N° 327
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999
Annexe au procès-verbal
de la séance du 28 avril 1999
PROPOSITION DE
RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE
73
BIS
DU RÈGLEMENT,
sur :
-
la
proposition de règlement (CE)
du Conseil
définissant les modalités et conditions des actions structurelles
dans le secteur de la pêche (n° E-1203) ;
-
la
proposition de règlement (CE) du Conseil
portant organisation commune des marchés dans le secteur des
produits de la pêche et de l'aquaculture (n° E-1230),
PRÉSENTÉE
Par M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).
Union européenne.
Mesdames,
Messieurs,
Les propositions E 1203 et E 1230 concernent deux
aspects distincts mais complémentaires de la politique commune de la
pêche. Il paraît donc souhaitable que le Sénat puisse se
prononcer globalement à leur sujet. Avec ces deux textes, la Commission
européenne a en effet entrepris une réforme importante du cadre
communautaire de la pêche.
Il convient de rappeler que le tonnage
de la pêche française représente à peu près
10 % du tonnage communautaire. La production nationale est de l'ordre de
870.000 tonnes, dont les trois quarts proviennent de la pêche et un quart
des cultures marines. La contribution de la pêche au produit
intérieur brut est certes modeste ; cependant, on ne doit pas
sous-estimer son importance en termes d'aménagement du territoire :
elle emploie 22.000 personnes en métropole (les emplois induits
étant estimés à quelque 50 à 60.000) et environ
10.000 personnes dans les différentes collectivités d'outre-mer.
La plupart des entreprises de pêche françaises sont de taille
réduite et souffrent d'une faiblesse chronique de fonds propres. Dans ce
contexte, la production nationale n'a pas suivi la croissance de la demande en
produits de la mer, qui a pratiquement doublé en vingt ans. Il en
découle un déficit de la balance commerciale de l'ordre de
10,5 milliards de francs. D'une manière générale, la
filière " pêche " française se trouve dans une
situation fragile. Ces éléments doivent être pris en compte
dans l'appréciation des propositions de réforme
présentées par la Commission européenne.
I
- La proposition E 1203 : actions structurelles dans le secteur de la
pêche
• La proposition de règlement n°
COM (1998) 728 final tend à remplacer le règlement n°
3699/93 qui avait défini les conditions d'intervention de l'instrument
financier d'orientation de la pêche (IFOP), fonds structurel propre
à ce secteur d'activité.
Les objectifs assignés
aux actions structurelles dans le domaine de la pêche sont de contribuer
à atteindre un équilibre durable entre les ressources
halieutiques et leur exploitation, de renforcer la compétitivité
des entreprises dans une perspective de filière, d'améliorer
l'approvisionnement en produits de la pêche et de l'aquaculture, de
valoriser ces produits, et de contribuer à revitaliser les zones
dépendantes de la pêche.
Les principales mesures
prévues pour réaliser ces objectifs sont :
- un
nouveau système de renouvellement de la flotte, comprenant un
système permanent de contrôle des entrées et sorties ;
- un renforcement des sanctions à l'encontre des Etats
membres en cas de non-respect des obligations communautaires ;
- des mesures relatives aux " sociétés
mixtes " (sociétés commerciales constituées avec un
ou plusieurs partenaires d'un pays tiers, ayant pour objet une activité
commerciale dans le secteur de la pêche dans les eaux relevant de ce
pays, le navire étant enregistré dans celui-ci) ;
- des mesures relatives à la petite pêche
côtière ;
- des mesures concernant les
organisations de producteurs ;
- des mesures d'accompagnement
socio-économiques.
• Certains points du dispositif
proposé ont suscité de sérieuses réserves de la
part du Gouvernement.
Le régime de contrôle permanent des
entrées et sorties, tout d'abord, paraît excessivement rigide. Il
aboutit à une gestion individuelle des navires, puisque
chaque
construction ou remotorisation à puissance supérieure devra
être accompagnée de la radiation d'un navire de capacité au
moins équivalente en puissance et en jauge
, le navire
radié ne pouvant par ailleurs ni être transféré vers
un autre Etat membre, ni vers un pays tiers. Or, la France a toujours
plaidé pour une
gestion globale
des flottes de
pêche, qui apporte une souplesse nécessaire à la gestion
d'une flotte aussi hétérogène que la flotte
française. Une gestion individuelle des navires n'étant pas
nécessaire à la réalisation des objectifs des programmes
d'orientation pluriannuels (POP), la proposition de la Commission paraît,
sur ce point, clairement contraire au principe de subsidiarité.
Par ailleurs, l'insertion, dans un texte concernant les actions
structurelles, de dispositions relatives à l'élaboration et au
suivi des POP, à l'ajustement des efforts de pêche, et aux
sanctions en cas de non-respect des obligations communautaires, paraît
difficilement acceptable.
Une telle approche revient en effet à
vider par avance de leur substance les négociations sur le POP
V
, qui ne porteraient plus que sur les taux de réduction des
flottes de pêche sans aucune marge d'action sur les conditions dans
lesquelles elle s'effectuerait.
Les dispositions de l'article 5,
prévoyant un large transfert de compétences du Conseil à
la Commission pour l'élaboration des POP, paraissent également
étrangères à l'objet du texte.
En outre,
les mesures relatives aux aides au renouvellement et à la
modernisation de la flotte sont exagérément
restrictives
. En effet, la Commission européenne propose que
l'octroi d'aides à la construction de navires, et plus
généralement à la création de nouvelles
capacités, soit subordonnée à la destruction d'une
capacité égale à 130 % de la capacité
créée, en jauge et en puissance. Ainsi,
seul un
renouvellement s'accompagnant d'une diminution de la capacité de
pêche du navire pourrait bénéficier d'une aide
, ce
qui pourrait en pratique entraver fortement la modernisation de la flotte.
Enfin, la proposition prévoit une réduction du
barème des interventions communautaires dans les zones " objectif
2 ", ce qui est, là également, de nature à freiner la
modernisation de la flotte.
• Au total, trois points paraissent
particulièrement de nature à justifier une intervention du
Sénat pour inviter le Gouvernement à une ferme vigilance :
- le principe de subsidiarité doit être
respecté dans la gestion de chaque flotte de pêche, chaque Etat
devant pouvoir choisir le moyen le mieux adapté à la
réalisation des objectifs du POP ;
- il n'est pas
souhaitable d'adopter aujourd'hui des mesures qui
prédétermineraient le résultat des négociations sur
le POP V ;
- il est nécessaire de s'opposer aux
mesures risquant de paralyser le renouvellement de la flotte.
II - La proposition E 1230 : organisation commune des
marchés (OCM) des produits de la pêche et de
l'aquaculture
• La proposition de règlement COM
(1999) 55 final tend, quant à elle, à remplacer le
règlement 3759/92 traitant du volet " marché " de la
politique commune de la pêche. Les objectifs de la réforme
proposée sont :
- de contribuer à une
" gestion responsable " des ressources halieutiques ;
- de favoriser la transparence des marchés ;
- de donner un rôle accru aux organisations de producteurs
(OP) et d'encourager les partenariats entre les acteurs de la filière,
afin d'adapter dans la durée l'offre à la demande ;
- de rénover les mécanismes d'intervention, de
manière à réduire au minimum les " retraits
définitifs " du marché (en clair les destructions) et
à privilégier le " retrait report " ;
- de réformer la politique tarifaire de l'Union au nom de
la nécessité de
" mieux répondre aux besoins de
l'industrie de transformation "
.
Pour atteindre ces
objectifs, la Commission européenne propose un ensemble de
mesures :
- des règles plus strictes pour
l'information des consommateurs (dénomination du produit, méthode
de production, lieu de capture) ;
- l'obligation, pour les
OP, de mettre en oeuvre préventivement des mesures de gestion de
l'offre ; un soutien financier temporaire est prévu à cet
effet ;
- un encouragement financier aux OP pour la recherche
de nouveaux débouchés et la conclusion d'accords avec les
acheteurs avant les campagnes de pêche ;
- une
reconnaissance des organisations interprofession-nelles ;
- une diminution des aides et des quantités
éligibles pour le " retrait-destruction " (qui ne pourraient
excéder 8 % de la production contre 14 % à l'heure
actuelle), et à l'inverse une augmentation des quantités
éligibles à l'aide au " retrait-report " (qui
passeraient de 6 à 12 % de la production) s'accompagnant d'une
amélioration du régime de cette aide (montant, durée du
stockage) ;
- des mesures de suspension tarifaires d'une
durée indéterminée concernant certaines espèces
pour lesquelles l'offre communautaire est jugée insuffisante ou est
inexistante.
L'accroissement des dépenses de l'OCM serait de
l'ordre de 20 millions d'euros.
• Le Gouvernement
français a porté un jugement positif sur plusieurs aspects de ces
propositions : étiquetage minimal obligatoire des produits
jusqu'à la vente au détail, reconnaissance des organisations
interprofessionnelles, rôle accru des organisations de producteurs,
rénovation du régime des interventions. Il a cependant
souhaité que les encouragements financiers aux actions des OP soient
d'un niveau plus élevé, et que la réduction des
possibilités de " retrait-destruction " soit moins forte.
Enfin, il s'est opposé au nouveau régime de suspensions
tarifaires suggéré par la Commission, en estimant qu'un
approvisionnement à bas prix devait certes être assuré
chaque fois que cela s'avérait clairement nécessaire à
l'approvisionnement de l'industrie de transformation et à la
préservation de sa compétitivité, mais que les
importations ne devaient normalement intervenir qu'en complément de la
production communautaire disponible, ce qui s'opposait à la mise en
place d'un dispositif permanent de suspensions tarifaires.
• Le
nouveau régime tarifaire proposé par la Commission
européenne paraît effectivement le point le plus critiquable du
texte E 1230. Il revient à remplacer des
contingents
tarifaires autonomes
-c'est-à-dire des suspensions de droits
portant sur des quantités délimitées, pour une
durée déterminée- par des
suspensions
tarifaires
, c'est-à-dire des mesures permanentes et sans limite
de quantité. Comme les produits de la pêche sont partiellement
substituables entre eux, une telle mesure reviendrait en réalité
à organiser une concurrence à très bas prix à
certains secteurs de la pêche communautaire. La cohérence de la
politique communautaire de la pêche disparaîtrait : à
quoi bon soutenir la filière pêche et encourager une
" gestion responsable " de la ressource, si l'on adopte par ailleurs
une politique commerciale compromettant la survie de cette filière en
lui faisant subir de plein fouet la concurrence de pays tiers souvent
affranchis, pour leur part, de la plupart des contraintes pesant sur les
producteurs européens ? Certes, les intérêts de
l'industrie de transformation doivent être pris en compte. Mais la
technique des contingents tarifaires, déterminés à partir
de
bilans d'approvisionnement faisant apparaître
l'état des besoins et des disponibilités, permet de le faire en
assurant un équilibre avec la protection des intérêts des
producteurs communautaires.
Par ailleurs, il paraît souhaitable
d'insister sur l'importance de l'exigence de qualité des produits, aussi
bien pour accroître la satisfaction des consommateurs et
développer leur demande que pour assurer la viabilité de
l'ensemble de la filière. Cette exigence concerne certes la production,
mais aussi la commercialisation qui, à l'heure actuelle, s'effectue trop
souvent dans des conditions qui ne mettent pas suffisamment en valeur les
produits frais de la pêche communautaire face aux produits concurrents.
La proposition E 1230 attribue à cet égard un rôle
possible aux organisations interprofessionnelles, habilitées
(article 13) à engager des actions pour améliorer la
qualité des produits, favoriser leur valorisation, protéger des
appellations d'origine, labels de qualité et indications
géographiques.
Sans doute conviendrait-il de mettre davantage
l'accent sur ces orientations
-la proposition E 1230
privilégiant trop exclusivement la gestion de la ressource halieutique-
et de prévoir des efforts accrus d'incitation dans ce
domaine.
Enfin, dès lors qu'est assignée aux
organisations de producteurs la mission (article 5) de
" promouvoir les modes d'exploitation des pêcheries les plus
respectueux de l'équilibre des ressources et de la
biodiversité "
, il serait utile de préciser que cette
mission doit englober la limitation de la pêche minotière.
* *
*
Pour ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit, dont votre délégation pour l'Union européenne a approuvé le dépôt :
PROPOSITION DE RESOLUTION
Le Sénat,
Vu les textes E 1203 et E 1230
soumis au Sénat dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution,
Prenant en considération la situation fragile de nombreuses
entreprises de la filière pêche, et leur importance dans
l'aménagement du territoire,
Invite le Gouvernement :
1/ Au sujet du texte E 1203 :
- à veiller au respect du principe de subsidiarité
pour la gestion de chaque flotte ;
- à s'opposer aux
mesures portant par anticipation sur un nouveau programme d'orientation
pluriannuel ;
- à s'opposer aux conditions trop
restrictives posées pour l'octroi d'aides au renouvellement de la
flotte ;
2/ Au sujet du texte E 1230 :
- à obtenir que l'organisation des marchés accorde
toute sa place à l'exigence de qualité aussi bien au stade de la
production qu'à celui de la commercialisation ;
- dans
le cadre de l'objectif de gestion responsable de la ressource halieutique,
à faire figurer dans les objectifs assignés aux organisations de
producteurs la limitation de la pêche minotière ;
- à s'opposer au remplacement des contingents tarifaires
autonomes, consentis pour une durée déterminée afin de
répondre à des besoins identifiés de l'industrie de
transformation, par des mesures permanentes de suspensions tarifaires non
limitées en quantité.