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N° 331
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 avril 1997.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 avril 1997.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à créer une
commission
d'enquête
sur l
'industrie
automobile,
PRÉSENTÉE
Par M. Claude BILLARD, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mmes Danielle BIDARD-REYDET, Cohen-Seat Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM. Félix LEYZOUR, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Louis MINETTI, Robert PAGÈS, Jack RALITE et Ivan RENAR,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan et pour avis à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, en application de l'article 11, alinéa 1, du Règlement.)
Automobiles et cycles.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
La décision brutale de la direction de Renault de fermer une unité ultramoderne à Vilvorde en Belgique et l'annonce de 3 000 suppressions d'emplois en France dans les différents sites du groupe a suscité une émotion considérable en France et en Europe.
Cette nouvelle saignée intervient alors 40 000 emplois ont déjà été supprimés dans la perspective de la privatisation de Renault.
Le recul des immatriculations, estimé à au moins 10 % en 1997, ne doit pas masquer les pertes de marché des constructeurs français, y compris sur le territoire national ; c'est vrai pour Renault, mais aussi pour Peugeot.
L'argument souvent évoqué d'un excès des capacités de production par rapport à la demande ne saurait expliquer ces pertes de positions déjà constatées en 1996 dans un marché automobile pourtant alors en expansion.
Les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen sont solidaires des luttes menées par les salariés du groupe en Europe.
La fragilisation de l'industrie française de l'automobile aujourd'hui si préoccupante appelle un grand débat national associant tous les acteurs concernés afin que soit définie une politique cohérente intégrant un volet industriel, qui demeure indispensable, et une politique active de soutien au marché. Comment ne pas rappeler à cet égard qu'en France près de 10 % de la valeur ajoutée de l'industrie manufacturée sont dus à l'industrie automobile et que 770 000 personnes travaillent dans les activités de production (construction, équipements, fournitures) pour l'automobile.
Cela s'impose d'autant plus dans la perspective de 1999 et de l'ouverture totale du marché français et européen.
La stratégie industrielle des constructeurs français, et en particulier de Renault, débouche aujourd'hui sur l'échec et appelle à changer de cap.
La situation dans laquelle s'enferme aujourd'hui la direction de Renault est la conséquence de l'abandon, au fil des ans, avec l'aval des Gouvernements successifs, des missions d'intérêt général comme la maîtrise industrielle nationale, l'aménagement du territoire, le progrès social dont la nationalisation était porteuse. L'enjeu d'une renationalisation de Renault est de permettre de nouvelles coopérations, notamment entre les constructeurs français, mettant fin à la guerre, meurtrière pour l'emploi, qu'ils se livrent aujourd'hui par leur course à la rentabilité financière.
Pendant près de dix ans, Renault a mis à profit l'amélioration fragile de son résultat net, liée à la succession de plans sociaux et à la vente de certaines filiales stratégiques, pour permettre le désendettement du groupe suite à l'aventure américaine. Renault a consacré ses efforts sur Renault-finances qui a dégagé quelque 40 milliards de francs de profit sur la période, mais dans cette course bien des clients ont été perdus.
Des investissements ont certes été réalisés, mais ce sont essentiellement des investissements de productivité servant à supprimer des emplois au nom de la réduction des coûts et des temps de montage des véhicules.
Dans un souci de réduction des coûts, de nombreuses capacités de production ont ainsi été détruites, compromettant par la même la réponse aux besoins des clients, comme le prouve aujourd'hui l'exemple de la Scénic.
Cette stratégie a notamment conduit à sous-estimer les prévisions des ventes, sachant qu'en cas de succès des commandes, la flexibilité du travail et des horaires permettrait de gérer les à-coups commerciaux.
Ce choix du flux tendu et de la flexibilité, qui ne permet pas de répondre dans des délais satisfaisants à la demande des consommateurs, pénalise en définitive un succès commercial fondé sur l'avance prise par Renault sur le monospace, estimée à plus d'un an, en renforçant les conditions d'exploitation des salariés.
La vente progressive de toutes les activités annexes (75 % des pièces pour certaines voitures sont achetées à l'extérieur) aboutit à cet effet pervers que Renault perd une grande part de la maîtrise de ses coûts et donc en définitive de sa politique des prix. Elle pousse à la fuite en avant dans l'intensification et la flexibilité du travail, comme à Renault Douai, où la direction refuse d'embaucher malgré l'abondance du carnet de commandes.
Ce choix contribue à affaiblir la production automobile française dans son ensemble en accentuant sa dépendance vis-à-vis des groupes américains, allemands et japonais par filiales interposées, ces derniers dominant largement l'industrie équipementière.
Si les grands constructeurs, sous prétexte de retour aux bénéfices, licenciaient 40 000 personnes, d'ici à trois ans l'industrie automobile se retrouverait dans une situation identique sinon pire et le problème de la compétitivité de nos constructeurs ne serait pas réglé pour autant.
Des menaces pèsent également sur des secteurs essentiels comme celui du poid lourd, à travers RVI.
D'autres voies mériteraient d'être explorées : Renault doit rompre avec la logique de l'argent pour l'argent, pour remettre au centre l'effort industriel, la satisfaction des clients, la qualification du personnel et l'emploi.
Cela implique une profonde réorganisation, l'arrêt de la politique de sous-traitance, la réintégration des fonctions stratégiques, de ne plus considérer le social, la formation des hommes, comme un coût qu'il faut réduire, mais au contraire comme une dimension de la productivité globale de l'entreprise. Cela appelle de nouveaux droits pour les salariés. C'est dans cette perspective que pourraient être engagées des négociations sur la réduction du temps de travail sans perte de salaire.
Pour Peugeot et Renault, des économies pourraient être recherchées par une logique de coopération permettant notamment le partage des coûts de recherche et d'innovation. Les voitures devront demain être plus propres et plus sûres ; en témoignent à cet égard les recherches en cours, qui devraient être accélérées, sur les nouveaux carburants, sur de nouveaux types de carburation économes et moins polluants, si ce n'est sur de nouveaux types de motorisation.
Définir une politique cohérente de soutien au marché notamment que représente la voiture aujourd'hui : elle est un bien économique au même titre que le logement.
Comme tous les biens de consommation durables, les biens d'équipement des ménages sont par définition sensibles à la variation du revenu, et notamment aux anticipations ; cela se vérifie particulièrement s'agissant de l'automobile, qui est un bien dont on peut d'autant différer le renouvellement que la fiabilité et la longévité des automobiles se sont largement accrues ces dernières années. Des études de l'INSEE ont montré que les ventes automobiles n'adopteraient une évolution positive que si la consommation des ménages s'accroissait à un rythme supérieur à 2 % par an.
Les limites des dispositifs ponctuels de soutien à la consommation sous forme de versement de primes, en particulier s'agissant de son impact sur la vente de modèles français, appellent à définir un dispositif pouvant associer tant les pouvoirs publics, les constructeurs que le secteur bancaire, et jouant sur différentes dispositions comme des formules d'épargne bonifiée. Les sénateurs communistes républicains et citoyens ont avancé la proposition d'un livret d'épargne automobile, la baisse de la TVA, ou le versement de primes.
Une commission d'enquête parlementaire devrait donc étudier la situation et les perspectives tant de la branche que du marché automobile et proposer des mesures en matière de politique industrielle et de soutien du marché.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
En application de l'article 11 du Règlement et de l'article 6 de l'ordonnance n 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d'enquête parlementaire de vingt et un membres pour étudier la situation de la branche automobile française et toutes dispositions pouvant être engagées en matière de politique industrielle et de soutien au marché à même de favoriser l'activité et l'emploi dans ce secteur.