopération entre opérateurs nationaux à l'inverse d'une logique de marché qui met en concurrence les modes de transports et crée les déséquilibres dont nous subissons les effets et la nocivité.
C'est pourquoi nous estimons souhaitable de soutenir les efforts de l'actuel Gouvernement en vue de promouvoir les «corridors de fret» basés sur des accords de coopération plutôt qu'une mise en concurrence des réseaux nationaux sur le modèle des « freeways », qui ont montré leurs limites.
Or, force est de constater que la proposition d'acte communautaire n° E 1163 poursuit une démarche de libre concurrence tout à la fois intermodale et intramodale au lieu d'amener les Etats membres à développer leurs moyens de coopération et d'échange.
Nous jugeons qu'une telle orientation libérale n'est ni opportune alors que l'application de la directive de 1991 a montré les limites et les dangers d'un marché ouvert à la concurrence ni satisfaisante compte tenu des besoins nouveaux auxquels le marché n'est pas en mesure de répondre.
Ces trois propositions de directives contenues dans le document n° E 1163 ne visent en réalité qu'à procéder à la segmentation du système ferroviaire pour mieux faire régner la loi du marché.
A cette fin, la Commission européenne préconise de déposséder le gestionnaire d'infrastructure de ses prérogatives dans le domaine du contrôle de sécurité, de la tarification et de la répartition des capacités pour les confier à des organismes indépendants.
Outre le fait que de telles dispositions auraient pour conséquence de complexifier la structuration organique et institutionnelle du système ferroviaire français, il est à craindre également une déresponsabilisation du gestionnaire reconnu pourtant comme «monopole naturel ».
Il s'agit, ni plus ni moins, que de procéder progressivement au démantèlement du système ferroviaire, d'atomiser les services ferroviaires au mépris des principes d'unicité et de continuité qui caractérisent le service public à la française.
En outre, une tarification au coût marginal qui correspond « au coût supplémentaire qu'imposé à la collectivité l'utilisation de l'infrastructure par une unité de transport supplémentaire » semble ignorer une programmation des investissements sur le long terme des infrastructures dans un contexte d'endettement excessif de REF.
De même, la proposition de la Commission européenne d'introduire la notion de « candidat autorisé » réduirait les entreprises ferroviaires établies à une simple fonction de «traction» et attiserait les conditions de la concurrence.
Dans la même logique inacceptable, il est proposé d'étendre le champ d'application de la directive 95/18 concernant les licences des entreprises ferroviaires aux entreprises ferroviaires dont l'activité est limitée à l'exploitation des transports urbains, suburbains ou régionaux.
Jugeant que ces nombreuses dispositions constituées par le « paquet infrastructure ferroviaire » sont contraires au principe de subsidiarité et qu'à cet égard la Commission européenne outrepasse le cadre des ses missions, il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E 1163 relative aux transports ferroviaires,
Considérant que les trois propositions de directives de la Commission européenne conduisent à amplifier le processus de libéralisation du secteur ferroviaire engagé avec l'application de la directive 91/440/CEE, relative au développement des chemins de fer communautaires ;
Considérant qu'aucun bilan de la transposition de la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires n'a été réalisé ;
Considérant que l'ouverture à la concurrence constitue une menace pour le développement harmonieux du rail en général et ne permet pas d'atteindre l'objectif d'accroître la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises en particulier ;
Considérant que les propositions de directives ne tiennent aucun compte des expériences de coopération d'ores et déjà mises en oeuvre entre plusieurs Etats membres ;
Considérant que ces propositions de directives abordent l'harmonisation des transports ferroviaires de façon partielle et restrictive en ignorant les spécificités et les objectifs en matière de service public, les conditions de travail, d'emploi, de formation et de sécurité des salariés des entreprises ferroviaires, ainsi que la nécessité de complémentarité des différents modes de transport ;
Considérant que ces propositions de directives sont contraires au principe de subsidiarité en vertu duquel chaque Etat membre est libre de définir et de mettre en oeuvre les principes de tarification, la répartition des capacités, l'établissement des horaires, les règles de sécurité ou l'attribution des licences ;
Demande au Gouvernement :
- de rejeter en totalité les textes intitulés : « Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 91/440/CEE relative au développement des chemins de fer communautaires » ; « Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 95/18/CE concernant les licences des entreprises ferroviaires » ; « Proposition de directive du Conseil concernant la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité » (COM (98) 480 fmal/n°E1163);
- de refuser toute extension des dispositions de la directive 95/18/CE sur les licences des entreprises ferroviaires aux entreprises ferroviaires dont l'activité est limitée à l'exploitation des seuls transports urbains, suburbains ou régionaux ;
- de veiller à ce que chaque Etat membre demeure libre de définir et d'appliquer les règles de régulation et de sécurité de l'infrastructure ferroviaire ;
- de veiller à ce que chaque Etat membre demeure libre d'organiser la répartition des capacités de l'infrastructure et de déterminer l'établissement des horaires ;
- de veiller à ce que chaque Etat membre demeure libre de définir et d'appliquer les règles de tarification ;
- de veiller à ce que chaque Etat membre demeure libre de fixer les règles visant à sanctionner les actes à l'origine de défaillances du réseau ;
- de s'opposer à l'introduction d'une notion de «candidat autorisé » ;
- de s'opposer à une tarification au coût marginal qui ne prendrait pas en compte les conditions globales de financement des infrastructures, la nécessaire péréquation tarifaire et l'exigence de continuité du service public.
Invite le Gouvernement :
- à défendre une approche globale et transversale de la politique des transports de voyageurs et de marchandises intégrant les objectifs d'emploi, d'environnement, d'aménagement du territoire, de sécurité et les obligations de service public ;
- à proposer une harmonisation des conditions de travail, d'emploi, de formation et de sécurité des salariés des entreprises ferroviaires ainsi qu'entre les différents modes de transports ;
- à proposer une harmonisation des systèmes techniques ferroviaires entre les Etats membres ;
- à engager une réflexion au niveau communautaire visant à mettre à contribution les transporteurs routiers en faveur du développement du fret ferroviaire et de l'utilisation des voies navigables.