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N° 228

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 décembre 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

présentée au nom de la commission des affaires européennes (1), en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l' évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (E 6903),

Par M. Richard YUNG,

Sénateur

(Envoyée à la commission des finances.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Alain Bertrand, Michel Billou, Jean Bizet, Bernadette Bourzai, Jean-Paul Emorine, Fabienne Keller, Philippe Leroy, Catherine Morin-Desailly, Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Gérard César, Karine Claireaux, Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Joëlle Garriaud-Maylam, Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Sophie Joissains, Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Colette Mélot, Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Catherine Tasca.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 23 novembre dernier, la Commission européenne a publié un nouveau paquet, composé de deux textes, destiné à renforcer la discipline budgétaire des États membres de la zone euro. Le groupe de travail sur la subsidiarité de la commission des affaires européenne a estimé que l'un d'entre eux méritait d'être examiné sous l'angle de la subsidiarité. Il s'agit de la proposition de règlement établissant des dispositions communes pour le suivi et l'évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro (E 6903).

Ce texte vise à renforcer la surveillance des politiques budgétaires dans les États membres de la zone euro. À cet effet, il renforce le calendrier budgétaire commun et autorise la Commission à demander la révision des projets de budget si elle estime qu'ils ne respectent pas le Pacte de stabilité et de croissance. Puis, dans une seconde partie, le texte propose un suivi plus étroit et des obligations d'information renforcées pour les pays de la zone euro soumis à une procédure pour déficit excessif, à appliquer de manière continue tout au long du cycle budgétaire.

Ce texte appelle une première observation, qui est l'absence totale de motivation au regard de la subsidiarité et de la proportionnalité. L'article 5 du protocole sur l'application de ces deux principes, annexé au traité de Lisbonne, prévoit pourtant que, « les projets d'actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ». La Commission européenne n'a manifestement pas respecté les obligations qui lui incombent pour le texte dont elle nous a saisis.

Les remarques suivantes portent, en revanche, sur des dispositions précises du texte, prévues à ses articles 3 et 4 .

L'article 4 demande aux États membres de transposer en droit national, sous une forme contraignante, de préférence constitutionnelle, la « règle d'or » déjà prévue par le Pacte de stabilité et de croissance en 1997. Cette « règle d'or » vise à obliger les États membres à atteindre, sur le moyen terme, une position proche de l'équilibre ou excédentaire, c'est-à-dire située, selon les cas, entre -1 % du PIB et l'excédent budgétaire. Sans entrer dans le débat de fond relatif à la règle d'or, on peut s'étonner de la méthode employée par la Commission européenne : à savoir, glisser dans une simple proposition de règlement une disposition demandant aux États membres de revoir des règles de valeur constitutionnelle.

L'article 4 demande également aux membres de la zone euro de mettre en place des conseils budgétaires indépendants chargés de surveiller que les règles budgétaires à moyen terme sont correctement appliquées.

Quant à l'article 3, il impose aux États de fonder leurs projets de lois de finances sur des prévisions macroéconomiques indépendantes .

Ces dispositions appellent trois observations au regard de la subsidiarité.

En premier lieu, elles suscitent des interrogations relatives à la base juridique .

La Commission s'est appuyée sur l'article 136 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour rédiger sa proposition. Cet article autorise certes le Conseil à adopter des mesures pour renforcer la coordination et la surveillance de la discipline budgétaire des États membres de la zone euro. Mais, cela ne signifie pas qu'il lui permette de demander une révision de la Constitution des États membres.

Or, c'est bien ce que réclame la Commission à l'article 4 : une modification constitutionnelle. En effet, quand bien même nous déciderions de ne transposer ce principe qu'à un niveau législatif (en fait, celui d'une loi organique) et non constitutionnel, nous n'échapperions quand même pas à la nécessité de modifier notre Constitution.

En effet, pour que le principe acquière une force véritablement contraignante, comme l'article 4 le demande, il faudrait que le Conseil constitutionnel puisse opérer un contrôle systématique sur nos lois de finances, afin de vérifier que nos objectifs de moyen terme sont correctement respectés. Or, seule la Constitution peut prévoir un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel. De ce fait, il paraît peu vraisemblable que la base juridique retenue suffise pour imposer une réforme d'une aussi grande portée.

Cela paraît d'ailleurs incompatible avec l'article 4 du traité sur l'Union européenne qui dispose que l'Union européenne respecte les « structures politiques et constitutionnelles » des États membres. Cela paraît également incompatible avec la hiérarchie des normes telle que nous la concevons en droit français : il n'appartient pas au droit dérivé de l'Union européenne d'imposer des modifications d'ordre constitutionnel.

Sur la question de la base juridique, un autre élément soulève des difficultés : il s'agit du fait que le texte prend la forme d'un règlement. En effet, les règlements de l'Union européenne sont, en théorie, directement applicables dans les États membres après leur adoption. C'est ce qui les différencie des directives qui, au contraire, se contentent de fixer des objectifs et doivent être transposées en droit national. Or, ce projet de règlement demande aux États de transposer une règle : par définition, ce devrait être une directive et non un règlement.

La deuxième observation porte sur le principe de subsidiarité stricto sensu . Selon l'article 5 du traité sur l'Union européenne, l'Union ne peut intervenir que « si, et dans la mesure où , les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ».

C'est bien aujourd'hui l'esprit des traités : le protocole sur les déficits excessifs laisse clairement les États membres libres de choisir les moyens par lesquels ils pourront remplir leurs obligations. L'article 3 de ce protocole dispose en effet que « les États membres veillent à ce que les procédures nationales en matière budgétaire leur permettent de remplir les obligations qui leur incombent ». La proposition de règlement qui est soumise au Sénat est d'un tout autre esprit. Elle détermine elle-même des modalités précises, notamment lorsqu'elle demande de réviser la Constitution, de mettre en place un conseil budgétaire indépendant, ou de fonder les budgets sur des prévisions indépendantes. Même si l'on juge que ces modalités sont appropriées, respecter le principe de subsidiarité suppose de laisser chaque État membre choisir lui-même, pourvu que l'objectif budgétaire soit respecté. Autrement dit, les États membres ont une obligation de résultat et peuvent encourir des sanctions pour manquement aux objectifs, mais le principe de subsidiarité conduit à leur laisser une certaine latitude pour déterminer les moyens précis par lesquels ces objectifs doivent être atteints.

La troisième observation se situe peut-être davantage sur le terrain de la proportionnalité . Mais, après tout, le traité lui-même associe la subsidiarité et la proportionnalité en précisant que les interventions de l'Union ne sont légitimes que « dans la mesure où » les objectifs ne peuvent pas être suffisamment atteints par les États membres. Les obligations prévues par l'article 4 ne sont-elles pas disproportionnées par rapport à l'objectif à atteindre ? Sont-elles vraiment nécessaires ? Le précédent paquet sur la gouvernance budgétaire, le « Six Pack », est entré en vigueur seulement la semaine dernière, mardi 13 décembre. La Commission européenne propose donc un nouveau texte avant même de savoir si les derniers aménagements ne sont pas suffisants pour atteindre les objectifs fixés.

Les observations ainsi formulées ne portent pas sur le fond du texte, chacun partageant naturellement l'objectif de sauver la zone euro en luttant contre les déficits excessifs. La question n'est pas de savoir si l'on est pour ou si l'on est contre la « règle d'or », mais s'il est indispensable, dans une proposition de règlement européen, d'aller aussi loin dans la définition des modalités.

N'est-ce pas finalement renforcer la sécurité juridique que de poser ce problème, plutôt que de prendre le risque que le règlement ne soit annulé ?

* *
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Le principe de subsidiarité conduit à reconnaître, en l'espèce, à chaque État membre le droit de déterminer la méthode qui lui paraît la plus appropriée, en fonction de son ordre juridique interne et de ses institutions, pour assurer l'équilibre structurel de son budget. L'Union européenne a le droit de contrôler les résultats, nul ne le conteste, mais dans l'état actuel des traités , elle n'est pas habilitée à dicter la méthode. Les objectifs assignés aux États membres figurent déjà aujourd'hui dans le droit dérivé : c'est le Pacte de stabilité et de croissance. La surveillance multilatérale vient d'être organisée par le « paquet gouvernance ». Si on veut adopter des règles plus contraignantes, il faut une révision du traité, ce qui est d'ailleurs aujourd'hui en discussion.

Pour ces raisons, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Les articles 3 et 4 de la proposition de règlement (E 6903) disposent que :

- les projets de loi de finances et les plans budgétaires à moyen terme doivent être « fondés sur des prévisions macroéconomiques indépendantes »,

- les États membres doivent mettre en place des « conseils budgétaires indépendants »,

- les États membres doivent se doter de règles ayant un caractère contraignant, « de préférence constitutionnel », concernant le solde budgétaire, de manière à inscrire le principe d'équilibre structurel dans le processus budgétaire national.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- la proposition de règlement n'est pas motivée au regard du principe de subsidiarité,

- l'article 4 du traité sur l'Union européenne impose à l'Union européenne de respecter « les structures fondamentales politiques et constitutionnelles des États membres » ; un acte de droit dérivé ne peut donc prescrire une révision constitutionnelle ; or, dans le cas de la France, une révision constitutionnelle est nécessaire pour que le principe d'équilibre structurel soit inscrit de manière pleinement contraignante dans le processus budgétaire national,

- la proposition E 6903, ayant la nature d'un règlement directement applicable tout en demandant des mesures de transposition, ne respecte pas l'article 288 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui établit la différence entre directives et règlements,

- l'article 5 du traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union » ; l'article 3 du protocole concernant la procédure concernant les déficits excessifs demande aux États membres de veiller « à ce que les procédures nationales en matière budgétaire leur permettent de remplir les obligations qui leur incombent » et les laisse donc libres de choisir les moyens par lesquels ils remplissent leurs engagements ; or, la proposition de règlement tend à imposer les moyens par lesquels les États membres doivent respecter les objectifs définis par le Pacte de stabilité et de croissance.

Le Sénat estime, en conséquence, que les articles 3 et 4 de la proposition de règlement (E 6903) ne sont pas conformes, dans leur rédaction actuelle, à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce traité.

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