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N° 306
SÉNAT
SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1994-1995
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 7 juin 1995. Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juin 1995.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur l' avant-projet de budget général des Communautés européennes pour l'exercice 1996 ; Aperçu général (n° E 422),
par M. Jacques OUDIN,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
« L'Europe qui se construit aujourd'hui doit reposer sur des pratiques, en particulier financières, qui ne peuvent souffrir du moindre doute. C'est -il ne faut point le cacher- un exercice difficile, alors que certains ont voulu, dans le passé, favoriser la construction européenne sans vérifier, ou justifier, la régularité de la dépense communautaire », tel était l'objet de mon rapport déposé, au nom de la Délégation parlementaire pour l'Union européenne, le 18 novembre 1993, sur les conditions d'utilisation des fonds communautaires.
L'examen par le Sénat, dans le cadre de la procédure instituée par l'article 88-4 de la Constitution, de l'avant-projet de budget pour 1996, qui a été adopté par la Commission européenne le 26 avril 1995, est l'occasion privilégiée pour rappeler au gouvernement nos préoccupations en la matière.
Les propositions de dépenses de la Commission pour 1996 s'élèvent à 86,280 milliards d'Ecus en crédits d'engagement (soit pour 1 Ecu = 6,56833 francs, 566,715 milliards de francs) et 81,927 milliards d'Ecus en crédits de paiement (soit 538,123 milliards de francs). Cet avant-projet de budget, qui sera examiné en première lecture par le Conseil des Ministres Budget le 24 juillet prochain, est en augmentation de 8 % par rapport au budget de 1995.
Selon M. Erkki LIIKANEN, Commissaire chargé du budget, « cet avant-projet de budget est placé sous le signe de la rigueur ». On peut se demander si le mot rigueur a le même sens à Bruxelles et dans les États-membres, car la rigueur, pour les budgets nationaux, signifie à l'heure actuelle une progression annuelle très inférieure à l'inflation, qui a été de l'ordre de 3,3 % en Europe en 1994. La progression des budgets nationaux sera ainsi, en 1995, de 0 % au Royaume-Uni, de 0,9 % pour l'Allemagne, de 1,9 % pour la France, de 2,3 % pour l'Italie et de 3,4 % pour l'Espagne. Le PIB de l'Europe des Quinze n'aura progressé que de 2,6 % en 1994 et ne progressera que de 2,9 % en 1995. Il faut par ailleurs remonter à 1984, en France, pour constater une progression du budget de l'ordre de 8 %.
Le projet de la Commission européenne respecte certes les plafonds de dépenses adoptés lors du Conseil européen d'Édimbourg en décembre 1992, ainsi que leur révision consécutive à l'élargissement de l'Union au 1er janvier 1995. Le Commissaire européen tient cependant à souligner que « la Commission propose le maintien de marges inutilisées significatives... afin de laisser à l'autorité budgétaire la possibilité d'accentuer ses propres priorités ». Cette précaution était bien inutile, car le Parlement européen cherchera certainement à utiliser la totalité de la marge financière offerte par les perspectives pluriannuelles au cours de la procédure budgétaire.
L'avant-projet de budget suscite ainsi trois préoccupations qui s'ajoutent à trois interrogations traditionnelles.
1°) La première préoccupation porte sur la progression continue du financement des actions considérées comme prioritaires par la Commission : à savoir la cohésion économique et les actions extérieures.
Au titre de la cohésion économique, les dépenses de la politique dite d'actions structurelles progressent de 10,64 % se décomposant en 26,579 milliards d'Ecus pour les Fonds structurels (+ 10,43 %), 2,444 milliards d'Ecus pour le Fonds de cohésion (+ 13,57 %), et 108 millions d'Ecus (nouvelle ligne budgétaire) pour le mécanisme financier dit de «l'Espace économique européen», soit au total 29,131 milliards d'Ecus (191,34 milliards de francs).
Votre délégation, dans un rapport n° 325 du 2 juin 1993 présenté par M. Jacques GENTON, Président, s'est émue des critiques sévères de la Cour des Comptes des Communautés européennes au regard du manque de cohérence des projets financés par rapport aux objectifs communautaires et aux besoins des régions intéressées. Le Parlement européen, quant à lui, a déploré la multiplicité des missions des fonds, la dispersion des aides, l'absence de programmes globaux d'intervention, le manque de coordination des fonds, enfin la lourdeur et la complexité des procédures.
Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 1994, la Cour des Comptes des Communautés émet un jugement nuancé quant aux résultats de la réforme des Fonds structurels engagée par le Conseil en 1988 en application des dispositions nouvelles introduites dans le traité de Rome (article 130 A à 130 E) par l'Acte unique européen de 1987. Elle note par exemple que « les mécanismes actuels de mise à la disposition des contributions financières communautaires permettent aux divers intermédiaires (banques commerciales et Trésors nationaux) de bénéficier pendant un certain temps du produit des sommes en transit. La vocation première des fonds communautaires de promouvoir le développement régional est ainsi temporairement détourné à d'autres fins... L'évaluation qualitative, mais surtout quantitative reste encore déficiente. Les effets socio-économiques des interventions communautaires ne sont pas évalués ou le sont de façon insuffisante. Les efforts entrepris pour développer le partenariat et la participation effective des pouvoirs locaux n'ont pas encore permis d'obtenir l'assurance que les Fonds structurels, dont l'importance en tant que moyen de la cohésion économique et sociale est indiscutable et indiscutée, sont utilisés de la manière la plus efficace possible ».
L'assainissement de la gestion des Fonds structurels est d'autant plus impératif que l'Union sera prochainement confrontée aux effets budgétaires de l'éventuelle adhésion des pays de l'Europe centrale et orientale. Selon certaines estimations qui demandent à être confirmées, l'élargissement à ces pays supposerait une augmentation d'environ 60 % du budget de l'Union. La source essentielle d'alourdissement des dépenses budgétaires proviendrait précisément de la participation de ces pays au système des Fonds structurels. Il ne serait donc pas illogique d'entreprendre dès à présent une révision des orientations budgétaires de moyen-terme des finances communautaires, ou, à tout le moins, un redéploiement des dépenses jugées peu efficaces.
Au titre des actions extérieures la coopération avec les pays méditerranéens progresse de + 29,6 % et les crédits déjà importants destinés aux pays d'Europe centrale et orientale (programme PHARE) sont relevés de + 5,4%.
Sur ce poste budgétaire, dans une proposition de résolution n° 576 que j'avais déposée le 4 juillet 1994, m'appuyant sur les constats de la Cour des Comptes des Communautés européennes, j'avais demandé des garanties de meilleure utilisation des crédits et j'avais invité le gouvernement à obtenir.
- une meilleure coordination du programme PHARE avec les aides des États membres de l'Union ainsi qu'avec les actions de la BEI et de la BERD,
- une association plus étroite des pays bénéficiaires à la préparation et à l'exécution des programmes,
- un recentrage de l'assistance technique vers des projets d'une utilité indiscutable, une meilleure maîtrise des coûts de cette assistance et un contrôle de sa qualité et de son efficacité,
- une plus grande transparence dans l'attribution des contrats et une plus large diffusion de l'information sur les projets, notamment auprès des administrations des États membres,
- enfin une réorientation de l'aide vers le soutien à la modernisation des infrastructures et le développement du secteur privé, en liaison notamment avec les activités de la BERD.
Le Conseil devrait vérifier que le programme d'aide aux pays d'Europe centrale et orientale répond bien à ces critères avant d'accepter les propositions de la Commission.
2°) La seconde préoccupation porte sur la ligne directrice agricole qui, bien qu'augmentée sensiblement par rapport à 1995, ne suffit pas, au stade actuel, à couvrir les besoins, puisque ceux-ci, appréciés à partir des paramètres aujourd'hui disponibles ou prévisibles, excèdent cette ligne directrice de près de 900 millions d'Ecus. Or la Commission indique que ce chiffre « pourrait augmenter du fait du coût des mouvements monétaires récents entre les monnaies communautaires ».
La question est d'autant plus préoccupante que le Parlement européen, au cours de la procédure budgétaire pour 1995, a reclassifié les dépenses agricoles en dépenses non obligatoires (DNO), sur lesquelles il dispose du dernier mot ; le Conseil a fort heureusement engagé une procédure contentieuse devant la Cour de Justice des Communautés européennes, car il conteste le droit du Parlement à procéder à cette reclassification qu'il estime contraire au traité ; dans l'attente de la décision de la Cour, le risque est cependant grand que le budget ne puisse abonder les dépenses de la PAC.
Il est très souhaitable que le budget de la Politique Agricole Commune, socle de 1'Europe, soit honoré, conformément aux engagements pris vis-à-vis de nos agriculteurs. Par conséquent il importe que des réductions de dépenses soient d'ores et déjà envisagées sur certaines lignes proposées par la Commission, afin d'abonder à due concurrence les insuffisances de financement de la ligne budgétaire agricole qui pourraient intervenir au cours de l'année 1996.
3°) La troisième préoccupation concerne la répartition du financement par type de recettes, telle qu'elle apparaît dans le tableau suivant.
Type de recettes |
Budget |
1995 |
Budget |
1996 |
Montant |
% |
Montant |
% |
|
Prélèvement agricoles et sucres |
1.963,8 |
2,6 |
1.935,5 |
2,4 |
Droits de douane |
12.942,1 |
17,2 |
12.852,9 |
15,7 |
Taxe sur la valeur ajoutée |
39.893,9 |
52,9 |
34.594,3 |
42,2 |
Ressource complémentaire |
15.444,8 |
20,5 |
31.971,7 |
39,0 |
Excédents disponibles de l'exercice précédent |
4.666,0 |
6,2 |
- |
- |
Divers |
527,8 |
0,7 |
573,5 |
0,7 |
Total |
75.438,4 |
100 |
81.927,9 |
100 |
Source : Commission européenne
On constate en effet qu'entre 1995 et 1996, les recettes provenant des droits de douane et de la TVA régressent de 10,1 %, leur part passant de 72,7 à 60,3 % des ressources, alors que la quatrième ressource assise sur le PNB progresse de 107 %, sa part passant de 20,5 à 39 % des recettes.
Cette ressource «dite de bouclage» assure l'équilibre comptable du budget européen, mais elle ne résulte pas d'une augmentation de la production réelle de richesse puisqu'elle est un prélèvement automatique réparti entre les États membres en fonction de leur PNB. Elle pèse donc d'autant sur le déficit des finances publiques nationales.
L'évolution de cette contribution, qui s'inscrit dans le cadre financier décidé lors du Conseil européen d'Édimbourg et dans l'accord interinstitutionnel sur la discipline budgétaire du 29 octobre 1993, restera forte dans les prochaines années puisque le niveau global du prélèvement européen passera de 1,21 % du PNB en 1995 à 1,27 % en 1999. Or, dans le même temps et pour assurer le passage à la monnaie unique, le traité sur l'Union européenne fait obligation aux États membres de réduire à moins de 3 % du PIB le montant de leur déficit et à moins de 60 % le montant de leur dette publique. On peut donc s'interroger sur la compatibilité économique des orientations macro-économiques de l'Union et de celles des États. Ne sommes-nous pas en effet en présence d'une contradiction doctrinale entre une orientation économique keynésienne et une autre d'essence monétariste ?
Les trois interrogations constantes de notre délégation pour l'Union européenne tiennent aux pratiques inadaptées d'élaboration du budget européen, aux choix contestables qui ont été fait dans le passé en matière d'orientation budgétaire, et aux contrôles insuffisants des dépenses.
1°) Les pratiques inadaptées sont celles de la procédure budgétaire européenne qui est marquée par une absence de maîtrise de la dépense et une certaine irresponsabilité. Cette irresponsabilité est le résultat d'un système où l'autorité budgétaire (Parlement et Conseil) ne vote pas les recettes. Les plafonds des accords interinstitutionnels (Commission, Parlement et Conseil) dits « de discipline budgétaire » sont par ailleurs sans rapport avec l'évolution des budgets nationaux. Enfin les dépenses ont trop souvent pour objet de justifier l'existence de l'Europe, alors même que sont ignorées, et la subsidiarité, et la régularité des dépenses.
Les dépenses - à l'exception de celles du Parlement européen, de la Cour des Comptes et du Conseil - sont proposées par la Commission dans l'avant-projet de budget (APB) sur la base des actions engagées ou prévues (notamment en fonction des décisions antérieures du Conseil), sans que, à ce stade, le Conseil des ministres du Budget puisse remettre en question ces orientations.
C'est le cas, dans l'avant-projet de budget pour 1996, des crédits alloués à l'éducation et à la formation (programmes SOCRATES, LEONARDO et Jeunesse pour l'Europe), à la santé (programmes pour les personnes âgées et le SIDA), ainsi qu'à la culture (programmes KALEIDOSCOPE, ARIANE et RAPHAEL) et au secteur audiovisuel (MEDIA II). Votre délégation s'est souvent interrogée sur la conformité des programmes proposés par la Commission au principe de subsidiarité. Souvent en effet la Commission se contente d'invoquer une « valeur ajoutée » communautaire reposant sur la participation transnationale sans s'interroger un instant sur l'impossibilité pour les États membres de réaliser par eux-mêmes de manière suffisante l'objectif visé.
Or, l'article 3 B du traité sur l'Union européenne prévoit explicitement que la Communauté n'intervient, dans les domaines qui ne sont pas de sa compétence exclusive, « que si et dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».
L'apparition de ces programmes, qui ne laissent pas indifférents certains réseaux d'intérêts, met en jeu une succession de procédés sur lesquels le Parlement français n'a pas de prise : d'abord un « livre vert », qui annonce de grandes orientations sans obligations, ensuite « un programme » adopté par les ministres techniques sur une base juridique qui devient alors contraignante, parfois le recours à l'article 235 du traité de Rome quand les traités n'ont pas explicitement prévu cette action, enfin une ligne budgétaire à l'APB sur laquelle les ministres du Conseil Budget ne peuvent que constater leur impuissance à modifier les orientations antérieurement adoptées par leurs collègues spécialisés.
Ces programmes recèlent un autre risque potentiel en raison de la remise en question, par le Parlement européen, du principe de l'enveloppe financière globale pluriannuelle. Le Parlement estime que cette procédure limite ses pouvoirs budgétaires et souhaite, à l'avenir, pouvoir fixer, année par année, la dotation des programmes. Le Parlement, le Conseil et la Commission ont adopté une « déclaration des trois institutions » qui indique que lorsque le législateur établit l'enveloppe financière d'un programme pour l'ensemble de sa durée, le montant retenu constitue une « référence privilégiée » et non une obligation. Même si l'autorité budgétaire et la Commission s'engagent à ne pas s'écarter à la hausse ou à la baisse du montant inscrit dans l'acte législatif sans une justification explicite et précise des raisons de cet écart, il n'en est pas moins certain que cette nouvelle procédure porte en elle un élément supplémentaire de perte de maîtrise, par les États, de la dépense européenne.
La vigilance du gouvernement doit trouver tout particulièrement à s'exercer sur ces programmes - notamment les programmes d'initiative communautaire (PIC) -, qui peuvent se révéler finalement contreproductifs pour l'idée européenne.
2°) Les choix d'orientation budgétaire européens peuvent être contestés.
Ces choix sont ceux des perspectives financières pluriannuelles, dites « Paquet Delors I », puis « Delors II ». Présentées, depuis 1988, sous forme de prévisions de dépenses sur 5 puis 7 ans, celles-ci encadrent la discussion budgétaire annuelle dans le sens d'une évolution sans cesse croissante du budget communautaire, puisque celui-ci sera passé de 1,15 % du PNB communautaire en 1988 (45,303 milliards d'Ecus) à 1,27 % (88,953 milliards d'Ecus) en 1999, soit une progression de + 96,35 % en dix ans.
Les dernières perspectives financières pluriannuelles ont été décidées en décembre 1992. Depuis cette date, la crise économique a profondément affecté les États et aggravé leur endettement. Peut-on encore parler de rigueur européenne quand le budget communautaire continue dès lors à s'inspirer de perspectives de progression établies dans une phase de croissance ?
La progression des dépenses européennes n'est pas identique pour toutes les lignes budgétaires. Ce sont les choix de la Commission européenne, entérinés par le Conseil européen, mais non débattus par les Parlements nationaux, qui se sont imposés depuis 1988. Le tableau suivant les résume.
Évolution des orientations budgétaires européennes entre 1988 et 1999
(en millions d'Ecus)
1988 |
1999 |
% |
|
Dépense agricole |
27.500 |
39.818 |
+44,7 % |
Actions structurelles |
7.790 |
32.380 |
+315,6% |
Politiques internes |
1.210 |
5.488 |
+353, % |
Actions extérieures |
2.100 |
6.026 |
+186,9 % |
Administration |
1.900 |
4.196 |
+120 % |
Réserves |
4.800 |
2.200 |
- 54,2 % |
Total |
45.300 |
88.953 |
+ 96,3 % |
Ressources en % du PNB |
1,15 |
1,27 |
(Source : Commission européenne)
La Commission et le Conseil ont donc privilégié depuis 10 ans la progression des dépenses structurelles, des politiques internes et des actions extérieures aux dépens notamment de la dépense agricole.
3°) La troisième interrogation porte sur l'insuffisance des contrôles de la dépense européenne.
Comme l'a souligné la Commission européenne elle-même dans son rapport du 23 mars 1994 sur sa stratégie anti-fraude pour l'année 1994 : « La protection des finances publiques est fondamentale pour la crédibilité et l'efficacité de toute politique... Le développement de la délinquance financière à travers des groupes organisés en quasi relations d'affaires, capables de négocier entre eux, oblige à faire de la lutte contre la criminalité financière une priorité de « la nouvelle dimension européenne », en recourant à tous les instruments existants, y compris ceux prévus dans le cadre de la coopération reprise au titre VI du traité sur l'Union européenne ».
« Il est regrettable, estime pour sa part le gouvernement danois, que le public puisse jeter le doute sur le contrôle, par la Communauté, de la légalité de l'usage qui est fait de ses fonds. Il n'est pas acceptable que la Cour des Comptes puisse formuler les mêmes critiques tous les ans. Cela indique que le système communautaire est défectueux... Une responsabilité particulière incombe à la Commission en sa qualité de gardienne du traité. Elle doit s'assurer que les États membres remplissent les obligations qui leur incombent également dans ce domaine en vertu du traité ».
Dans un rapport que j'ai déposé au nom de votre délégation, le 18 novembre 1993, sur les conditions d'utilisation des fonds communautaires, le gouvernement français était invité à obtenir la présentation d'un inventaire portant sur la situation de l'application du droit budgétaire communautaire, sur les infractions constatées aux règles concernant le financement communautaire et sur les poursuites engagées dans les divers États membres sur ce sujet.
M. Alain JUPPE, alors Ministre des Affaires étrangères, avait informé votre rapporteur, le 28 juillet 1994, qu'il partageait « entièrement l'appréciation de la Délégation du Sénat pour l'Union Européenne selon laquelle il est important de s'attaquer au problème des fraudes qui entachent l'utilisation des fonds communautaires... Nos concitoyens, avec raison, comprendraient mal qu'il n'en soit pas ainsi... La lutte contre la fraude ne peut qu'être multiforme, à peine de faciliter la critique exclusive de certaines politiques, tendance que certains de nos partenaires pourraient préférer. La lutte contre la fraude doit donc porter aussi bien sur les recettes que sur les dépenses. Et en matière de dépense, elle doit porter sur toutes les politiques ».
Depuis le dépôt de ce rapport, de nombreuses initiatives ont été engagées pour lutter contre ce désordre. M. François d'AUBERT, alors rapporteur du budget des affaires européennes au nom de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale, a tout spécialement insisté dans son rapport n° 570 du 7 octobre 1994, sur la nécessité de renforcer la lutte contre la fraude, soulignant « la légèreté des contrôles nationaux» et «l'insuffisance des recouvrements » .
La Commission européenne a elle-même déposé, le 7 juillet 1994 :
a) une proposition de règlement (CE, EURATOM) du Conseil relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés ;
b) une proposition d'acte du Conseil de l'Union européenne portant établissement de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés.
Après le dépôt par la France d'un memorandum sur la lutte contre la fraude au budget communautaire, le Conseil, dans une résolution du 6 décembre 1994, a fixé les principes directeurs à suivre dans la négociation de la convention ou de l'action commune destinée à assurer la protection des intérêts financiers dans le cadre du droit pénal national. Le Conseil européen d'Essen des 9 et 10 décembre 1994 avait demandé que le Conseil achève ses travaux sur cet acte juridique avant la fin du premier semestre 1995. Ce délai ne sera pas tenu ; l'importance de l'enjeu financier doit nous inciter à exiger la mise en jeu de sanctions pénales contre les irrégularités budgétaires européennes.
Tout en veillant à l'achèvement des travaux qui permettront d'incriminer les détournements et les fraudes au budget communautaire, le gouvernement français doit également insister sur la lutte contre les gaspillages et les doubles emplois du budget de l'Union européenne. Il serait également utile de mettre en place des mécanismes d'audit budgétaires associant les Cours des Compte, les services financiers spécialisés nationaux de contrôle et la Cour des Comptes des Communautés européennes, dont les moyens devraient être renforcés.
*
* *
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E-422 ;
demande au gouvernement :
- de rechercher une cohérence entre la rigueur budgétaire demandée au plan national et celle annoncée au plan européen, tout en exigeant que la dépense européenne soit appréciée à l'aune de son efficacité en terme de développement économique ;
- d'envisager dès à présent les réformes qui permettraient de remédier à l'inadaptation d'une procédure qui ignore les Parlements nationaux, notamment lors de la préparation des grandes orientations pluriannuelles ;
- de préparer à l'intention du Conseil, notamment dans l'optique du prochain élargissement de l'Union aux pays de l'Europe centrale et orientale, un plan de révision des perspectives financières qui permettrait le redéploiement futur du budget européen au profit des dépenses dont l'efficacité est incontestée ;
- de s'opposer à l'adoption de programmes communautaires qui ne respecteraient pas le principe de subsidiarité et à rappeler à la Commission que l'évocation d'une « valeur ajoutée » ou d'une « plus-value » communautaire ne saurait constituer à elle seule la justification d'une proposition d'acte communautaire au regard du principe de subsidiarité ;
- d'obtenir que la ligne directrice agricole couvre intégralement les besoins de la Politique Agricole Commune dans le projet de budget pour 1996 ;
- de procéder au réexamen des anciens programmes communautaires, afin d'envisager le transfert des dépenses improductives ou contraires au principe de subsidiarité, vers les lignes budgétaires, notamment celles de la Politique Agricole Commune, qui pourraient avoir besoin d'être mieux abondées en 1996;
- de veiller au maintien du financement principal du budget de l'Union par ses ressources propres traditionnelles et non par la quatrième ressource PNB ;
- d'engager les moyens nécessaires pour lutter contre les détournements et les gaspillages opérés au détriment du budget européen et l'absence, d'années en années, de suites aux observations de la Cour des Comptes des Communautés européennes ;
- d'insister sur les devoirs de bonne gestion qui incombent à la Commission européenne en vertu de l'article 206 du traité en lui rappelant notamment que le traité lui fait obligation de tout mettre en oeuvre pour donner suite aux observations accompagnant les décisions de décharge et aux autres observations du Parlement européen concernant l'exécution des dépenses, ainsi qu'aux commentaires accompagnant les recommandations de décharge adoptées par le Conseil ;
- d'encourager les efforts de rapprochement des administrations judiciaires, fiscales et douanières des divers États-membres dans la lutte contre les trafics illicites, les fraudes et la corruption ;
- de renforcer les moyens d'investigation de la Cour des Comptes des Communautés européennes qui devrait procéder à des audits renforcés des budgets opérationnels des institutions européennes, y compris de la Banque Européenne d'Investissement et du Fonds Européen d'Investissement ;
- de procéder à un examen rigoureux du programme PHARE dans le sens d'une meilleure coordination avec les aides des États membres de l'Union ainsi qu'avec les actions de la BEI et de la BERD, d'un recentrage de l'assistance technique vers des projets d'une utilité indiscutable, et d'une meilleure maîtrise des coûts et de l'efficacité de cette assistance.