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N° 434
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 14 juin 1996.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211),
par Mme Danièle POURTAUD,
MM. Jean BESSON, Claude ESTIER
et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, François Autain, Germain Authié, Robert Badinter, Mmes Monique ben Guiga, Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Jacques Bialski, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Jean-Louis Carrère, Robert Castaing, Francis Cavalier-Bénezet, Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, William Chervy, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Gérard Delfau, Jean-Pierre Demerliat, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, M. Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous, Aubert Garcia, Gérard Gaud, Roland Huguet, Philippe Labeyrie, Guy Lèguevaques, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, Michel Manet, Jean-Pierre Masseret, Marc Massion, Pierre Mauroy, Georges Mazars, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Jean-Claude Peyronnet, Louis Philibert, Mme Danièle Pourtaud, MM. Claude Pradille, Roger Quilliot, Paul Raoult, René Regnault, Alain Richard, Roger Rinchet, Michel Rocard, Gérard Roujas, René Rouquet, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Fernand Tardy, André Vézinhet, Marcel Vidal, Henri Weber.
(2) Apparentés : MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla, Claude Lise.
EXPOSE DES MOTIFS
Mesdames. Messieurs.
En 1992 la Commission européenne a présenté une proposition de directive visant à libéraliser le marché de l'électricité en Europe. Cette proposition fait l'objet de discussions difficiles depuis quatre ans au sein du Conseil de l'Union européenne.
Lors de la dernière réunion du Conseil, le 7 mai, les ministres sont convenus de se retrouver lors d'un Conseil extraordinaire qui se déroulera le 20 juin prochain et qui pourrait conduire à l'adoption d'une position commune. Dans ces conditions, la directive pourrait être adoptée avant la fin de cette année.
L'accord qui semble se dégager conduirait à une ouverture à la concurrence de la production d'électricité et permettrait à de grandes entreprises industrielles de s'approvisionner auprès du fournisseur de leur choix. Progressivement, l'ouverture à la concurrence serait accentuée dans les années à venir au détriment des consommateurs captifs et du service public.
Un tel accord serait en contradiction totale avec les résolutions adoptées par le Sénat et l'Assemblée nationale au cours des dernières années. Le Sénat a en effet adopté le 30 juin 1994 une résolution dans laquelle il invitait le Gouvernement « à refuser toute forme d'accès des tiers au réseau, tant dans le secteur de l'électricité que dans celui du gaz ».
Parallèlement, dans une résolution adoptée le 20 juin 1994, l'Assemblée nationale avait souligné qu'elle « s'oppose à toute tentative d'introduire l'accès des tiers au réseau ainsi qu'à toute autre initiative, dès lors qu`elle porterait atteinte aux monopoles de transport et de distribution ».
Or, le fait de permettre à des industriels d'acheter directement de l'électricité au producteur de leur choix est très exactement un Accès des Tiers au Réseau.
Le Gouvernement s'apprête donc à passer outre les résolutions des deux Assemblées pour accepter un accord qui, en apparence, permet de maintenir le service public et la programmation à long terme des investissements, mais qui. en réalité, constitue une première brèche appelée à s'élargir inéluctablement.
Pour justifier ses concessions, le Gouvernement explique qu'une directive est indispensable, dans la mesure où la Cour de Justice des Communautés européennes risque de condamner prochainement le monopole d'importation et d'exportation d'E.D.F.
Rien ne permet pourtant de préjuger d'une décision de la Cour de justice qui a rendu, au cours des dernières années, deux arrêts importants (arrêt CORBEAU en 1993. arrêt ALMELO en 1994) dans lesquels elle a reconnu la possibilité de limiter la concurrence lorsque celle-ci risque d'empêcher l'accomplissement de missions d'intérêt économique général. Dans l'arrêt ALMELO, la Cour a notamment indiqué : « des restrictions à la concurrence de la part d'autres opérateurs économiques doivent être admises, dans la mesure où elles s `avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci. A cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise ».
Dans ces conditions, il est loin d'être acquis que la Cour de justice condamnera la France pour le maintien de ses monopoles.
Par ailleurs, le Premier Ministre a indiqué en décembre 1995 qu'il était nécessaire de modifier le Traité sur l'Union européenne en ce qui concerne les services publics afin que ces derniers soient davantage pris en compte. A la demande de la France, le programme de la Conférence intergouvernementale défini à Turin comporte la mention suivante : « La Conférence intergouvernementale pourrait aussi aborder la question de la compatibilité entre la concurrence et les principes de l'accès universel aux services essentiels, dans l'intérêt du citoyen ».
Alors que la Conférence intergouvernementale doit discuter à la demande de la France de la place des services publics dans la construction européenne, il est regrettable que le Gouvernement français soit si pressé de conclure les négociations sur le marché intérieur de l'électricité en faisant des concessions lourdes de conséquences pour l'avenir.
Enfin, il convient de noter que le Gouvernement s'apprête à accepter un accord sans associer d'une quelconque manière le Parlement aux négociations. L'organisation d'un débat ne semble pourtant pas superflue sur une question aussi importante. Faute de quoi, il ne restera au Parlement qu'à entériner passivement par une loi de transposition des décisions prises par le seul Gouvernement.
C'est pourquoi il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat.
Vu la proposition d'acte communautaire E 211 ;
Considérant que le Conseil de l'Union européenne pourrait adopter une position commune sur la proposition E 211 relative au marché intérieur de l'électricité le 20 juin prochain ;
Considérant que l'accord envisagé conduirait à une ouverture à la concurrence appelée à croître régulièrement ; que la possibilité pour certains industriels de négocier directement l'achat d'électricité auprès de producteurs constitue une forme d'accès des tiers au réseau qui risque de se généraliser ;
Considérant que dans des résolutions adoptées en 1994 le Sénat et l'Assemblée nationale se sont opposés à toute forme d'accès des tiers au réseau ;
Considérant que la Conférence intergouvernementale qui s'est ouverte le 29 mars dernier doit notamment réfléchir à une meilleure prise en compte des services publics dans le Traité de Rome ;
Considérant qu'il est indispensable que le Parlement soit associé aux décisions qui pourraient être prises sur le dossier du marché intérieur de l'électricité, compte tenu de leurs implications sur l'organisation de ce secteur en France :
- rappelle au Gouvernement que le Sénat et l'Assemblée nationale ont adopté des résolutions sur la proposition d'acte communautaire E 211 et lui demande de prendre pleinement en considérations les positions défendues par le Parlement ;
- souligne qu'il n'existe pas de nécessité d'adopter dans de brefs délais une directive sur le marché intérieur de l'électricité, alors même que la Conférence intergouvernementale est appelée à débattre de la place des services publics dans la construction communautaire ;
- souhaite que le Gouvernement associe pleinement la représentation nationale aux négociations en cours, et ce, avant toute prise de décisions irréversibles dans un domaine aussi sensible pour l'indépendance de notre politique énergétique, pour la sécurité de notre approvisionnement, pour l'aménagement du territoire et enfin pour la bonne marche et la survie du service public ;
- en conséquence, demande au Gouvernement d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat cette proposition de résolution avant le Conseil de l'énergie du 20 juin prochain.