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N° 507
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 juin 1996.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 septembre 1996.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT sur la proposition de règlement (CE) du Conseil prévoyant la réduction du taux applicable aux importations réalisées en application du contingent tarifaire OMC pour certains animaux bovins vivants (n° E-676),
par M. Philippe FRANÇOIS,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne. - Politique agricole commune.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Dans le cadre des accords du GATT, la Communauté s'est engagée à ouvrir un contingent tarifaire annuel de 169.000 têtes de bovins vivants. Le taux applicable aux importations faites dans le cadre de contingent est composé d'un droit ad valorem de 16 % auquel s'ajoute un droit spécifique de 582 écus par tonne. Toutefois, ce droit spécifique a été abaissé à 399 Écus/tonne dans le cas des Pays associés d'Europe centrale et orientale (PAECO).
La proposition E 676 tend à faire bénéficier toutes les importations de bovins vivants, réalisées dans le cadre de ce contingent tarifaire, du droit spécifique réduit appliqué aux PAECO.
L'argument avancé par la commission européenne pour justifier sa proposition est qu'il serait « peu compatible avec les obligations de la Communauté » contractées dans le cadre du GATT d'appliquer le taux réduit uniquement aux bovins importés d'Europe de l'Est.
Cette justification ne paraît pas satisfaisante : elle semble dénier à la Communauté le droit de conclure des accords préférentiels avec les PAECO. alors qu'il s'agit là d'une nécessité dans la perspective de l'adhésion de ces pays à l'Union.
Certes, la portée pratique de la mesure proposée est limitée, dans la mesure où dans les faits ce sont presque exclusivement des bovins originaires des PAECO qui sont importés dans le cadre du contingent tarifaire.
Cependant, compte tenu de la crise profonde que traverse le marché communautaire de la viande bovine, il est manifestement inapproprié de présenter une proposition qui - quand bien même ses conséquences seraient très réduites - tend à favoriser les importations alors même que la Communauté dispose d'excédents considérables.
Surtout, cette proposition doit être rapprochée des autres mesures avancées par la commission européenne pour faire face à la crise que traverse l'O.C.M. de la viande bovine.
Dans la proposition COM (96) 422 final qu'elle a présentée le 30 juillet dernier, la commission européenne prévoit en effet diverses mesures destinées à rétablir l'équilibre du marché de la viande bovine, et suggère de les financer en grande partie par une diminution des aides compensatoires instituées pour le secteur des grandes cultures par la réforme de la PAC de 1992.
Les mesures concernant le marché de la viande bovine
La crise de la « vache folle » a suscité une baisse de la consommation de viande bovine, une chute importante des prix et une forte baisse du revenu des éleveurs.
• Dans le courant de l'été, la
Communauté a décidé des mesures exceptionnelles pour faire
face à cette situation :
- pour l'année 1996, un complément a été ajouté à la prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) et à la prime spéciale au bovin mâle (PSBM) ; la PMTVA et la PSBM ont été ainsi respectivement augmentées de 27 et 23 Écus ;
- les broutards (animaux de moins de dix mois et de moins de 300 kg vifs) ont été admis à l'intervention, c'est-à-dire ont fait l'objet d'achats publics.
Ces mesures d'urgence n'ont pas suffi à résoudre les difficultés du secteur qui, avant même la crise de la « vache folle ». souffrait d'une tendance à un excès de l'offre.
• La proposition présentée par la
commission européenne le 30 juillet tend à réformer
durablement l'OCM de la viande bovine. Elle prévoit :
- une réduction des plafonds concernant le nombre maximum de bovins mâles susceptibles d'ouvrir droit à la PSBM. Ces plafonds seraient fixés au nombre de primes versées en 1995, diminué de cinq pour cent ;
- l'obligation pour les États membres de mettre en place le programme dit de « transformation » des jeunes veaux. Ce programme, défini lors de la réforme de la PAC de 1992, n'a été appliqué jusqu'à présent qu'au Royaume-Uni ; il prévoit le versement d'une prime pour l'abattage des veaux mâles de moins de dix jours, issus de vaches allaitantes non destinées à la consommation. En outre, la prime de « transformation » pourrait être désormais versée, à l'initiative des États membres, pour les veaux mâles abattus jusqu'à l'âge de vingt jours à condition qu'ils soient exclus de la chaîne d'alimentation humaine. La prime serait également versée pour les jeunes veaux appartenant à une race à viande et abattus avant l'âge de six semaines ;
- la modification des conditions d'octroi de la prime à l'extensification. Le taux de chargement pour bénéficier de cette prime passerait de 1,4 à 1,2 UGB (unité de gros bétail) par hectare. Le montant de la prime (36,23 Écus/tête) passerait à 54 Écus pour un taux de chargement inférieur à 1 UGB/hectare ;
- le relèvement des plafonds des achats à l'intervention, qui atteindraient 720.000 tonnes en 1996 (la réforme de la PAC de 1992 prévoyait 400.000 tonnes) et 500.000 tonnes en 1997 (contre 350.000 tonnes selon la réforme) ;
- l'introduction d'une mesure spéciale d'intervention pour les jeunes bovins mâles âgés de 7 à 9 mois et de moins de 300 kg ;
- une réforme du volet « structures » de l'OCM, rendant plus restrictifs les critères d'éligibilité aux aides. Seules subsisteraient les aides aux jeunes agriculteurs et les aides aux investissements concernant la protection de l'environnement, l'hygiène et le bien-être des animaux à condition qu'il n'en résulte aucune augmentation de la capacité de production.
Les différentes mesures ainsi proposées constituent un premier pas en vue d'un nouvel équilibre du marché. Cependant, elles restent manifestement insuffisantes pour résoudre les difficultés particulières des éleveurs de broutards, qui appelleraient une forte revalorisation de la PMTVA.
Par ailleurs, le mode de financement retenu par la commission paraît particulièrement inapproprié.
Le financement : une réduction des aides compensatoires pour les grandes cultures.
La commission européenne prévoit de compenser le coût des mesures concernant la réforme de l'OCM de la viande bovine par une réduction des aides directes instituées en 1992 pour les grandes cultures. Elle propose ainsi une diminution :
- de l'aide pour les céréales de 54,34 Écus/tonne à 50,37 Écus/tonnes ;
- de l'aide pour le blé dur dans les zones traditionnelles de 358,6 Écus/hectare à 332,42 Écus/hectare, et dans les zones non traditionnelles de 138,9 Écus/hectare à 128,76 Écus/hectare ;
- du montant de référence pour les graines oléagineuses (utilisé pour le calcul de l'aide) de 433,5 Écus/hectare à 415,24 Écus/hectare ;
- de l'aide pour le gel des terres de 68,83 Écus/tonne à 50,37 Écus/tonne ;
- du montant de référence pour le lin non textile de 105,1 Écus/tonne à 97,43 Écus/tonne.
Ainsi, les aides compensatoires diminueraient de 7,3% pour les céréales et le blé dur et de 4,2% pour les oléagineux, tandis que l'indemnisation pour le gel des terres diminuerait de 26,8%.
Ces propositions ne s'appliquant qu'à partir de la récolte de 1997, les économies obtenues concerneront en fait le budget de 1998. La commission propose donc de retarder en 1997 le paiement de l'avance pour les graines oléagineuses, de manière à disposer dans le budget 1997 d'une marge permettant de financer les mesures concernant la viande bovine.
Le mode financement ainsi proposé ne peut être accepté
Il est pour le moins paradoxal de financer de manière pérenne des mesures dont l'impact sur le budget communautaire sera conjoncturel. La réduction des aides compensatoires pour les grandes cultures entraînera ainsi des économies d'environ 1,3 milliard d'Écus en 1997 et 1998, puis de 1,65 milliard d'Écus en 1999 et 2000, alors que les mesures concernant la viande bovine n'entraîneraient pas de surcoût après 1998. Dans ces conditions, il est difficile de se défendre du sentiment que la crise de la « vache folle » sert de justification à une remise en cause subreptice des règles de la politique agricole commune.
La diminution des aides compensatoires instaurées par la réforme de 1992 compromettrait l'équilibre de cette réforme, décidée pour la période 1992-1999 : les engagements pris quant à la stabilité de ces aides en étaient, en effet, un des éléments essentiels ; c'est à la demande de la Communauté elle-même que les producteurs ont fondé la gestion de leurs exploitations sur cette donnée.
Les mesures proposées pèseraient dans la durée sur toutes les exploitations engagées dans les grandes cultures alors que certaines de celles-ci sont encore dans une situation fragile et que nul ne peut garantir que la conjoncture plus favorable que connaît actuellement le secteur va se prolonger.
En outre, par ces mesures, la communauté affaiblirait elle-même singulièrement sa position dans la perspective de la reprise des négociations agricoles au sein de l'OMC.
La démarche de la commission européenne ne peut, au demeurant, s'appuyer sur des considérations d'équité. Il n'y a, à l'évidence, aucun lien entre les paiements compensatoires aujourd'hui remis en cause et la crise du marché bovin : bien au contraire, l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins, qui est indirectement à l'origine de cette crise, s'est développée au détriment des débouchés des productions végétales.
Si le financement des mesures nécessaires au rééquilibrage du marché de la viande bovine peut appeler un effort de solidarité, celui-ci ne peut prendre la forme de mesures à caractère permanent, altérant l'équilibre de la réforme de 1992 et revenant sur les engagements pris par la Communauté, d'autant que l'impact des mesures proposées n'a manifestement pas fait l'objet d'une évaluation suffisante. En particulier, le fait que nombre de producteurs de viande bovine sont également producteurs de céréales ne paraît pas avoir été véritablement pris en compte. De même, les conséquences très lourdes qu'entraînerait la forte réduction des compensations pour le gel des terres sur les cultures oléagineuses destinées à un usage non alimentaire semblent avoir été sous-estimées.
D'une manière générale, la nécessité de financer les mesures concernant l'élevage bovin par des mesures pénalisant les autres productions agricoles ne paraît pas établie. La situation actuelle du marché des céréales est une source d'économies importantes pour le budget communautaire : la marge ainsi dégagée devrait permettre le financement d'une partie au moins des mesures proposées. En outre, des économies paraissent pouvoir être réalisées sur d'autres secteurs du budget communautaire que le secteur agricole : en particulier, les subventions qu'accorde la Communauté, dans des domaines très variés, à des programmes d'une utilité incertaine pourraient être revues dans cette optique.
Pour ces raisons, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution qui suit :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E 676,
Considérant que cette proposition tend à appliquer à toutes les importations de bovins vivants réalisées au titre du contingent tarifaire prévu par les accords de l'Organisation mondiale du commerce, quelle que soit leur origine, le tarif préférentiel accordé aux importations en provenance des pays associés d'Europe centrale et orientale.
Considérant que la situation du marché communautaire de la viande bovine rend inopportune toute mesure susceptible de favoriser, fût-ce pour des quantités réduites, les importations sur ce marché.
Considérant par ailleurs que la proposition n° E 676 doit être replacée dans le contexte de l'ensemble des mesures proposées par la commission européenne pour rétablir l'équilibre du marché communautaire de la viande bovine ; que, pour le financement de ces mesures, la commission européenne prévoit de diminuer de manière permanente les aides compensatoires instituées pour les grandes cultures par la réforme de la politique agricole commune adoptée en 1992 pour la période 1992-1999 ; qu'une telle diminution serait contraire à l'engagement de stabilité des aides pris lors de cette réforme, et affaiblirait la position de la Communauté dans la perspective de la reprise des négociations commerciales multilatérales.
Invite le Gouvernement
- à s'opposer à la proposition d'acte communautaire n° E 676 ;
- à veiller à ce que le financement des mesures rendues nécessaires par la crise du marché de la viande bovine soit assuré dans le respect des équilibres de la réforme de la politique agricole commune de 1992, et selon des modalités préservant l'avenir de cette politique dans la perspective des prochaines négociations internationales.