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La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant le règlement (UE) 2018/1999, dite loi européenne sur le climat, COM(2020) 80 final, présentée par la Commission le 4 mars 2020, s’intègre dans le « pacte vert pour l’Europe ». Elle précise les modalités concrètes destinées à permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
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En se fondant sur les articles 191 et 192 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Commission propose en particulier :
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1. d’inscrire dans la législation européenne l’objectif de neutralité climatique de l’Union européenne d’ici 2050, objectif qui serait évalué globalement au niveau de l’Union ;
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2. de préciser la trajectoire nécessaire pour y parvenir, en confiant en particulier à la Commission le soin de réexaminer les politiques et mesures législatives existantes de l’Union afin d’en renforcer la cohérence au regard de l’objectif de neutralité climatique et de la trajectoire établie ;
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3. de distinguer dans ce cadre deux périodes :
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– une première période jusqu’en 2030 : d’ici septembre 2020, la Commission réexaminera et, si elle l’estime nécessaire, proposera de revoir à la hausse l’objectif spécifique de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Union à l’horizon 2030, en vue de le porter de 40 % à 50 % voire 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Elle pourrait proposer des modifications de la législation européenne en ce sens d’ici le 30 juin 2021 au plus tard ;
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– une seconde période, de 2030 à 2050, au cours de laquelle la Commission serait habilitée à adopter des actes délégués pour définir la trajectoire nécessaire pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Le point de départ de la trajectoire au cours de cette période serait l’objectif spécifique de l’Union arrêté à l’horizon 2030. La trajectoire serait réexaminée tous les 5 ans.
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Le texte reprend les principes définis par l’accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer ». Il prévoit ainsi que le pouvoir d’adopter des actes délégués serait confié à la Commission pour une durée indéterminée mais pourrait être révoqué à tout moment par le Parlement européen ou le Conseil, qui recevraient une notification de chaque acte délégué adopté par la Commission et pourraient formuler des objections dans un délai de deux mois (éventuellement prolongé de deux mois). Les experts désignés par les États membres seraient consultés avant l’adoption de tout acte délégué ;
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4. d’améliorer par des progrès constants la capacité d’adaptation, de renforcement de la résilience et de réduction de la vulnérabilité au changement climatique, tâche incombant à la fois aux institutions compétentes de l’Union et aux États membres, conformément à l’article 7 de l’Accord de Paris sur le climat ;
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5. de préciser les modalités d’évaluation des mesures prises par l’Union européenne et les États membres.
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Vu l’article 88-6 de la Constitution,
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Considérant les termes du courrier adressé au Président du Sénat le 8 avril 2020 par le Vice-président de la Commission européenne, selon lesquels, le délai de huit semaines fixé dans le protocole n° 2 annexé aux traités pour l’évaluation par les parlements nationaux de la conformité des projets d’actes législatifs de la Commission avec les principes de subsidiarité et de proportionnalité ne pouvant être prorogé, la Commission s’engage à tenir compte autant que possible des résolutions des parlements nationaux exprimant des préoccupations quant à cette conformité et à y répondre publiquement, même si ces résolutions devaient lui parvenir après l’expiration du délai de huit semaines à cause de la crise du COVID-19, quand bien même de tels avis tardifs ne pourraient pas être légalement pris en compte en vue d’atteindre les seuils de déclenchement de la procédure du carton jaune ou du carton orange,
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Le Sénat fait les observations suivantes :
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Concernant la procédure générale relative au contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux, dans le contexte particulier de la crise liée au COVID-19 :
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– le Sénat, comme la commission des affaires européennes l’a indiqué dans son rapport portant contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne(6), considère que le contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux conduit à porter une appréciation sur les textes au regard du principe de subsidiarité mais aussi du principe de proportionnalité des mesures envisagées, ces deux principes étant étroitement liés ;
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– les actes délégués et les actes d’exécution ne sont pas aujourd’hui transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect du principe de subsidiarité, alors qu’ils constituent des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle, rendant partiel le contrôle de subsidiarité exercé par les parlements nationaux ;
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– compte tenu du confinement imposé par la crise du COVID-19 et de ses incidences sur la conduite des travaux des parlements nationaux, le délai de huit semaines pour adopter un avis motivé, prévu par le protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, s’est révélé particulièrement insuffisant pour exercer un contrôle de subsidiarité approfondi. Le Sénat réitère son souhait, exprimé dans le rapport précité de sa commission des affaires européennes, de voir ce délai porté de huit à au moins dix semaines et d’impartir un délai de douze semaines à la Commission pour répondre à un avis motivé. Une suspension de ces délais pourrait en outre être prévue en cas de circonstances exceptionnelles ;
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Concernant la valeur ajoutée de l’Union européenne s’agissant de la fixation d’un objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 :
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– en application de l’article 4 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les politiques en matière d’environnement, dont la lutte contre le changement climatique, et d’énergie relèvent des compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres, selon les modalités précisées notamment par les articles 191 à 194 ;
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– l’Union européenne s’est déjà dotée d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre par le passé et la fixation d’un objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 au niveau de l’Union dans son ensemble présente une valeur ajoutée européenne ;
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– le fait que l’objectif soit fixé au niveau de l’Union dans son ensemble implique une solidarité entre États membres ; la répartition des efforts entre les États membres en vue de l’atteinte de l’objectif n’est pas évaluée à ce stade ;
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– dans son principe, la fixation de cet objectif de neutralité climatique de l’Union à l’horizon 2050, qui marque une ambition élevée en matière de lutte contre le changement climatique, assortie d’une action européenne en faveur de l’adaptation au changement climatique, toutes deux cohérentes avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, apparaît justifiée au regard du principe de subsidiarité ;
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Concernant la possible révision de l’objectif spécifique de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 :
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– la proposition de règlement inclut la perspective d’une révision à la hausse de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, validé par le Conseil européen en 2014 et décliné en 2018 par le règlement sur la répartition de l’effort entre les États membres(7) ;
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– cette perspective de rehaussement de l’ambition de l’Union à l’horizon 2030 peut apparaître cohérente avec l’objectif élevé que la proposition de règlement fixe d’ici 2050 ;
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– le niveau final de cette révision à la hausse reste à préciser de manière définitive. Compte tenu de ses implications en termes budgétaires, économiques et sociaux, le Sénat regrette que l’étude d’impact concernant les cibles de réduction envisagées à l’horizon 2030 n’ait pas été présentée en même temps que la proposition de règlement ;
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– alors que l’Agence européenne pour l’environnement souligne l’importance des efforts nécessaires pour respecter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixé aujourd’hui à cet horizon(8), il apparaît de fait impossible d’apprécier à ce stade la proportionnalité de cette éventuelle nouvelle ambition de l’Union, fixée à un horizon proche au regard des cycles d’investissement et dépendante du résultat des négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel ;
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– l’objectif actuel de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 avait été approuvé par le Conseil européen, à l’unanimité, avant d’être décliné dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Par parallélisme des formes, il conviendrait que la décision de rehausser le niveau de l’ambition à l’horizon 2030 soit approuvée par le Conseil européen avant d’être validée dans le cadre de cette proposition de règlement au terme de la procédure législative ordinaire ;
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Concernant la procédure d’évaluation des mesures prises par l’Union et les États membres :
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– les articles 5 et 6 de la proposition de règlement précisent, respectivement, les modalités d’évaluation des progrès et des mesures de l’Union ainsi que les modalités d’évaluation des mesures nationales, s’agissant de la réalisation de l’objectif de neutralité climatique et des progrès en matière d’adaptation au changement climatique ;
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– le principe d’une évaluation est nécessaire pour assurer un suivi effectif d’un objectif contraignant. Il se justifie également au regard des investissements exigés pour atteindre cet objectif et des financements qui seront octroyés à cette fin par l’Union européenne ;
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– il existe une correspondance manifeste entre les dispositions de l’article 6 de cette proposition et celles des articles 13 et 34 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat ;
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– l’article 6 renvoie à la trajectoire que la Commission souhaite définir, par actes délégués à partir de 2030, en vue d’atteindre la neutralité climatique en 2050. Or les éléments pris en compte pour définir cette trajectoire, précisés par l’article 3 de la proposition de règlement, apparaissent très larges, ce qui invite à la prudence ;
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– il conviendrait de clarifier cette procédure d’évaluation des mesures nationales, notamment au regard des stipulations de l’article 194, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin que la Commission, tout en veillant à assurer le respect d’objectifs ambitieux, n’interfère pas de manière excessive dans les compétences des États membres au travers de ses recommandations ;
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Concernant l’autorisation donnée à la Commission de recourir à des actes délégués pour définir la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre en vue d’atteindre la neutralité carbone entre 2030 et 2050 :
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– à compter de 2030, la Commission propose de se voir habilitée, selon les modalités prévues par l’accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 « Mieux légiférer », à adopter des actes délégués pour définir la trajectoire à suivre au niveau de l’Union pour atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Elle considère que « la mise en place d’une gouvernance solide dans la perspective de l’objectif de neutralité climatique à l’horizon 2050 contribuera à faire en sorte que l’UE reste sur la bonne voie pour atteindre cet objectif » ;
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– alors que l’Union européenne s’est jusqu’à présent fixé des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre suivant un intervalle de dix ans (2020, 2030), le texte proposé par la Commission ne comporte pas de mention d’un objectif spécifique à l’horizon 2040 ;
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– l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne stipule qu’« un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif. (…) Les éléments essentiels d’un domaine sont réservés à l’acte législatif et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une délégation de pouvoir » ;
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– la définition de la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas un élément technique ni mécanique. Compte tenu de la nécessité de donner aux acteurs de l’économie et aux investisseurs de la prévisibilité sur la durée complète d’un cycle d’investissement, mais aussi de l’importance des enjeux d’une telle décision en termes économiques et sociaux, technologiques et industriels, ainsi que d’aménagement du territoire dans chacun des États membres, la fixation de la trajectoire permettant d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050 revêt un caractère éminemment politique et doit être pleinement acceptée par les États membres pour être mise en œuvre avec succès. Le Sénat considère ainsi que la fixation de cette trajectoire constitue un élément essentiel de cette proposition de règlement, ce qui interdit le recours envisagé aux actes délégués ;
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Pour ces raisons, et bien que le principe de la fixation d’un objectif de neutralité climatique de l’Union dans son ensemble à l’horizon 2050 lui paraisse justifié au regard de la répartition des compétences entre les États membres et l’Union, le Sénat estime que la proposition de règlement COM(2020) 80 final ne respecte pas le principe de subsidiarité.
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