Programme pour l'industrie européenne de la défense (PPRE) - Tableau de montage - Sénat

N° 680

                  

SÉNAT


SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

                                                                                                                                             

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 juin 2024

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE PORTANT AVIS MOTIVÉ


au nom de la commission des affaires européennes,
en application de l’article 73 octies du Règlement,


sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement du programme pour l’industrie européenne de la défense et d’un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense - COM(2024) 150 final,



TEXTE DE LA COMMISSION

DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES (1)


                                                                                                                                             

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot, Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.


Voir les numéros :

Sénat : 648 et 679 (2023-2024).






Proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l’établissement du programme pour l’industrie européenne de la défense et d’un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense – COM(2024) 150 final

Déclinaison opérationnelle de la stratégie pour l’industrie européenne de la défense (EDIS) présentée par la Commission européenne et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité le 5 mars 2024(1), la proposition de règlement COM(2024) 150 final s’inscrit dans le prolongement de la déclaration de Versailles du 11 mars 2022, de la communication conjointe sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense du 18 mai 2022(2) et des deux textes d’urgence adoptés en 2023 pour faire face à la guerre en Ukraine : le règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP)(3) et l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA)(4).

L’exposé des motifs relève que cette proposition de règlement COM(2024) 150 final « établit un ensemble de mesures et définit un budget visant, d’une part, à soutenir la préparation de l’Union et de ses États membres dans le domaine de la défense par un renforcement de la compétitivité, de la réactivité et de la capacité de la base industrielle et technologie de défense européenne (BITDE) et à garantir la disponibilité et la fourniture en temps utile de produits de défense et, d’autre part, à contribuer au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) ukrainienne ».

Le texte proposé comprend ainsi 67 articles répartis en trois piliers, reposant sur quatre bases juridiques différentes :

– un premier pilier « visant à ce que les conditions nécessaires soient réunies pour assurer la compétitivité de la base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE) ». Ce pilier est fondé sur l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui stipule notamment que « l’Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de l’Union soient assurées », que leur action s’inscrit dans un « système de marchés ouverts et concurrentiels » et que « les États membres se consultent mutuellement en liaison avec la Commission et, pour autant que de besoin, coordonnent leurs actions. La Commission peut prendre toute initiative utile pour promouvoir cette coordination, notamment des initiatives en vue d’établir des orientations et des indicateurs, d’organiser l’échange des meilleures pratiques et de préparer les éléments nécessaires à la surveillance et à l’évaluation périodiques » ;

– un deuxième pilier concernant le marché européen des équipements de défense (MEED), fondé sur l’article 114 du TFUE qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (…) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur » ;

– un troisième pilier comprenant des mesures destinées à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE », les opérations de l’Union européenne venant « compléter et renforcer celles menées par les États membres ». La Commission européenne se fonde cette fois sur l’article 212 du TFUE, qui stipule que « l’Union mène des actions de coopération économique, financière et technique, y compris d’assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement. Ces actions sont cohérentes avec la politique de développement de l’Union et sont menées dans le cadre des principes et objectifs de son action extérieure. Les actions de l’Union et des États membres se complètent et se renforcent mutuellement ». L’exposé des motifs de la proposition de règlement souligne en outre la nécessité « d’apporter une attention particulière à l’objectif consistant à aider l’Ukraine à s’aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques (l’« acquis ») de l’Union en vue de son adhésion future à l’Union ».

Les dispositions financières de la proposition de règlement reposent sur l’article 322 du TFUE, lequel stipule en particulier que « le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, et après consultation de la Cour des comptes, adoptent par voie de règlements : a) les règles financières qui fixent notamment les modalités relatives à l’établissement et à l’exécution du budget et à la reddition et à la vérification des comptes ; b) les règles qui organisent le contrôle de la responsabilité des acteurs financiers, et notamment des ordonnateurs et des comptables ». L’enveloppe budgétaire que la Commission européenne propose d’allouer au programme visant à renforcer la BITDE s’élève à 1,5 milliard d’euros en prix courants pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2027. Des contributions financières viendraient en supplément afin de financer les actions visant à renforcer la BITD ukrainienne, sous réserve de la conclusion d’un accord-cadre entre l’Union européenne et l’Ukraine.

Vu l’article 88-6 de la Constitution,

Vu l’article 73 octies du Règlement du Sénat,



Le Sénat émet les observations suivantes :



Concernant la procédure d’élaboration de la proposition de règlement au regard du contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux :



– l’article 4 du traité sur l’Union européenne stipule que « toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres » et précise qu’« en particulier, la sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre » ;



– l’article 5 du traité sur l’Union européenne stipule que « le principe d’attribution régit la délimitation des compétences de l’Union. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité régissent l’exercice de ces compétences » et qu’« en vertu du principe d’attribution, l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent. Toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres » ,



– le Sénat, comme la commission des affaires européennes l’a indiqué dans son rapport portant contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne(5), considère que le contrôle de subsidiarité, confié par le traité sur l’Union européenne aux parlements nationaux, conduit à porter une appréciation sur les textes au regard du principe de subsidiarité mais aussi du principe de proportionnalité des mesures envisagées, ces deux principes étant étroitement liés ;



– même si le texte proposé s’appuie sur des travaux antérieurs et si une procédure de consultation des parties prenantes a été menée par la Commission européenne dans le cadre de la préparation de la stratégie pour l’industrie européenne de la défense (EDIS), le Sénat déplore que la Commission européenne n’ait pas réalisé d’étude d’impact sur un texte aussi significatif pour les enjeux de souveraineté nationale. L’argument avancé par la Commission européenne, selon laquelle « le délai imparti afin de présenter une proposition relative à l’EDIP à temps pour les discussions qui se tiendront lors du Conseil européen de mars 2024 » ne le permettait pas, apparaît peu crédible, la présentation de ce texte ayant été initialement envisagée en novembre 2023. Le document de travail de ses services que la Commission européenne s’est engagée à publier dans un délai de trois mois à compter de la présentation de ce texte ne pourra pas être pris en compte par les parlements nationaux dans le cadre de leur contrôle du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité, compte tenu des délais qui s’imposent à eux en cette matière, ce qui est particulièrement regrettable ;



Concernant l’absence de recours à une base juridique fondant la politique de sécurité et de défense commune, qui s’exerce dans un cadre intergouvernemental :



– l’article 42 du traité sur l’Union européenne stipule notamment que « la politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune », qu’elle « inclut la définition progressive d’une politique de défense commune de l’Union » et qu’elle « conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l’unanimité, en aura décidé ainsi » ;



– l’article 42 du traité sur l’Union européenne stipule en outre que l’Agence européenne de défense « identifie les besoins opérationnels, promeut des mesures pour les satisfaire, contribue à identifier et, le cas échéant, mettre en œuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participe à la définition d’une politique européenne des capacités et de l’armement, et assiste le Conseil dans l’évaluation de l’amélioration des capacités militaires » ;



– il apparaît dès lors curieux que la Commission européenne propose un texte ne s’appuyant en aucune manière sur une base juridique fondant la politique de sécurité et de défense commune, alors qu’à l’évidence, certaines dispositions proposées s’y rapportent ;



– il ressort de la lecture combinée des articles 4, 5, 42 et 45 du traité sur l’Union européenne que la politique de défense reste une compétence nationale, la politique de sécurité et de défense commune s’exerçant dans un cadre intergouvernemental ;



– la Commission européenne justifie le texte proposé par le changement de contexte stratégique découlant de la guerre d’agression lancée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et affirme que « les États membres sont tributaires de la capacité de la BITDE à répondre aux besoins de leurs forces armées en temps utile et à la bonne échelle. Les dommages causés à l’Ukraine et à sa base industrielle de défense par la guerre d’agression menée par la Russie sont d’une ampleur telle que l’Ukraine aura besoin d’un soutien important et durable qu’aucun État membre à lui seul ne peut fournir. Il est donc primordial de veiller à ce que la BITDE et la BITD ukrainienne soient en mesure d’exercer ce rôle stratégique. Une action menée à l’échelle européenne semble être la solution la plus adaptée dans ce domaine » ;



– le contexte de la guerre en Ukraine impose certes de développer une défense mieux ajustée aux dimensions de l’Europe, ce qui implique sans doute d’améliorer la compétitivité de la base industrielle et technologique de défense européenne, de remédier à la fragmentation du marché européen de la défense, mais aussi de soutenir les capacités de défense propres des États membres et de mieux coordonner leurs politiques de défense respectives ;



– il importe de renforcer l’autonomie stratégique de l’Union européenne et de prendre en compte les éventuelles évolutions de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) pouvant découler de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis ;



– une telle perspective ne saurait en revanche conduire à méconnaître la lettre et l’esprit des traités qui ont été ratifiés par les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, ce qui constituerait une violation des règles de l’État de droit ;



– le recours à quatre bases juridiques distinctes, sans même viser la base juridique de la politique de sécurité et de défense commune, résulte de la volonté de la Commission européenne de proposer un texte d’ensemble, dans une logique exclusivement communautaire, comprenant une grande diversité de dispositions, qu’il aurait été possible de scinder en différents textes fondés sur les bases juridiques les plus adéquates ;



Concernant le recours aux bases juridiques des articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les dispositions qui se fondent dessus :



– le recours aux articles 173 et 322 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les dispositions qui en découlent ne semblent pas soulever de difficulté au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les règlements précités relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) et à l’instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA) s’appuyaient également, en tout ou partie, sur l’article 173 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’octroi d’une enveloppe budgétaire d’1,5 milliard d’euros pour la période allant jusqu’en 2027 afin d’instaurer un programme visant à renforcer la BITDE, la mise en place d’un fonds pour l’accélération de la transformation des chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la défense (FAST), la possibilité de mettre en œuvre des projets de défense européens d’intérêt commun ou encore de créer des structures pour programmes d’armements européens (SEAP) n’appellent ainsi pas de remarques au regard du respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;



Concernant le recours à la base juridique de l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les dispositions qui se fondent dessus :



– le recours à l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les dispositions qui en découlent apparaissent contestables. Lors des consultations menées par la Commission européenne en vue de l’élaboration de la stratégie pour l’industrie européenne de la défense, certains États membres, en particulier la France, avaient d’emblée marqué leur opposition à un recours à cette base juridique ;



– il convient de rappeler que l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule d’une part, qu’aucun État membre n’est tenu de fournir des renseignements dont il estimerait la divulgation contraire aux intérêts essentiels de sa sécurité et, d’autre part, que tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre, ces mesures ne devant pas altérer les conditions de la concurrence dans le marché intérieur en ce qui concerne les produits non destinés à des fins spécifiquement militaires ;



– dans la proposition de règlement COM(2024) 150 final, la Commission européenne propose à nouveau des dispositions initialement envisagées dans le cadre de la proposition de règlement relatif au soutien à la production de munitions (ASAP) sur ce fondement, lesquelles avaient été supprimées en raison de l’opposition des États membres concernant, en particulier, le dispositif de cartographie et de remontées d’informations à la Commission européenne, la possibilité de passer des commandes prioritaires ou encore le droit pour les entreprises d’effectuer des transferts d’équipements militaires au sein de l’Union sans obtenir du gouvernement concerné la licence d’exportation habituellement requise. Les présidents et rapporteurs de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat avaient alors saisi conjointement la Première ministre, en juin 2023, afin de marquer leur opposition à ces dispositions ;



– l’article 40 de la proposition de règlement prévoit ainsi, au nom de la surveillance et du suivi des chaînes d’approvisionnement, que la Commission européenne, en coopération avec le conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense qu’elle propose de créer, cartographie les chaînes d’approvisionnement de l’Union dans le secteur de la défense ; l’article 41 permettrait également à la Commission européenne d’assurer un suivi régulier des capacités de fabrication de l’Union nécessaires à l’approvisionnement en produits nécessaires en cas de crise ; l’article 14, visant à contribuer à un mécanisme européen de ventes militaires, permettrait notamment l’établissement d’un catalogue unique, centralisé et actualisé des produits de défense mis au point par la BITDE, prenant la forme d’une plateforme informatique établie et acquise par la Commission européenne sur la base de consultations avec le conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense. Ces mesures sont particulièrement intrusives dans un domaine relevant par essence de la souveraineté nationale ;



– la création d’un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense, prévue par son article 57, paraît en outre empiéter sur les compétences de l’Agence européenne de défense. Aux termes de cet article, ce nouveau conseil, qui aurait pour mission générale d’assister la Commission européenne, serait présidé par cette dernière pour la mise en œuvre de ce règlement et, selon la communication précitée sur la stratégie pour l’industrie européenne de la défense, se réunirait sous la co-présidence de la Commission européenne et du haut-représentant/chef de l’Agence « en ce qui concerne la fonction de programmation et d’acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l’Union européenne ». Il réunirait les États membres, le haut représentant/chef de l’Agence et la Commission européenne, dans différents formats, pour assurer la fonction de programmation et d’acquisition conjointes dans le domaine de la défense de l’Union européenne et soutenir la mise en œuvre du programme pour l’industrie européenne de la défense. La communication précitée précise qu’il favoriserait également « la coordination et la déconfliction des plans d’acquisition des États membres et fournirait des orientations stratégiques en vue de mieux faire coïncider l’offre et la demande » ;



– or, l’article 45 du traité sur l’Union européenne, qui précise les missions de l’Agence européenne de défense, stipule que celle-ci, placée sous l’autorité du Conseil et non sous une autorité conjointe avec la Commission européenne, a pour mission de contribuer à identifier les objectifs de capacités militaires des États membres et à évaluer le respect des engagements de capacités souscrits par les États membres ; de promouvoir une harmonisation des besoins opérationnels et l’adoption de méthodes d’acquisition performantes et compatibles ; de proposer des projets multilatéraux pour remplir les objectifs en termes de capacités militaires et d’assurer la coordination des programmes exécutés par les États membres et la gestion de programmes de coopération spécifiques ; de soutenir la recherche en matière de technologie de défense, de coordonner et de planifier des activités de recherche conjointes et des études de solutions techniques répondant aux besoins opérationnels futurs ; de contribuer à identifier et, le cas échéant, de mettre en œuvre, toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense et pour améliorer l’efficacité des dépenses militaires ;



– sous réserve des moyens qui lui sont attribués, les missions confiées par les traités à l’Agence européenne de défense semblent à cet égard suffisantes pour couvrir l’ensemble des enjeux, dans le cadre prévu par les traités pour la politique de sécurité et de défense commune. Il convient en outre de rappeler le rôle important joué, dans un cadre intergouvernemental incluant notamment le Royaume-Uni, par l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) ;



– la création d’un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense donnerait de fait à la Commission européenne un rôle que les traités ne lui attribuent pas ;



– les articles 43 à 50 de la proposition de règlement prévoient que des régimes d’« état de crise d’approvisionnement » et d’« état de crise d’approvisionnement liée à la sécurité », lorsqu’une telle crise est « survenue » ou « réputée être survenue », pourraient être activés en cas de risque de perturbation grave d’un produit nécessaire en cas de crise. L’activation de ces régimes, décidée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée, permettrait alors à la Commission européenne d’adopter des mesures préventives, de collecter un certain nombre d’informations et de mettre en place des dispositifs de commandes prioritaires de produits qui ne sont pas des produits de défense, mais dont des pénuries importantes empêchent la fourniture, la réparation ou l’entretien de produits de défense, ou de demandes prioritaires de produits de défense – certes soumis à l’accord préalable de l’État membre d’établissement de l’entreprise concernée -, assortis de sanctions lorsque les opérateurs ne s’y conforment pas. De tels régimes, compte tenu de la primauté du droit européen sur le droit interne, primeraient en cas de conflit avec les dispositifs nationaux relatifs, notamment, à la sécurité des approvisionnements des forces armées tels que prévus par la loi de programmation militaire du 1er août 2023 et priveraient en partie l’État de l’exercice de ses compétences dans un domaine absolu de souveraineté, relevant de la sécurité nationale qui est de la seule responsabilité des États membres en application de l’article 4 du traité sur l’Union européenne ;



– l’article 51 de la proposition de règlement, en disposant que les États membres s’abstiennent, en régime d’état de crise d’approvisionnement liée à la sécurité, d’imposer des restrictions au transfert de produits de défense qui ne seraient pas transparentes, dûment motivées, proportionnées, pertinentes et spécifiques, ainsi que non discriminatoires, empêcherait l’exercice normal, par la délivrance préalable d’une licence, du contrôle par l’État d’éventuels réexports, dans un domaine qui relève de la souveraineté nationale ;



Concernant le recours à la base juridique de l’article 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne :



– le troisième pilier du règlement proposé par la Commission européenne, sur le fondement de l’article 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, comprend des mesures destinées, selon l’exposé des motifs, à contribuer « au redressement, à la reconstruction et à la modernisation de la BITD ukrainienne et à son intégration progressive dans la BITDE » ;



– le Sénat a marqué à plusieurs reprises son soutien à l’Ukraine et, en particulier, à ses forces armées. Pour autant, s’appuyer sur l’article 212 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif à la « coopération économique, financière et technique, y compris d’assistance en particulier dans le domaine financier, avec des pays tiers autres que les pays en développement », apparaît inadapté, l’objectif poursuivi étant bien plus large puisqu’il vise, selon l’exposé des motifs de la proposition, à « aider l’Ukraine à s’aligner progressivement sur les règles, normes, politiques et pratiques (l’« acquis ») de l’Union en vue de son adhésion future à l’Union » ;



– si l’Ukraine a obtenu le statut de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, à l’issue de la réunion du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, la procédure proposée par la Commission européenne paraît aller au-delà de ce que permettent le processus d’adhésion et les modalités d’approbation par les États membres fixées par l’article 49 du traité sur l’Union européenne, aux termes duquel « les conditions de l’admission et les adaptations que cette admission entraîne en ce qui concerne les traités sur lesquels est fondée l’Union, font l’objet d’un accord entre les États membres et l’État demandeur. Ledit accord est soumis à la ratification par tous les États contractants, conformément à leurs règles constitutionnelles respective ».


*



Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement COM(2024) 150 final n’est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, à l’article 5 du traité sur l’Union européenne et au protocole  2 annexé à ce traité.

                                         

(1) Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résiliente », 5 mars 2024, JOIN(2024) 10 final.

(2) Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions sur l’analyse des déficits d’investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre, 18 mai 2022, JOIN(2022) 24 final.

(3) Règlement (UE) 2023/1525 du Parlement européen et du Conseil du 20 juillet 2023 relatif au soutien à la production de munitions (ASAP).

(4) Règlement (UE) 2023/2418 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 relatif à la mise en place d’un instrument visant à renforcer l’industrie européenne de la défense au moyen d’acquisitions conjointes (EDIRPA).

(5) Rapport d’information du Sénat  456 (2017-2018) portant contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne, fait au nom de la commission des affaires européennes par MM. Jean BIZET, Philippe BONNECARRÈRE et Simon SUTOUR, 20 avril 2018.

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