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N° 277
SÉNAT
SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1994-1995
Annexe au procès verbal de la séance du 19 mai 1995.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil visant à faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise ( E-405),
par MM. Pierre LAGOURGUE et Lucien LANIER,
Sénateurs.
(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Union européenne. Avocats - Liberté d'établissement.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La proposition d'acte communautaire qui vous est soumise a pour objectif de faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise.
Dans le cadre juridique actuel, un avocat peut, en vertu d'une directive du 22 mars 1977, assurer des prestations de services dans un État membre autre que le sien, sous son titre d'origine. L'avocat concerné peut donner des consultations dans le droit de son pays d'origine, dans celui du pays d'accueil, en droit international et communautaire. Toutefois, en ce qui concerne la représentation et la défense en justice, l'État d'accueil peut l'obliger à agir de concert avec un avocat local.
Conformément au Traité de Rome (Art. 59 et 60), aux directives qui lui sont consacrées et à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, la libre prestation de services présente un certain nombre de caractéristiques qui la distinguent du libre établissement. Elle doit en particulier être limitée dans le temps et présenter un caractère occasionnel.
Par ailleurs, il existe dans la Communauté un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui fait l'objet d'une directive du 21 décembre 1988. En vertu de cette directive, un avocat détenteur d'un diplôme prescrit dans un État membre pour accéder à la profession d'avocat ou l'exercer, peut, pour être autorisé à accéder à cette profession ou l'exercer dans un autre État membre, être soumis à un stage d'adaptation ou à une épreuve d'aptitude, au choix de cet État d'accueil. Sous réserve de la satisfaction de cette condition, l'avocat peut alors exercer sous le titre de l'État d'accueil, conformément aux dispositions du traité de Rome relatives au droit d'établissement (Art. 52 à 58). Il est alors assimilé au national de l'État membre dans lequel il s'établit et est totalement soumis aux règles applicables au national.
Ce système est bien adapté à la situation des jeunes diplômés qui souhaitent exercer leur activité dans un autre État membre que celui où ils ont acquis leur qualification. En revanche, pour des avocats ayant une expérience professionnelle, la contrainte du test d'aptitude est souvent dissuasive. En outre, ces tests présentent une forte disparité de niveaux selon les États, susceptible de favoriser une certaine forme de discrimination. La Cour de justice, dans un arrêt de 1991, avait invité les États saisis d'une demande d'autorisation d'exercer la profession d'avocat à prendre en compte l'expérience professionnelle du candidat ( ( * )1) .
La proposition qui vous est soumise vise à atténuer ces difficultés. La Commission européenne propose de faciliter à un avocat l'accès à la profession ou l'exercice de celle-ci dans un État membre autre que celui dans lequel il a déjà été autorisé à accéder à cette profession ou à l'exercer, en lui permettant préalablement et pendant une période maximale de cinq ans de pratiquer sous son titre professionnel d'origine.
Ainsi l'avocat, pourra donner des consultations juridiques dans le droit du pays d'accueil, en droit international et communautaire ainsi que dans le droit de son État d'origine. Il aura le droit de représenter et de défendre un client en justice, le cas échéant en agissant de concert avec un avocat de l'État d'accueil. Il sera tenu de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de l'État membre d'accueil (Art. 3 de la proposition) et sera soumis aux obligations, règles professionnelles et déontologiques applicables aux avocats de cet État membre (Art. 6).
Pendant cette période ou à l'issue de celle-ci, l'avocat pourra bénéficier d'un accès automatique à la profession de l'État membre d'accueil, s'il démontre une activité effective et permanente pendant au moins trois ans dans le droit de l'État membre d'accueil, y compris le droit communautaire. Si l'activité effective et permanente d'au moins trois ans dans l'État membre d'accueil n'a pas porté sur le droit de cet État membre, y compris le droit communautaire, l'avocat pourra être soumis à une épreuve d'aptitude portant exclusivement sur la déontologie et la procédure du pays d'accueil (Art. 10).
L'adoption de ce texte faciliterait donc le libre établissement des avocats sur l'ensemble du territoire communautaire. Il faut souhaiter son adoption rapide.
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Cependant, le dispositif proposé pourrait être amélioré à certains égards.
En premier lieu, le maintien d'un test d'aptitude, même limité, dans le cas où l'avocat ne peut prouver sa pratique du droit de l'État membre d'accueil risque de permettre le rétablissement de certaines barrières, compte tenu de la grande disparité des tests. De plus, l'échec au test d'aptitude conduit à l'interdiction pure et simple de l'exercice de l'activité dans l'État membre d'accueil.
En second lieu, le statut de l'avocat pendant la période transitoire risque de faire naître certaines confusions vis-à-vis des justiciables. L'établissement d'un avocat, dans un autre État membre que le sien, sous le titre de l'État membre d'accueil, présente l'avantage de l'unité de la profession, toute indication de l'origine nationale du professionnel disparaissant. L'établissement sous le titre d'origine pendant la période transitoire introduirait un statut hybride, à mi-chemin entre la libre prestation de services et le libre établissement. On peut d'ailleurs s'interroger sur la conformité au Traité de Rome de cette formule, qui paraît s'inspirer davantage du souci de protéger les avocats nationaux que de celui d'assurer une information complète des justiciables.
Il serait préférable que l'avocat puisse acquérir, dès son installation, le titre de l'État membre d'accueil tout en conservant son titre d'origine. Il ne pourrait cependant pratiquer le droit de l'État d'accueil qu'en respectant les conditions posées par la directive sur la libre prestation de services du 22 mars 1977, ce qui l'amènerait à agir, le cas échéant, de concert avec un avocat local.
S'il apporte la preuve d'une pratique effective du droit de l'État membre d'accueil, y compris le droit communautaire pendant au moins trois ans, il pourra alors exercer sous le titre de l'État membre d'accueil et n'aura plus à respecter les conditions posées par la directive sur la libre prestation de services.
Enfin, on peut s'interroger sur l'applicabilité de ce texte aux Territoires d'Outre-Mer. En vertu de la quatrième partie du Traité de Rome, ceux-ci n'appartiennent pas à la Communauté européenne mais lui sont associés. Cependant, l'article 132 du Traité de Rome dispose notamment que « dans les relations entre les États membres et les pays et territoires, le droit d'établissement des ressortissants et sociétés est réglé conformément aux dispositions et par application des procédures prévues au chapitre relatif au droit d'établissement et sur une base non discriminatoire, sous réserve des dispositions particulières prises en vertu de l'article 136 ».
Si la proposition qui vous est soumise a vocation à s'appliquer dans les Territoires d'Outre-Mer, il conviendrait à tout le moins que le Gouvernement consulte les autorités de ces territoires avant de s'engager au sein du Conseil. D'une manière plus générale, il devient indispensable que les Territoires d'Outre-Mer puissent savoir de manière précise quels textes communautaires leur sont applicables. La situation est aujourd'hui extrêmement confuse, ce qui nuit aux rapports de ces territoires avec l'Union européenne.
C'est pourquoi il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Le Sénat,
Vu la proposition d'acte communautaire n° E-405,
considérant que la proposition d'acte communautaire a pour objectif de faciliter l'exercice permanent de la profession d'avocat dans un État membre autre que celui où la qualification a été acquise,
considérant que ce texte favorisera la disparition de barrières qui entravent le libre établissement des avocats sur l'ensemble du territoire communautaire,
considérant cependant que certaines améliorations sont possibles, notamment afin d'éviter que des entraves au libre établissement puissent être subrepticement rétablies,
- approuve les orientations contenues dans le document E-405 ;
- invite le Gouvernement à agir au sein du Conseil afin d'obtenir la suppression du test d'aptitude prévu par la proposition de directive ;
- estime que, pendant la période transitoire, un avocat devrait pouvoir s'établir sous le titre de l'État membre d'accueil tout en conservant son titre d'origine ; il ne pourrait, en contrepartie, pratiquer le droit de l'État membre d'accueil qu'en respectant les conditions posées par la directive sur la libre prestation de services, c'est-à-dire en agissant, le cas échéant, de concert avec un avocat local ;
- demande enfin au Gouvernement de clarifier la situation des Territoires d'Outre-Mer à l'égard de ce texte, et, dans l'hypothèse de l'applicabilité de la directive à ces territoires, de consulter les autorités territoriales.
* (1) ) C.J.C.E. 7 mai 1991 - Vlassopoulouc/Ministeriüm fur Justiz Baden-Würtemberg.