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N° 134
SÉNAT
PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1980-1981
Annexe au procès-verbal de la séance du 2 décembre 1980.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à la création d'une commission d'enquête visant à préciser les atteintes portées en France à l'usage de la langue française , à définir la situation de la langue française dans le monde, à déterminer les causes politiques et économiques des difficultés qu'elle connait et à proposer des mesures afin d'assurer la défense de la langue française.
PRÉSENTÉE
Mme Hélène LUC, M. Anicet LE PORS, Mmes Marie-Claude BEAUDEAU, Danielle BIDARD-REYDET, MM. Serge BOUCHENY, Raymond DUMONT, Jacques EBERHARD, Gérard EHLERS, Pierre GAMBOA, Jean GARCIA, Bernard Michel HUGO, Paul JARGOT, Charles LEDERMAN, Fernand LEFORT, James MARSON, Louis MINETTI, Jean OOGHE, Mme Rolande PERLICAN, MM. Marcel ROSETTE, Guy SCHMAUS, Camille VALLIN, Hector VIRON et Marcel GARGAR
Sénateurs.
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(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, et, pour avis, en application de l'article 11 du Règlement, à la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d'Administration générale.)
Langue française - Commission d'enquête de contrôle |
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le statut de la langue française dans le monde devient un problème de plus en plus préoccupant. La langue est une réalité historique comme les modes de pensée et la culture.
D'une part, le français, son influence, sa pratique reculent : c'est vrai de l'Asie, de certains pays africains, de grands pays d'Europe.
D'autre part, la France n'a pas le monopole de sa langue : les débats et les tensions qui agitent la francophonie montrent bien que la langue recouvre d'énormes enjeux politiques et économiques.
A travers le problème du rayonnement et de l'usage international de la langue, c'est celui de la place de la France dans le monde qui est posé.
La défense de la langue française ne saurait être fragmentaire ni fragmentée. Il faut agir à la fois sur tous les fronts. Pour défendre la langue française avec la volonté de réussir, il faut d'abord prendre conscience de la nature et des dangers qui la menacent.
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Notre temps est marqué par l'accession massive à leur indépendance des peuples soumis à l'impérialisme. Que ces peuples tiennent à ressaisir leur identité nationale, leur culture, leur langue, rien que de très normal. Qu'en même temps, ces pays et ces peuples aient besoin des grandes langues porteuses de l'information scientifique, technologique ou politique moderne est également un fait reconnu.
La langue française et son usage photographient dans une large mesure l'état international de la France, la manière même dont elle est perçue au sein de la communauté mondiale.
Cela suppose qu'elle donne confiance en elle. Quel avenir à moyen terme peut être celui de notre langue, si la France est perçue comme la France du néo-colonialisme, de l'intervention militaire et diplomatique contre les mouvements de libération nationale ? Si, comme c'est malheureusement le cas, elle apparaît elle-même comme de plus en plus dépendante de la politique des impérialismes dominants, américain et allemand. Le sort de notre langue ne peut être regardé avec confiance que pour autant que le pays est lui-même indépendant, libre et démocratique.
Ce qui signifie libre et indépendant dans son propre développement économique et technique. Dans tous les domaines, la mainmise des multinationales sur les grands secteurs de l'économie aboutit à l'abandon des filières françaises, à l'étouffement des technologies nationales, au gel des brevets. La recherche fondamentale est bradée. Ces faits contribuent à ce que l'anglais ou l'allemand deviennent les langues véhiculaires de l'information scientifique et technique.
Dans de nombreux colloques internationaux, les scientifiques, les médecins français sont mis dans l'impossibilité de s'exprimer dans leur langue maternelle.
Des conférences ont lieu en France même dans lesquelles l'anglais est la seule langue employée et imposée. Des organismes issus du C.N.R.S. publient des études et des documents exclusivement en anglais.
Dans de nombreuses professions, comme en matière de transports aéronautiques, la connaissance de l'anglais est obligatoire et l'emploi des termes techniques en français est strictement prohibé.
Le Gouvernement français accepte cette situation sans réagir.
Tout abandon de souveraineté politique et économique, toute intégration à la C.E.E. par exemple a comme conséquence directe le déclin de la langue ce qui manifeste aussitôt le déclin national lui-même.
La dépendance économique, politique, militaire tend à faire de la France un pays de second rang.
Il ne s'agit pas de porter de jugement sur la supériorité culturelle du français sur d'autres langues, l'anglais, par exemple, mais de constater une réalité.
Les reculs alarmants du français dans le monde sont les fruits d'une politique de soumission, contraire à l'intérêt national.
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Le problème actuel est le suivant : comment agir pour la diffusion de notre langue ?
-- La vie de notre langue dépend d'abord du niveau et de la qualité de l'éducation qui sera donnée aux enfants et aux adultes, de la richesse ou de la médiocrité de leur vie culturelle et de leurs relations de communication orale et écrite. Si l'on veut assurer l'avenir de notre langue, il faut commencer par développer les possibilités d'expression dès la première enfance. Tous les travaux des psychologues convergent pour souligner l'importance de l'acquisition du langage chez l'enfant. L'égalité des chances, dont on parle tant et que nous réclamons, passe en particulier par l'égalité devant la langue maternelle.
Le droit à la parole, au sens plein du terme, la liberté d'expression et ses possibilités de développement ultérieur commencent à ce niveau.
Cela signifie que, dans l'intérêt de l'avenir de notre langue, une vraie réforme de l'enseignement doit porter le savoir et la culture des jeunes Français au niveau le plus élevé. Non pour octroyer un « savoir minimum garanti », mais un « savoir maximum garanti ».
La défense et l'illustration de la langue française supposent aussi une radio, une télévision, une presse de qualité. C'est pour tous les Français l'accès enfin ouvert à la culture, à la lecture, au théâtre, au cinéma. C'est le temps et les moyens de se cultiver.
La majorité des Français, les travailleurs notamment, sont réduits à la portion culturelle congrue, n'ont qu'un accès restreint aux richesses actuelles et potentielles de notre langue, qui est une partie essentielle de notre patrimoine national. Son avenir et son enrichissement exigent une autre politique.
-- Il faut permettre aux étrangers qui veulent apprendre le Français de pouvoir le faire. Ce qui contredit totalement les mesures restrictives à l'égard des étudiants étrangers. A quoi sert de proclamer la volonté de défendre la langue quand, en même temps, on crée des difficultés à ceux-là mêmes qui pourraient en devenir les ambassadeurs ?
-- Il faut une contribution hardie à une politique de coexistence pacifique et de relations entre les peuples du monde.
Ensuite il faut permettre à la culture de se développer dans toutes ses composantes. Un exemple : le livre. On peut bien établir, dans les services culturels de nos ambassades, quelques vitrines de prestige, évoquer l'invention, la créativité nationale, qu'en est-t-il de cette créativité quand des mesures dont la nocivité commence à apparaître pleinement concernant la liberté des prix du livre, tendent à étouffer ce qui n'est pas produit de grande consommation.
-- Il faut une véritable politique de l'enseignement du français. Elle suppose de ne pas fermer les yeux sur la réalité scientifique contemporaine et notamment sur ce fait majeur : de tous les pays développés, la France sera bientôt la dernière à reconnaître l'existence d'une discipline en pleine extension : la didactique des langues, ici la didactique du français langue étrangère.
Cette cécité volontaire du Gouvernement devant l'intérêt national aboutit dans les faits à ce que l'enseignement de notre langue relève d'établissements à statut privé ou semi-privé très souvent, avec des enseignants contractuels ou vacataires, écartés de la recherche fondamentale, se formant empiriquement et dans des conditions de travail difficiles.
Il faudrait :
-- L'intégration totale de ces centres dans l'Université et leur développement. Ils relèvent du budget de l'Université française, non d'un marché privé de la langue.
-- L'intégration des personnels dans le cadre de la Fonction publique avec ses droits et ses devoirs selon des grilles salariales à déterminer par la concertation.
-- La reconnaissance d'une discipline, la didactique des langues, notamment celle du français langue étrangère, l'organisation de la recherche fondamentale et appliquée.
De telles mesures permettraient de passer des voeux pieux et des rideaux de fumée à l'organisation réelle et responsable de l'enseignement du français aux étrangers.
Simultanément les lycées français à l'étranger devraient bénéficier de crédits plus importants.
Encore faut-il le vouloir. C'est-à-dire ne pas démissionner devant l'intérêt national. Le sort de notre langue, avec tout ce qu'elle comporte, est à ce prix,
Lutter pour l'indépendance nationale, c'est aussi agir pour défendre notre langue. Cela exige une réelle volonté politique. Le pouvoir giscardien brade la langue française comme il brade les moyens de notre indépendance. Il ne peut y avoir de défense efficace de la langue française sans une nouvelle politique culturelle appuyée une politique économique conforme à l'intérêt national.
Une commission d'enquête parlementaire peut contribuer, dans une certaine mesure, à faire le point sur ces différentes questions et proposer des mesures pour que soit instituée une véritable politique de la langue française.
Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique.
En application de l'article 11 du Règlement, est créée une commission d'enquête de vingt et un membres chargée :
1. de déterminer l'étendue et la nature des atteintes portées en France à l'usage de la langue française ;
2. de définir la situation de la langue française à l'étranger ;
3. d'analyser les causes économiques et politiques des difficultés qu'elle connaît en liaison notamment avec la domination des sociétés multinationales et la politique gouvernementale de mise en cause de l'indépendance nationale ;
4. de proposer des mesures cohérentes pour contribuer à instituer une véritable politique de la langue française, notamment en matière d'éducation nationale, d'enseignement du français à l'étranger, d'abrogation des mesures restrictives mises à l'accueil des étudiants étrangers en France, d'emploi du français dans l'information scientifique et technique et d'accès à la culture.